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MAGAZINE AMNESTY PortrAit Pour une libération de la parole

Par Olalla Piñeiro Trigo
Auria Miot et Lia Lainé animent des groupes de parole entre pairs pour libérer la parole et déconstruire les stéréotypes sur l’interruption volontaire de grossesse (IVG).

C'est la motivation de créer un projet associatif et des valeurs communes qui ont réuni Lia Lainé et Auria Miot. Les deux femmes se sont rencontrées l’année passée lors d’un espace d’échange sur l’IVG au festival genevois Viva la Vulva. L’une comme animatrice, l’autre comme participante. « J’ai constaté à quel point cela faisait du bien de pouvoir s’exprimer sur l’IVG entre pairs », révèle Auria. À côté de leurs occupations respectives, elles se sont rapidement associées pour lancer un groupe de parole, né en septembre 2022. Objectif : offrir un lieu d’échange aux personnes ayant recouru à un avortement. Une démarche qui prend racine dans leur propre histoire. «J’ai vécu deux IVG de façon totalement opposée», confie Lia. «Je me suis questionnée sur la façon de prendre soin de moi. Je me suis alors rendu compte qu’il n’y avait pas grand-chose qui existait au niveau de l’accompagnement émotionnel.»

Une fois par mois, celles qui souhaitent partager leur expérience et leurs ressentis peuvent prendre part gratuitement à ces cercles, à la Villa Freundler à Genève. Et cela dans une démarche collective et non pathologisante. Réfutant fermement le statut de psys, d’expertes ou de « sauveuses », Lia et Auria voient leur rôle dans l’accompagnement de la construction d’un savoir collectif et dans la libération de la parole. «Il y a des participantes qui n’avaient jusqu’alors jamais parlé de leur avortement. Elles ont gardé cela pour elles durant des années. Cela montre que les tabous autour de l’IVG sont profondément ancrés», souligne Auria.

Dans ces groupes, on retrouve des femmes de tout âge. Mais uniquement des personnes concernées ; un choix délibéré pour garantir un safe space. Chaque vécu est unique. «Toute IVG est différente. Certaines personnes ont bien vécu leur avortement, d’autres pas. C’est important de faire cohabiter les vécus», explique Lia. Raison pour laquelle ici l’avortement n’est pas abordé à travers une perspective «misérabiliste».

Alors qu’en Suisse deux projets d’initiatives antiavortement viennent d’échouer cet été, le duo se montre très critique vis-à-vis de la législation actuelle. Depuis 2002, l’IVG est réglementée par le Code pénal qui l’autorise jusqu’à douze semaines de grossesse. Passé ce délai, un avis médical est requis. « Le fait que l’avortement soit inscrit dans le Code pénal induit que c’est un acte criminel. On ne peut pas parler d’un droit, c’est plutôt une tolérance sous certaines conditions strictes », dénonce Auria. En effet, les conditions pour y recourir impliquent, en plus de protocoles et d’un encadrement sanitaire précis, une «situation de détresse» de la femme. «Cette condition est déconnectée de la réalité et nourrit beaucoup de stéréotypes», poursuit-elle. «Les principales concernées ne sont pas des ados en perte de repères, des personnes en dérive ou en marge de la société. Cela concerne toutes les classes sociales. Il faut accepter qu’il puisse y avoir des erreurs de contraception dans la sexualité.»

Le projet est reconduit pour l’année qui suit. Avec de nouvelles idées en perspective, comme le fait d’aller à la rencontre de populations marginalisées qui auraient moins l’opportunité de s’exprimer, ou de développer des synergies avec d’autres villes suisses.