Les plus fortuné·e·x·s s’y rendent en voiture. Pour les autres, les cinq kilomètres qui séparent Bujumbura de la prison de Mpimba se font en bus privé. Depuis l’arrêt, les visiteur·euse·x·s marchent un peu moins d’un kilomètre. Une fois la fouille passée et les pièces d’identité déposées, il faut ensuite compter une demi-heure de queue. À moins que vous ne soyez prêt·e·x à soudoyer un garde : 2000 francs burundais (moins d’un franc suisse) devraient faire l’affaire.
« Il suffit parfois d’avoir des liens avec une ONG qui ne plaît pas au gouvernement pour se retrouver en prison. »Biha, détenu
De l’autre côté du large portail grillagé, Biha*, détenu depuis un mois, ose dire quelques mots : même si l’entrevue a lieu sous l’oeil vigilant des gardiens et à portée de voix des autres détenu·e·x·s, le brouhaha de dizaines de personnes qui parlent en même temps offre une confidentialité relative. Comme lui, ils seraient plus de 4500 à se partager les locaux prévus pour accueillir 800 personnes, à en croire Kigeme*, une travailleuse sociale rencontrée peu auparavant. Une surpopulation qui s’explique en partie par la répression des activistes par l’État burundais. Car parmi les quelques milliers d’âmes qui peuplent la prison, on retrouve pêle-mêle des prisonnier·ère·x·s de droit commun et des membres de la société civile – journalistes, juristes, activistes LGBTQIA+ –, derrière les barreaux pour avoir eu « l’audace » de s’exprimer de façon critique. Lui-même incarcéré pour son engagement militant, Biha raconte : « Il suffit parfois d’avoir des liens avec une ONG qui ne plaît pas au gouvernement pour se retrouver en prison. » Avant de poursuivre : « J’ai l’impression de vivre dans une région à part, hors du Burundi, du monde et du temps. »
Maza*, un autre militant proche de cinq activistes arrêté·e·x·s en février pour leurs liens avec une ONG qui a perdu son accréditation officielle (lire encadré) ajoute : « Dans la plupart des cas, la détention d’un proche affecte toute la famille. En plus de la souffrance que cause la séparation, la famille est souvent exposée à une crise financière qui met la vie quotidienne à l’arrêt. » Lui est toujours en liberté. « Cet acharnement judiciaire contre la société civile est désormais devenu la règle », constate Biha. Pour lui, c’est purement et simplement un harcèlement fondé sur une législation incompatible avec le droit international et les lois qui sont censées régir le Burundi en matière de droits humains.
Administration parallèle
À l’intérieur des murs d’enceinte, on quitte en quelque sorte le Burundi officiel. Suguru*, un autre détenu, témoigne : «Ici, une organisation interne fait cohabiter l’ordre et le désordre. Parallèlement à la police, une tribu de capitas (littéralement des contremaîtres, ici délégué·e·x·s des prisonnier·ère·x·s, ndlr) et leurs adjoints règne en maître», raconte un autre détenu. C’est elle qui gère par exemple le temps dédié aux visites : une quinzaine de minutes d’entretien, en présence des capitas, de leurs bras droits et de la police de garde. Cette mini administration parallèle est régie par la corruption. Tout service se monnaie.
«Ici, si tu n’as pas d’argent, tu n’as rien. Je connais des détenus qui dorment à la belle étoile, à même le sol en terre battue de la cour, qu’il pleuve ou qu’il vente, faute de moyens»Biha
Biha a par exemple obtenu une place dans une chambre de quatre lits superposés. Il a déboursé 500 000 francs burundais (environ 110 francs suisses) pour dormir dans un quartier VIP. Il y restera le temps que durera son incarcération. « Ici, si tu n’as pas d’argent, tu n’as rien. Je connais des détenus qui dorment à la belle étoile, à même le sol en terre battue de la cour, qu’il pleuve ou qu’il vente, faute de moyens », explique-t-il. Selon un observateur du Forum pour la conscience et le développement, une organisation de la société civile burundaise, « ces conditions indécentes viennent s’ajouter à une nourriture souvent périmée et insuffisante ». Pire, toujours d’après cet observateur, certaines prisonnières n’ont d’autre choix que de se prostituer pour améliorer leur quotidien.
Conscient de l’impact des coûts sur les personnes prises dans les mailles judiciaires, le gouvernement n’hésite pas à brandir la menace financière. Ainsi, dans le cas des cinq activistes arrêté·e·x·s pour leurs liens avec Avocats sans frontières (ASF), Cyprien Nizigama, un avocat lié au parti au pouvoir est venu plaider contre leur libération devant le Tribunal de grande instance de Ntahangwa. Il a exigé que les prévenu·e·x·s indemnisent le parti au pouvoir qui les avait arrêté·e·x·s à hauteur d’un million de francs (soit environ 22 200 francs suisses) pour avoir terni l’image du parti en partageant avec ASF leurs rapports sur des violences commises contre la population par les jeunes de la formation politique. Une tentative d’immiscion du pouvoir dans les affaires juridiques qui a choqué l’audience, mais n’a pas influencé les juges qui ont ordonné leur libération.