Plusieurs maladies sont détectées tardivement chez les femmes. Exemple : l’endométriose. Les symptômes sont souvent assimilés à de simples douleurs menstruelles. © Maria Korneeva/Getty
Plusieurs maladies sont détectées tardivement chez les femmes. Exemple : l’endométriose. Les symptômes sont souvent assimilés à de simples douleurs menstruelles. © Maria Korneeva/Getty

MAGAZINE AMNESTY Soins à deux vitesses Le genre oublié

Par Natalie Wenger. Article paru dans le magazine AMNESTY n°114, septembre 2023.
Les femmes sont souvent moins bien prises en charge que les hommes. La faute aux préjugés et au manque de connaissances sur le corps féminin. Mais les choses bougent.

«Lorsque je devais aller aux toilettes, j’avais des douleurs aiguës et des crampes. Certains jours, j’avais du mal à tenir. » Lina Chopra* a enduré de fortes douleurs chaque mois pendant trois ans. Elle a longtemps hésité avant de contacter son médecin. « Je pensais que de telles douleurs étaient normales. J’avais peur de passer pour une mauviette. »

Comme elle, de nombreuses femmes, en particulier les plus jeunes, minimisent leurs problèmes de santé ou attendent avant de se faire examiner. Une situation qui s’explique notamment par les préjugés sexistes encore profondément ancrés dans le monde médical. Selon Cathérine Gebhard, cardiologue et experte en médecine de genre à l’Hôpital de l’Île à Berne, les différences entre les genres ont longtemps été ignorées dans la recherche, la prévention et le traitement des malades – avec des conséquences parfois fatales.

Les douleurs chez les femmes sont généralement diagnostiquées comme étant liées à des causes émotionnelles ou psychologiques, plutôt qu’à des causes physiologiques. Elles sont donc traitées avec des tranquillisants et des antidépresseurs plutôt qu’avec des médicaments analgésiques.

Une étude réalisée en 2018 révélait que le corps médical considère souvent les hommes souffrant de douleurs chroniques comme « courageux », alors que les femmes dans la même situation sont considérées comme « émotionnelles », voire « hystériques ». Une autre enquête menée la même année par l’Université de Floride auprès de médecins et de dentistes était parvenue à des conclusions similaires : une majorité pense que les femmes exagèrent leurs douleurs.

Lorsque Lina parle de ses douleurs à sa gynécologue, celle-ci les considère comme normales et liées à son cycle menstruel, et renonce à procéder à des examens complémentaires. « Je ne me suis pas du tout sentie prise au sérieux », confie-t-elle. Au lieu de l’écouter, la gynécologue se contente de commenter son poids. Lina en parle avec des proches et effectue des recherches. Certes, ses symptômes ne correspondent pas à 100 % aux symptômes habituels, mais un soupçon grandit : et s’il s’agissait d’endométriose, une prolifération de tissus pathologiques sur les ovaires dans la région pelvienne et/ou abdominale ? « Je voulais me rendre dans une clinique spécialisée ans le traitement de l’endométriose, mais je n’étais pas sûre que mes douleurs soient assez fortes pour cela. J’ai donc attendu », raconte la jeune femme. Elle finit par se retrouver aux urgences.

Exclues de la recherche

Selon l’Organisation mondiale de la santé, bien qu’une femme sur dix dans le monde soit atteinte d’endométriose, la maladie n’est souvent pas diagnostiquée; il faut en moyenne sept à neuf ans. Et ce, malgré le fait que l’endométriose affecte fortement la qualité de vie des personnes concernées et qu’elle puisse entraîner la stérilité.

Ce n’est pas seulement pour les maladies concernant spécifiquement les femmes qu’un traitement adéquat prend du temps. Une étude britannique a révélé que les cancers sont détectés plus tardivement chez les femmes que chez les hommes. « Les femmes qui souffrent de maladies cardiovasculaires ont également moins de chances que les hommes de bénéficier d’une prise en charge médicale intensive », explique Cathérine Gebhard. Les femmes, en particulier les plus jeunes, doivent être nettement plus malades que les hommes du même âge pour être admises aux soins intensifs, comme l’a révélé une étude suisse en 2021.

