© André Gottschalk
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MAGAZINE AMNESTY Opinion Où est l'humanité?

Par Alicia Giraudel. Article paru dans le magazine AMNESTY n°114, septembre 2023
Malgré les noyades en Méditerrannée et les personnes qui meurent dans le désert, l'Europe continue de miser sur la dissuasion pour limiter l'immigration. Une politique inefficace et profondément inhumaine.

Pendant la pause estivale, j’ai volontairement renoncé à lire la presse. J’avais besoin de me couper de l’actualité souvent tragique à laquelle je suis confrontée dans mon travail quotidien. À mon retour de vacances, j’ai lu l’histoire de Fati Dosso et de sa fille de 6 ans, Marie. Les larmes sont montées en pensant à leurs derniers instants, assaillies par la soif qui leur coûtera la vie.

Fati Dosso et sa fille sont mortes dans le Sahara, où les températures dépassent 50 degrés. Mortes de soif, car les secours ne sont pas arrivés à temps. Elles n’avaient pas choisi de se retrouver là : refoulées à la frontière par les autorités tunisiennes, elles ont été abandonnées en plein désert libyen. Comme elles, nombre de personnes migrantes sont régulièrement déportées par la Tunisie, et abandonnées à leur sort.

Je ne peux m’empêcher d’avoir la rage au ventre à chaque fois qu’un bateau fait naufrage en Méditerranée, lorsque j’apprends que des personnes en fuite se retrouvent entassées dans des logements insalubres, parfois emprisonnées, ou comme Fati Dosso et sa fille, envoyées à une mort certaine. Où est l’humanité dans tout cela? Combien de ces histoires tragiques feront encore le tour du monde avant que nos gouvernements acceptent enfin qu’une politique d’exclusion n’est pas la solution?

Les États européens s’en lavent les mains. Ils essayent de se décharger de leurs responsabilités: à charge des États africains riverains de la Méditerranée d’assumer la responsabilité des migrant·e·x·s et des réfugié·e·x·s en provenance des régions subsahariennes. Puis, lorsque de telles tragédies se produisent, ils se rejettent mutuellement la faute. En juillet dernier, l’Union européenne (UE) a signé un protocole d’accord avec la Tunisie, offrant un soutien financier et logistique aux efforts pour limiter la migration vers l’Europe. Un accord négocié sans la participation de la société civile, et qui ne comprend aucune solution pour protéger les droits humains des personnes migrantes ou réfugiées. Pire encore, ce faisant, l’UE cautionne le comportement toujours plus répressif des autorités tunisiennes. Au lieu de chercher des solutions respectueuses des droits fondamentaux avec les Gouvernements d’Afrique du Nord, elle préfère iser sur des mesures qui reposent sur un mépris grossier des normes internationales en matière de droits humains.

Donner ne signifie pas nécessairement perdre quelque chose en retour. Le discours sur la migration doit changer de paradigme et reconnaître que nous avons touxtes le droit à la sécurité, à une vie sans violence. Façonner une politique migratoire dissuasive, répressive et discriminante, en jouant sur la crainte que les personnes qui sont accueillies en Europe menacent nos intérêts, c’est nous rendre responsables ou complices des noyades en Méditerranée, des souffrances endurées sur les routes de la migration, de la mort de Fati Dosso et de Marie.

Au lieu de regarder passivement mourir des gens en fuite et de criminaliser ceux qui les sauvent, nous devons assurer des voies de fuites sûres pour qu’enfin la longue liste de ces drames s’arrête. Nous devons demander des comptes aux responsables de crimes commis contre les migrant·e·x·s et les réfugié·e·x·s. Nous devons offrir aux personnes à la recherche de sécurité une place parmi nous. Nous devons affirmer notre humanité.