> AMNESTY: Réaliser un podcast sur les personnes âgées queers n’est pas commun…
< Aurélie Cuttat: Tout est parti d’une quête personnelle. Vieillir nous angoisse toutes les deux : Christine craint d’être seule, et moi j’ai peur de ne plus me sentir utile. On s’est aperçues qu’on n’avait pas de seniors queers dans notre entourage, qui pourraient nous raconter leur vécu, leur retraite. Avec ce podcast, nous voulions nous créer des modèles en rencontrant des personnalités âgées inspirantes, mais aussi construire des ponts entre les générations. Le but est également de visibiliser cette couche oubliée de la population.
> Qu’est-ce que cela signifie vieillir en tant que queer?
< Christine González: La peur de vieillir touche tout le monde, bien sûr. Mais il y a des aspects propres aux seniors queers, qui ont plus de risques d’être marginalisé∙e∙x∙s. De nombreuses personnes LGBTQIA+ ne peuvent pas bénéficier d’un soutien familial, car elles n’ont pas d’enfants ou parce qu’elles ont coupé les ponts avec leurs proches à cause du rejet. Il y a aussi un rapport différent aux institutions socio-médicales : la formation du personnel n’inclut souvent pas ces questions, ce qui peut mener à la discrimination d’une personne trans par exemple. Des résident∙e∙x∙s vont alors préférer « retourner dans le placard » pour éviter des discriminations. La précarité économique peut aussi être plus importante. Par exemple, les couples de lesbiennes ont généralement une retraite moins avantageuse à cause des inégalités salariales, et du fait qu’elles n’ont pas pu toucher de rente de veuve avant le mariage pour tous.
> Vous ne faites pas partie de la même génération que les personnes que vous questionnez. Quelles sont les différences que vous observez?
< Aurélie: Christine et moi venons d’une génération qui valorise le fait de se visibiliser: les personnes queers étaient poussées à s’affirmer, à aller aux prides, à s’outer au travail, tandis que les générations précédentes ont plutôt vécu dans l’optique « pour vivre heureux vivons cachés ». C’est parfaitement compréhensible, car les droits des LGBTQIA+ étaient quasi inexistants à l’époque.
< Christine: Nous avons évolué dans un milieu queer différent et cela se ressent. Les personnes plus âgées ne comprennent pas toujours le langage des jeunes, comme l’utilisation de termes anglophones ou l’écriture inclusive. Cela leur semble parfois secondaire, alors que la nouvelle génération considère ces aspects importants pour son identité. Ces décalages peuvent créer des incompréhensions.
> Qu’est-ce que l’expérience des anciennes générations queers peut apporter aux nouvelles?
< Christine: Une conscience politique forte. L’ancienne génération a énormément milité et a dû se battre à tous les échelons pour obtenir des droits. Sa détermination est très inspirante. La nouvelle génération doit certes faire face à d’autres défis, mais elle est née avec des droits et peut mieux se définir.
< Aurélie: Elle nous a laissé un héritage énorme, que ce soit en termes de slogans, de lutte, d’initiatives…
> À quoi aspirez-vous avec ce podcast?
< Christine: Nous ne prétendons pas en finir avec la discrimination et la LGBTQIA+-phobie. Mais nous sommes convaincues de la force d’une histoire, car un récit personnel peut toucher une personne et modifier son regard. Destination Vieillistan s’adresse donc à tout le monde, pas uniquement à la communauté queer.
< Aurélie: Nous donnons la voix à des seniors qui racontent leurs trajectoires pour ne pas oublier d’où nous venons. Nous ne parviendrons probablement pas à changer le monde, mais en tant que Journalistes nous avons le rôle d’éveiller les consciences.