Lorsque Lina arrive aux urgences, le médecin responsable lui demande à plusieurs reprises si elle a été fidèle, les maladies vénériennes pouvant souvent entraîner des problèmes urinaires. Comme les médecins ne parviennent pas à établir un diagnostic, elle est renvoyée à la maison – toujours avec de fortes douleurs.

La discrimination des femmes s’explique en partie par le fait que la recherche médicale a longtemps pris les hommes comme référence. Les femmes étaient exclues de la recherche et les hommes étaient considérés comme de meilleurs sujets d’expérimentation, car moins sujets aux variations hormonales (absence de cycles menstruels et de grossesse). Les connaissances sur la biologie féminine se limitaient quant à elles à leur capacité – et leur « devoir » – de se reproduire. Idem pour les médicaments. « De nombreuses molécules sont optimisées pour les hommes », explique Cathérine Gebhard. Conséquence : les risques d’effets secondaires graves et indésirables sont presque deux fois plus élevés chez les femmes. Les conséquences de l’exclusion systématique des femmes de la recherche médicale se sont longtemps fait sentir dans la pratique. Ainsi, l’infarctus du myocarde, à tort considéré comme une maladie typiquement masculine, était détecté et traité tardivement chez les femmes, notamment parce que les symptômes typiques s’accompagnent fréquemment chez elles de douleurs abdominales, de nausées et de vomissements, qui sont alors mal interprétés.

La médecine de genre s’amplifie

Lina ne se laisse pas abattre et change de gynécologue. La nouvelle médecin la dirige vers un spécialiste qui confirmera ses soupçons au sujet de l’endométriose. Lina soutient que les maladies qui touchent les femmes devraient être prises plus au sérieux et les médecins davantage faire preuve de tact. « C’est justement dans la communication qu’il manque souvent une sensibilisation aux différences entre les genres », confirme Cathérine Gebhard. Selon elle, les femmes ont tendance à donner plus de détails et donc arriver à l’essentiel plus tard. De nombreux médecins coupent court au bout de quelques secondes d’entretien, alors qu’iels n’ont souvent pas encore entendu les points essentiels et risquent ainsi de poser un mauvais diagnostic.

Selon la cardiologue, une approche sensible au genre gagne pourtant du terrain – et pas uniquement pour les femmes. « Les troubles alimentaires, les dépressions ou l’ostéoporose sont par exemple toujours perçus comme des maladies typiquement féminines », déclare Cathérine Gebhard. Ces maladies sont ainsi plus rarement diagnostiquées – et donc traitées de manière adéquate – chez les hommes. Les personnes non-binaires et trans, dont les diagnostics et les traitements sont souvent entachés de discriminations, bénéficieraient également d’approches médicales sensibles au genre.

Il a pourtant fallu du temps pour que les autorités, les revues médicales et les comités d’éthique exigent une représentation égale des hommes et des femmes dans la recherche. Aujourd’hui, l’organisation faîtière des commissions cantonales d’éthique Swissethics exige que les deux genres soient représentés dans les études. Des directives spécifiques existent pour l’inclusion des femmes enceintes, afin de garantir la sécurité de l’enfant à naître. Plusieurs universités suisses ont intensifié l’enseignement et la recherche dans le domaine, tandis que la Suisse mettra sur pied un programme national de recherche sur la médecine du genre dès l’année prochaine. Le monde politique se mobilise lui aussi : le Conseil national exige une limitation des biais liés au genre, ainsi que de meilleures études sur les maladies spécifiques aux femmes. « Nous allons dans la bonne direction », avance Cathérine Gebhard. « Mais nous avons encore un long chemin à parcourir avant qu’une approche sensible au genre en médecine soit largement acceptée et intégrée dans la pratique. »

Lina a fini par recevoir le traitement dont elle avait besoin. Elle a subi une intervention chirurgicale qui a permis d’enlever les lésions d’endométriose dans le bas-ventre. Avec son partenaire, elle a enfin pu poursuivre son désir d’enfant. Avec succès : Lina est enceinte.