Des milliers de personnes migrantes transitent chaque année par la Serbie, espérant rejoindre l’un des pays de la zone Schengen. Elles sont essentiellement originaires d’Afghanistan, de Syrie, du Pakistan, de Somalie. Mais aussi de Libye, de Palestine, du Burundi, de la République démocratique du Congo (RDC) et du Maroc. Elles seraient plus de 30 216 à y avoir déposé une demande d’asile en 2019, selon les chiffres du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Le triple de l’année précédente.
«Chaque semaine, je tente de franchir la frontière, ce qui est difficile, vu qu’elle est très hermétique en Hongrie.» Bassem, originaire de Syrie
Du fait de ses frontières avec quatre pays de l’Union européenne (UE), la Serbie reste une destination privilégiée pour les migrant∙e∙x∙s. En 2020, le ministère de l’Intérieur indiquait avoir arrêté plus de 8 500 personnes qui tentaient d’entrer illégalement dans le pays. Si les statistiques sont muettes pour 2021 et 2022, il serait erroné de croire que le phénomène a diminué d’envergure. Nombreux sont les témoignages de personnes refoulées des pays frontaliers avec la Serbie. Mais les violences qu’elles y ont subies ne semblent pas être un frein à leurs tentatives régulières pour passer la frontière qui les sépare de l’espace Schengen.
C’est ce qui est arrivé à plusieurs reprises à Bassem[i], un jeune syrien de 27 ans. Arrivé il y a 14 mois en Serbie, il réside aujourd’hui dans le camp de Sombor, au Nord-Ouest du pays, à quelques kilomètres de la Hongrie et la Croatie. « Chaque semaine, je tente de franchir la frontière, ce qui est difficile, vu qu’elle est très hermétique en Hongrie. »
Violences et refoulements
Comme Bassem, ils sont plus de 600 réfugié∙e∙x∙s à vivre dans le centre d'accueil de Sombor. Les dortoirs présentent des conditions de vie rudimentaires : une pièce pour un couple avec 3 enfants, un régime alimentaire unique pour tout le monde, qui ne tient compte d’aucune allergie ou intolérance. Pour les personnes qui souhaiteraient cuisiner, à elles de se débrouiller pour trouver un réchaud et cuisiner à l’endroit même où elles dorment. Et les odeurs ? S’y accommoder est le maître-mot.
Tout le monde rêve du grand retour du soleil, car le beau temps est synonyme de départs massifs vers l’ailleurs. Les personnes migrantes en profitent pour se reposer entre deux « games » – anglicisme que tout le monde a adopté pour indiquer les tentatives de passage sans fin. Tous insistent sur les multiples échecs, les divers refoulements et les violences sans nom dont ils sont victimes. « En Roumanie, comme en Hongrie, la police nous tabasse et casse nos téléphones pour qu’on n’enregistre pas la moindre preuve de leur hostilité. Nous sommes ensuite renvoyés ici, en Serbie », explique avec amertume, un jeune Afghan qui a déjà tenté de quitter la Serbie à cinq reprises.
Environ 50 kilomètres plus au Nord, au centre d’accueil de Subotica : les mêmes histoires chargées en émotions semblent se répéter. « Les dortoirs sont bondés, et la vie y est dure », raconte Apollinaire, un Burundais de 24 ans. « On manque de tout », ajoute-t-il, en soulignant l’absence de travail et d’argent, ce qui ne le dissuade pas d’atteindre un jour la Hongrie voisine. « Il y a quelques mois, j'ai eu des fractures. Je tentais de franchir le mur hongrois et je me suis cassé les deux jambes. Dieu merci, j’ai pu être soigné et je m’en remets petit à petit. »
Des associations et organisations serbes de défense des droits humains dénoncent depuis de nombreuses années les violations en Hongrie, Roumanie et Croatie, pourtant toutes trois membres de l’UE. « Les migrants refoulés qui viennent pour l’aide alimentaire d’urgence nous racontent les destructions des effets personnels tels que les portables, et les violences physiques », indique avec amertume Steva, membre de Collective Aid.
