© André Gottschalk
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MAGAZINE AMNESTY Droit de manifester Autorisations au compte-goutte

Par Olalla Piñeiro Trigo. Article paru dans le magazine AMNESTY n°113, juin 2023.
La première est une jeune activiste de Kinshasa, l’autre a plus de vingt ans d’expérience sur le terrain au Sud-Kivu. Mais défendre l’environnement en République démocratique du Congo (RDC) est une tâche ardue. Interview croisée.

Riche en minerais, gaz et pétrole, premier poumon de la terre et important réservoir d’eau douce, la République démocratique du Congo s’est imposée comme « pays solution » pour lutter contre le réchauffement climatique. Ses nombreuses richesses naturelles attirent la convoitise de centaines de groupes armés – locaux comme étrangers – et alimentent la corruption. La population civile est la première à en faire les frais. Selon l’ONG Global Witness, la RDC compte parmi les pays africains les plus dangereux pour les défenseur∙e∙x∙s de l’environnement. Mais les activistes refusent de baisser les bras. Rencontre avec Ketsia Passou, 18 ans, et Josué Aruna, 43 ans.

AMNESTY : Pouvez-vous expliquer votre lutte pour la planète en quelques mots ?

Ketsia Passou : Je suis ambassadrice UNICEF pour la cause climatique afin de porter la voix de la jeunesse congolaise. J’ai aussi fondé en septembre passé l’association Fanya, qui regroupe des jeunes pour lutter contre la production de
plastique et la pollution des eaux en RDC.

Josué Aruna : Je suis président de la Société civile environnementale et agro-rurale du Congo, la faîtière nationale des ONG de défense de l’environnement. Notre combat se concentre dans les lieux qui ont une forte biodiversité, notamment à l’est du Congo. La faune et de nombreuses espèces protégées sont menacées par la présence de groupes armés qui se disputent l’accès aux ressources naturelles. Je suis aussi fondateur et directeur d’une organisation qui vise à préserver la biodiversité dans le bassin du Congo, une forêt essentielle pour la planète.

AMNESTY Comment vous engagez-vous plus concrètement ?

Ketsia : Mon combat vise la jeunesse, car c’est elle qui sera la plus affectée par le changement climatique. En RDC, près de 60 % de la population a moins de 20 ans, c’est énorme ! Nous intervenons dans les écoles pour sensibiliser à l’importance de la protection de l’environnement, car il y a un réel manque d’éducation à ce sujet. Nous avons par exemple remplacé les emballages plastiques par du carton dans un lycée. Nous organisons aussi des mobilisations dans l’espace public, comme une marche pour le climat à Kinshasa avant la COP27.

Josué : Je lutte avant tout contre l’exploitation par des multinationales des aires protégées. Nous avons ainsi fait du plaidoyer et organisé des manifestations pacifiques à l’est du pays pour abolir les projets d’exploitation minière dans la réserve naturelle d’Itombwe, ou pour empêcher l’exploitation du pétrole dans les parcs nationaux des Virunga et de Kahuzi-Biega, où vivent des gorilles. Les multinationales sur place ne respectent pas les études d’impact sur l’environnement ni les droits humains. Je défends aussi les droits des populations autochtones en les aidant à se tourner vers des activités économiques parallèles. Nous avons ainsi sensibilisé la population des berges du lac Kivu à l’importance de préserver les hippopotames, auparavant braconnés avec le soutien des locaux. Résultat : la communauté a fini par créer une réserve protégée payante pour les visiteurs.

AMNESTY Comment est née votre sensibilité envers la nature ?

Josué : J’ai grandi dans un village traditionnel. Mon père m’amenait très souvent chasser le gibier avec lui. C’était un rite de passage. À l’époque, je voyais des éléphants traverser notre village. J’ai réalisé que le climat était un aspect délaissé des droits humains. Dès l’université je me suis engagé pour la préservation des espèces et des aires protégées.

