Le dimanche est jour de messe au Ghana. Les prêches et les chants chrétiens résonnent dès le petit matin dans les ruelles endormies. Dans les villages comme dans les villes, les gens affluent en masse vers les églises – parfois de belles cathédrales, parfois de simples huttes en pierre à peine aménagées. Au Ghana, où près de 70 % de la population se déclare chrétienne, la participation au culte est attendue, car l’Église de la Pentecôte ou les Assemblées de Dieu sont considérées comme des communautés importantes. Les personnes qui s’y soustraient sont considérées comme marginales, voire hérétiques.
Va-Bene Elikem Fiatsi, qui attire aujourd’hui l’attention en tant qu’artiste et activiste trans, en fait partie. Pourtant, cette femme de 41 ans était autrefois une fidèle de l’Église pentecôtiste : elle allait de village en village pour enseigner l’Évangile, prier pour les malades et les pauvres, apporter du réconfort. Mais c’était avant sa transition, et avant qu’elle ne ressente la haine des milieux conservateurs et chrétiens envers les personnes queer au Ghana.
Communautés criminalisées
Le zèle de nombreuses Églises ne se limite plus aux affaires spirituelles. Les Églises s’impliquent de plus en plus dans la politique et demandent le retour aux valeurs familiales traditionnelles. Dans les milieux conservateurs, la communauté LGBTQIA+ est souvent discréditée, son « style de vie » étant considéré comme « importé » de l’Occident.
Au Ghana, le puritanisme est très répandu : les écoles sont souvent non-mixtes, la sexualité est passée sous silence, l’alcool est interdit dans de nombreux lieux. « Les Églises sont fières de faire partie du lobby qui combat les minorités sexuelles et de genre », affirme Va- Bene. « Par conséquent, de nombreux Ghanéens ont l’impression de se battre pour Dieu lorsqu’ils discriminent des personnes queer. »
Plusieurs Églises sont impliquées dans l’élaboration et l’application d’un projet de loi alarmant. La « loi pour la promotion des droits sexuels appropriés et des valeurs familiales ghanéennes » criminalise en effet toutes les formes d’identités de genre et d’orientations sexuelles qui s’écartent de la norme. Mais la communauté LGBTQIA+ n’est pas la seule à être visée : le simple fait de s’engager pour ses droits est désormais passible de peines de prison. Il suffit par exemple de louer une maison à une personne queer pour se rendre coupable de complicité. Les thérapies de conversion et la dénonciation de personnes LGBTQIA+ présumées sont même sur le point de devenir obligatoires.
Le projet de loi est en train d’être examiné par le Parlement. « S’il est adopté en l’état, nous risquons d’être sérieusement menacé∙e∙x∙s », affirme Va-Bene, qui continue à militer contre la loi en dépit de toutes les menaces. Bien que le texte ne soit pas encore entré en vigueur, les attaques contre les personnes LGBTQIA+ se sont multipliées : les bureaux des organisations arc-en-ciel ghanéennes ont été perquisitionnés et fermés par la police. Va-Bene le sait : si la loi entre en vigueur, elle sera l’une des premières à être arrêtée.
La législation est instrumentalisée par des individus pour accéder au pouvoir, affirme Va-Bene. « Il ne s’agit pas d’oeuvrer pour le bien de la société ghanéenne, même si le nom de cette loi laisse entendre qu’elle promeut les valeurs familiales. Quelle valeur familiale consiste à mettre des parents en prison pour avoir un enfant homosexuel ? Quelles valeurs voulons-nous consolider si nous séparons des enfants de leur famille simplement parce qu’iels sont né∙e∙x∙s dans le mauvais corps ? »
Les organisations chrétiennes conservatrices actives au Ghana et en dehors profitent également de la politique homophobe et transphobe. Des organisations américaines comme Family Watch International – une organisation classée entre-temps comme groupe haineux qui souhaite faire reconnaître l’avortement comme un meurtre – tentent depuis des décennies d’influencer la politique sexuelle en Afrique. Avec succès, comme le montre le cas du Ghana.
L’activisme avant Dieu
Va-Bene avait déjà renoncé au christianisme il y a plus de 10 ans, avant même que cette loi ne soit élaborée. Pendant ses études d’art à l’Université de Kumasi, elle a commencé à s’interroger sur le rapport à son corps, sa sexualité, son genre. « L’école d’art m’a permis de remettre les choses en question et de dépasser les limites. »
Elle a également commencé à remettre Dieu en question. Elle a un jour annoncé sur ses réseaux sociaux : « Dieu est mort. » De telles déclarations ont engendré des problèmes avec son entourage. « Mais pour moi, il était clair que le Dieu en lequel je voulais croire n’existait pas. » Au lieu de cela, elle s’est tournée vers l’activisme. Et a remplacé Dieu par l’art.
Sa transition, Va-Bene l’a vécue comme un processus douloureux. Elle s’est toujours heurtée au rejet. Elle a toutefois trouvé un soutien dans l’art de la performance, avec lequel elle rappelle à son public, de manière parfois crue et provocante, qu’il existe toujours plus de deux dimensions. « Mon art est né de mon activisme, inspiré par la vie et l’amour », explique celle qui travaille en tant qu’artiste sous le nom de crazinisT artisT. L’art l’a aidée à mieux connaître son corps et à confronter ouvertement les gens à leur identité trans.
Dans sa performance Rituals of Becoming (rituels du devenir), elle thématise sa transition en tant que femme, transcende les représentations binaires en se tenant devant la caméra dans une robe rouge à motifs floraux et en rasant lentement les poils de sa barbe apparente. Elle coiffe ses longs cheveux et met du rouge à lèvres. Elle parle de politique, de Dieu, de son existence. Elle veut transmettre des connaissances aux gens – et susciter l’empathie.
Se battre pour l’avenir
En 2018, Va-Bene a créé une résidence pour les artistes : la perfocraZe International Artist Residency. Celle-ci sert d’espace communautaire dans lequel les artistes se réinventent et créent des oeuvres qui secouent la société. Chaque mois, des personnes d’horizons divers, y compris de Suisse ou des États-Unis, visitent cet espace. « La résidence sert à normaliser l’existence des personnes queer », explique Va-Bene.
Mais la résidence ne plaît pas à tout le monde. Après une visite, une personne a posté sur les réseaux sociaux que c’était un lieu antichrétien et hostile à Dieu. « Cette personne était probablement aux prises avec sa propre homophobie », rétorque Va-Bene. « Elle ne savait pas comment y faire face. »
Va-Bene a payé la résidence de sa propre poche. Elle souhaite maintenant acheter les locaux. « Si la nouvelle loi est votée, nous serons expulsé∙e∙x∙s. Les propriétaires ne peuvent pas prendre le risque d’aller en prison à cause de nous. » C’est pourquoi elle collecte des fonds pour acheter un bâtiment qui puisse servir de refuge à toute personne qui en a besoin. Va-Bene ne craint pas de se retrouver en prison à cause de son engagement. « Beaucoup de gens veulent me sauver, moi Va-Bene. Alors qu’il serait bien plus important de sauver le Ghana », dit-elle. « Je ne veux pas l’asile, je veux rester ici. Je suis prête à me battre et même à mourir pour ma communauté. »
Elle n’imagine pas abandonner. « Ce que je fais aujourd’hui, je ne le fais pas pour moi ou pour ma génération. Je me bats pour celleux qui ne sont pas encore né∙e∙x∙s. Pour que dans 100 ans, personne n’ait plus à mener le combat que nous menons aujourd’hui. C’est là que réside mon espoir. »