> AMNESTY : Les films sur la migration sont nombreux. Mais votre approche semble personnelle…
< Khaled Jarrar : J’ai presque oublié que j’avais une caméra en main. Notes on displacement a une dimension émotionnelle pour moi : le parcours de Nadira, qui quitte un camp de réfugiés syriens pour rejoindre l’Allemagne, renvoie à mon histoire familiale. Ma grand-mère a aussi vécu l’occupation et l’horreur des déplacements forcés en 1948. Elle non plus n’a jamais pu retourner chez elle, en Palestine. J’ai naturellement dépassé ce rôle « distant » que je tiens en tant que réalisateur.
> Nadira est-elle un symbole pour le peuple palestinien ?
< Oui, je pense. Comme nombre d’entre eux, elle a vécu une vie d’exil : elle a été déplacée de force à 12 ans, puis une nouvelle fois à 79 ans. Cela fait des décennies qu’elle fuit pour trouver la paix dans un nouveau foyer. Ce n’est malheureusement ni la première, ni la dernière personne à qui cela arrive. La preuve, ce film a été tourné en 2015 mais il est toujours d’actualité. Regardez la situation à Gaza : nous nous faisons bombarder, et les institutions internationales assistent à ces crimes de guerre en silence.
> Quel regard portez-vous sur la façon dont le thème de la migration est véhiculé par les médias occidentaux ?
< Les réfugiés sont dépeints comme des victimes, des personnes sales, sans dignité. Mais ils sont surtout déshumanisés. Mon but est de montrer la réalité des déplacements forcés en me focalisant sur les principaux concernés. Dans le film, on voit beaucoup de frustration et de désillusion de la part des personnes déplacées, qui en arrivent presque à regretter d’avoir fui. Mais il y a aussi des moments plus légers, comme lorsqu’ils chantent. Mon objectif était de montrer l’humanité de ces réfugiés, qui ne sont pas des simples numéros.
> Quelles formes de violences avez-vous observées ?
< Les garde-côtes grecs ont percé le bateau dans lequel se trouvait Nadira. Dans les camps, les agents de sécurité étaient fréquemment agressifs, les gens sont parfois placés dans une chambre d’interrogatoire durant plusieurs heures, et ils sont dans le flou car on ne leur communique pas la suite des procédures. La nourriture est parfois avariée et la santé est complètement délaissée. Dans un camp de réfugiés en Hongrie, il y avait par exemple une seule infirmière pour plus de 1500 personnes.
> Est-ce que dénoncer les conditions d’accueil dans les camps fait de vous un activiste ?
< J’ai beaucoup questionné mon rôle dans ce projet. Je ne sais pas si on peut me considérer comme un activiste ; je n’aide pas directement les gens. Je dirais que je suis un artiste qui est énormément affecté par la situation. Mais je n’ai que faire de la façon dont on me perçoit. Ce qui m’importe, en revanche, c’est de montrer ce que vivent les personnes déplacées de force. Convaincre des personnes en situation de vulnérabilité de se laisser filmer était l’un des plus grands défis.
> Qu’espérez-vous réaliser avec ce documentaire ?
< De nombreuses personnes sont solidaires avec les réfugiés, mais les gouvernements européens ne prennent pas assez de mesures pour améliorer les conditions d’accueil qui sont dégradantes. Et lorsqu’ils sont accueillis, ce n’est pas par simple humanisme, mais avant tout parce qu’ils représentent une force de travail. Mais je crois en la force des images, en leur capacité à changer les choses.