Ketsia : Lorsque ma famille a déménagé dans un quartier de Kinshasa proche du fleuve, j’étais révoltée de voir les tonnes de déchets qui s’accumulaient à l’air libre et baignaient dans le fleuve. Le système de gestion des ordures est inexistant. J’avais 12 ans lorsque j’ai commencé à m’engager : d’abord en tant qu’UNICEF young reporter, où j’ai écrit des articles sur la pollution des eaux en RDC, puis comme ambassadrice pour le climat.

AMNESTY À quels obstacles font face les défenseur∙e∙x∙s de l’environnement en RDC ?

Josué : Il est difficile d’organiser des actions publiques : lorsqu’elles les autorisent, les autorités limitent les manifestations à une poignée de personnes. Mais elles sont la plupart du temps interdites car elles menacent leurs intérêts. En ce sens, la RDC ne respecte pas les conventions internationales qui défendent le droit de manifester. Les militants pour le climat sont souvent considérés comme des fauteurs de troubles. Nous avons toutefois bravé les interdictions, mais lorsque vous protestez contre les activités de grandes multinationales, c’est risqué. Il y a beaucoup d’intérêts en jeu et les hommes d’affaires sont prêts à tout. Il y a des pressions contre les manifestants. Mes collègues et moi recevons régulièrement des appels anonymes pour nous intimider ou nous menacer de mort. J’ai moi-même été victime d’une tentative d’assassinat. En 2019, alors que je dénonçais des extractions minières dans un parc protégé, des hommes armés se sont introduits chez moi et s’en sont pris à ma femme. Cela laisse de grosses séquelles, à mes enfants aussi.

AMNESTY L’attaque que vous avez subie a-t-elle influencé la façon dont vous vous engagez ?

Josué : Oui, je fais profil bas. Nous avons adapté nos méthodes de travail et redoublons de prudence. On communique davantage sur les réseaux sociaux. Nous avons aussi créé un réseau à travers tout le pays : lorsqu’il y a un problème environnemental dans une région, on organise des actions publiques ailleurs pour atténuer le niveau de menace. Beaucoup de gens craignent de continuer à se mobiliser mais j’ai choisi de lutter au mépris des menaces.

Ketsia : Pour revenir sur les obstacles, il est difficile de motiver les gens à manifester à Kinshasa car ils sont confrontés à d’autres problématiques, comme la précarité, un climat de violence et un taux de chômage élevé. La défense de la nature n’est pas vue comme une priorité. Mais j’essaie de faire comprendre aux jeunes que lutter pour l’environnement est capital. Comment s’imaginer un quelconque futur dans une planète détruite ? La peur des intimidations et des violences policières peut aussi dissuader certaines personnes de se mobiliser.

Josué : J’ai espoir dans la nouvelle génération pour faire avancer la lutte. En participant à des sit-in avec des jeunes activistes à Kinshasa, j’ai vu une jeunesse de plus en plus conscientisée, qui ne craint pas d’agir. Mais les défenseurs de l’environnement sont encore décrédibilisés et pas suffisamment protégés. Nous devrions bénéficier de plus de soutiens locaux et internationaux.

Le plus gros défi serait-il alors la mauvaise gouvernance ?

Ketsia : La RDC est la part du gâteau que tout le monde veut. Tous souhaitent accaparer ses richesses naturelles. Avant de se proclamer « pays solution » dans la lutte climatique, nos autorités doivent s’inscrire dans une démarche durable et respectueuse de l’environnement.

Josué : Ketsia touche un point capital. La RDC a les capacités de répondre aux défis climatiques : elle possède un potentiel forestier incroyable, un sous-sol extrêmement riche et de nombreuses ressources d’eau grâce au fleuve Congo et à ses lacs. Mais cette capacité est entachée par une mauvaise gouvernance. Au Sud-Kivu par exemple, les milices pullulent pour exploiter les ressources naturelles et déboiser les forêts. Et ce sont les communautés autochtones qui paient les frais : elles subissent des violences et ne bénéficient pas des richesses extraites de leur territoire. Cette insécurité renforce leur pauvreté. On attend l’instauration d’un État de droit, qui protège la population et la biodiversité congolaise. Car les conséquences ne concernent pas seulement l’Afrique, mais bien la planète entière.