«Femme, Vie, Liberté !» Le slogan retentit dans les manifestations en Iran. Il est devenu l’hymne d’une révolte féminine. Cet appel vibrant à la justice trouve son origine au Kurdistan, lieu de naissance et moteur de la révolution actuelle en Iran. Le soulèvement national qui secoue l’Iran a été déclenché par la mort d’une jeune Kurde : Jina Mahsa Amini. La jeune femme de 22 ans est morte le 16 septembre en garde à vue, après avoir été gravement maltraitée par la police des mœurs iranienne. Lors de ses funérailles à Seqiz, sa ville natale, des milliers de personnes se sont rassemblées pour protester contre le gouvernement iranien. Elles scandaient toutes «Jin, Jiyan, Azadî» (en français : Femme, Vie, Liberté), un slogan qui a depuis fait le tour du monde.
Une tradition de résistance
Le slogan Jin, Jiyan, Azadî est issu du mouvement de libération kurde qui lutte depuis plus de 40 ans contre l’exploitation et l’oppression par la Syrie, l’Irak, la Turquie et l’Iran, ainsi que pour la libération des femmes. Le slogan s’est également popularisé lors de la révolution des femmes dans le Rojava, au nord de la Syrie, où les YPJ, ces unités de défense des femmes, ont combattu l’État islamique. Sana, une activiste originaire de Kirmaşan, au Kurdistan, s’étonne de sa propagation rapide dans les récentes manifestations. «Je n’aurais jamais cru que Jin, Jiyan, Azadî deviendrait un slogan révolutionnaire. En Iran, les femmes n’ont aucun droit et aucune voix. Il est étonnant d’observer que certains pans de la société iranienne, qui étaient jusqu’à présent toujours contre nous, entonnent désormais ce slogan.» Elle voit dans les soulèvements au Kurdistan le potentiel d’influencer de manière déterminante l’avenir de l’Iran.
Pour Sanaz, une militante kurde de 30 ans originaire de la ville de Seqiz, les trois mots de ce slogan contrastent radicalement avec l’oppression culturelle, économique et politique exercée par l’État iranien. Les Kurdes sont particulièrement discriminé·e·x·s en Iran – leur langue est de facto interdite ; les dépenses de l’État sont nettement plus faibles dans les régions kurdes que dans les autres provinces. Même les noms kurdes sont mal vus. Ainsi, Jina Mahsa Amini n’a pas pu utiliser son nom kurde : Jina.
La résistance contre cette discrimination remonte à la nuit des temps. En Iran, les Kurdes sont organisé·e·x·s politiquement depuis des décennies. Déjà sous le règne de la dynastie des Pahlavis, les Kurdes étaient opprimé·e·x·s et ont pris les armes.
Les dirigeants à Téhéran n’hésitent pas à taxer de séparatistes les Kurdes, qui représentent environ 10% de la population du pays. La brutalité avec laquelle les gouvernements iraniens successifs ont agi dans le passé contre les voix critiques – comme par exemple après la Révolution islamique de 1979 – n’ont pas suffi à éteindre l’élan des manifestations qui ont suivi la mort de Jina Mahsa Amini. Les autorités iraniennes étaient bien conscientes du potentiel de cette tradition de résistance de la population kurde. Elles ont donc tenté d’empêcher une cérémonie publique censée avoir lieu avant l’enterrement de Jina Mahsa Amini, par peur de manifestations de masse. Le gouvernement n’a, malgré les menaces, pas pu arrêter le soulèvement.
Le centre de la révolution s’est déplacé dans les régions kurdes et la province du Sistan-Baloutchistan, dans le sud-est du pays. Des régions dans lesquelles règne une grande pauvreté, et où la majorité de la population appartient à la minorité sunnite. Dans les rues des villes kurdes comme Mahabad, Sanandaj ou Bukan, la population s’oppose avec détermination aux forces de sécurité depuis des mois. Des grèves ont lieu chaque semaine et des groupes de jeunes révolutionnaires se forment dans de nombreux quartiers. Des slogans tels que «Le Kurdistan sera la tombe des fascistes» fleurissent dans de nombreuses vidéos partagées sur Twitter.
La répression traverse les frontières
Le gouvernement fait preuve d’une extrême violence à l’encontre de quiconque est perçu comme activiste. Selon le Kurdistan Human Rights Network, plus de 120 manifestant·e·x·s kurdes ont été tué·e·x·s par les forces de sécurité iraniennes depuis le début des manifestations.
Dans la ville kurde de Bukan, les forces de sécurité ont ouvert le feu sur les manifestant·e·x·s qui avaient occupé la mairie et plusieurs bâtiments gouvernementaux en novembre. Les effectifs militaires sont renforcés dans les villes kurdes. La répression s’est également intensifiée après les manifestations organisées le 31 décembre dans la ville de Javanrud, donnant lieu à l’enlèvement d’au moins 40 Kurdes, selon l’organisation de défense des droits humains Hengaw.
Mais la répression du gouvernement iranien contre les Kurdes ne se limite pas à l’intérieur du pays. Le 24 septembre, alors que la population de la ville frontalière kurde de Şino avait réussi à chasser temporairement les forces de sécurité, le Corps des Gardiens de la révolution iranienne a commencé à bombarder des bases de partis kurdo-iraniens qui avaient trouvé refuge au sud du Kurdistan irakien. Dans la ville irakienne de Koya, un groupe de réfugié∙e∙x∙s d’Iran a également été touché. Des membres des partis, leurs proches, des civil·e∙x∙s et des journalistes ont été tué∙e∙x∙s lors de ces attaques répétées.
Depuis des décennies, les autorités de Téhéran présentent toute organisation kurde comme un complot terroriste et séparatiste. Les Kurdes d’Iran sont régulièrement arrêté·e·x·s, condamné·e·x·s à mort et exécuté·e·x·s sur la base de ces accusations. L’affirmation récente de l’ayatollah Ahmad Khatami selon laquelle le kurde est «la langue officielle de l’enfer» souligne la position anti-kurde des mollahs de Téhéran.
Les partis kurdes ont considéré les attaques dans le sud du Kurdistan comme une manœuvre visant à empêcher que le soulèvement ne prenne de l’ampleur. En outre, Téhéran veut ainsi détourner l’attention du fait que la révolte contre le gouvernement islamique ne se limite pas aux régions kurdes. Selon Sanaz, «le régime a peur que les populations d’autres parties du pays prennent exemple sur le Kurdistan, qui a toujours été une source d’idées progressistes et révolutionnaires».
La répression n’a toutefois pas freiné la solidarité multiethnique qui a balayé le pays après la mort de Jina Mahsa Amini. Et c’est bien un slogan kurde qui est devenu le mot d’ordre d’une nouvelle génération en Iran, qui réclame avec véhémence un changement politique.