«Au début, le prix du voyage avait été fixé à 15 000 euros. Mon père et moi avons négocié avec le passeur qui a finalement réduit les frais de moitié.»
Augustin, originaire de la République démocratique du Congo
Cette exaspération, son confrère Drago, 40 ans, la partage. A l’en croire, cette violence touche chaque migrant·e·x qui tente de franchir l’une des frontières serbes. « La violence est physique, mais aussi psychologique. Chaque semaine les mêmes histoires : les personnes refoulées racontent comment elles ont été forcées à s’asseoir longuement dans l'eau. Comment les garde-frontières leur ordonnent de se dévêtir et de marcher pieds nus, parfois complètement nus avant d’être refoulées en Serbie », rapporte-t-il des larmes plein les yeux.
Cupidité des passeurs
Aux violences s’ajoutent des frais exorbitants. Augustin, un Congolais dans la trentaine rencontré au Centre d’accueil de Krnjača, quartier situé dans la capitale, affirme avoir payé 7 000 euros à un « package dealer », un passeur qui vend aux migrant·e·x·s un voyage tout inclus depuis leur pays natal jusqu’en Europe de l’Ouest. « Au début, le prix du voyage avait été fixé à 15 000 euros. Mon père et moi avons négocié avec le passeur qui a finalement réduit les frais de moitié. » Selon un rapport publié en mai 2021 par la Global Initiative Against Transnational Organized Crime, traverser plusieurs frontières internationales dans la région peut coûter entre 600 et 20 000 euros par personne, dépendant du point de départ et de la destination. Ainsi, le prix payé pour passer de l'Iran ou d'Afghanistan vers un pays de l'UE varie de 3 000 à 3 500 euros par tête.
Selon les activistes des droits humains en Serbie, les passeurs sont souvent la seule porte d’entrée vers l’UE pour les migrants. À l’image de cet hôtel périphérique de Sombor, décrit comme un lieu emblématique de l’activité des passeurs. En fin de journée, on peut observer devant le bâtiment un chassé-croisé de taxis. Avec cinq ou six voitures garées sur le parking de l’hôtel, les trafiquants font monter à bord au moins 4 réfugié·e·x·s par voiture avant de prendre la direction de la frontière.
L’impossible scolarisation des enfants
Les structures scolaires serbes ne sont pas suffisamment outillées pour accueillir les enfants migrant·e·s. Qui plus est, ces derniers ne restent parfois pas longtemps, selon le projet migratoire des parents. En conséquence, leur apprentissage est souvent laissé au point mort. Coincé en Serbie avec sa famille, Gotama, un jeune Indien, va poursuivre vaille que vaille sa scolarité au Lycée de Belgrade, situé dans la municipalité de Stari Grad.
L’adolescent de 13 ans se lève chaque matin pour aller à l’école. Le pays est toutefois loin de l’image de l'Europe dont rêvait sa famille quand elle a quitté l'Inde il y a 12 mois. « L'enseignement ne se fait qu'en serbe et il y a trop de choses que je ne comprends pas. » Un regret appuyé par les parents, qui trouvent que le niveau scolaire de leur enfant a beaucoup baissé. « Il était très doué dans son pays. Mais aujourd’hui, son bulletin scolaire est désastreux. Il apprend tout en serbe, sans connaître la langue. Et la qualité des traductions laisse à désirer », critique son père, les yeux rivés sur son smartphone pour chercher le prochain pays d’arrivée. La scolarisation immédiate des enfants n’est pas la priorité des parents, occupés à chercher un point de chute dans un pays de la zone Schengen. La déscolarisation des enfants est donc bien souvent la règle pour les parents qui n’ont qu’une seule idée en tête : quitter la Serbie, avec ou sans le statut de réfugié. « Mon objectif est de rester temporairement dans ce pays où les gens gagnent un salaire de misère [le salaire moyen ne dépasse pas 400 euros par mois, ndlr]. J’ai bravé les trafiquants, escaladé des hauts sommets montagneux et traversé plusieurs mers pour vivre dignement », conclut le père de Gotama.
[i] Bassem est un prénom d’emprunt utilisé ici pour conserver l’anonymat des témoignages. Il en est de même pour tous les autres prénoms