Adriana Elena Bravo Morales
Remettre la tradition en question
Intégrée au coffret édité par Satellites of Art (voir encadré), la photographie Beso de Chola réalisée par l’artiste mexico-bolivienne Adriana Elena Bravo Morales interroge les liens entre la question indigène et la place de la sexualité des femmes dans une société traditionnelle. «Tout est parti d’une expérience vécue lors d’une fête, lorsqu’une amie a été draguée de manière très offensive par une chola, comme on appelle communément les femmes indigènes portant des vêtements traditionnels», raconte Adriana Elena Bravo Morales. Elle se souvient avoir été d’abord choquée par les avances de la femme, puis par sa propre réaction, dictée par une société hétéro-patriarcale : « Comment pouvais-je réagir ainsi en tant que femme et lesbienne ? » Avec sa curatrice Maria Teresa Rojas, elle décide donc de visualiser ce thème caché, quitte à s’exposer à des réactions négatives, voire à des agressions.
Elle se souvient aussi de la surprise des gens lorsque l’œuvre a été exposée. De la stupeur qui les avait saisis lorsqu’ils avaient pris conscience que la photographie représentait une réalité, les privant de rester indifférents car touchés dans leur sphère intime. Face aux réactions incontrôlables, tantôt amicales tantôt violentes, l’artiste a pu observer combien la confrontation avec le thème si personnel de la sexualité influence notre comportement. « Je veux que les spectateurs comprennent que nous sommes tous des êtres sexuels : les personnes âgées, les personnes handicapées, ... et bien sûr les femmes autochtones. »
Par son travail, Adriana Elena Bravo Morales cherche à élargir les mentalités sur la sexualité et à ajouter une image nouvelle et inhabituelle. Car les médias de masse, la publicité, la pornographie ne nous offrent qu’un seul modèle : des corps bien proportionnés qui répondent aux canons de l’esthétique occidentale, basés sur les idéaux grecs antiques de perfection et de symétrie. « C’est ainsi que nous n’avons tous que des personnes caucasiennes comme modèles de beauté dans notre imaginaire. »
Son travail lui a valu des agressions verbales, voire physiques. Des agressions qu’elle juge inoffensives au regard de la violence des thèmes qu’elle aborde. En tant qu’artiste bolivienne, elle est souvent ignorée. Mais cette invisibilisation lui permet toutefois de travailler sans entraves.
Pour Adriana Elena Bravo Morales, parce qu’elles jaillissent du plus profond des personnes qui les créent, les œuvres d’art sont un moyen de dénoncer les inégalités. Créer une œuvre, c’est remettre en question le grand tout. « L’art est un mode de connaissance qui nous amène à comprendre non seulement intellectuellement, mais aussi émotionnellement, voire intuitivement. Travailler comme artiste donne la possibilité de représenter ce qui est caché et de dénoncer l’oppression. »
Seyha Hour
Le pinceau guidé par les droits humains
Né en 1991 dans une région du Cambodge dominée par les Khmers rouges, Seyha Hour a connu la violence et la pauvreté dès son plus jeune âge. Lorsqu’il a 12 ans, ses parents appauvris le confient à une plantation thaïlandaise, où il devra travailler dur. Son asservissement ne prend fin que lorsqu’il est arrêté par la police thaïlandaise en tant que « clandestin ». Une organisation le prend alors en charge, le place dans un foyer pour enfants au Cambodge et l’initie aux arts visuels.
Le travail de Seyha Hour s’inspire essentiellement des images spirituelles que l’on trouve dans les temples bouddhistes : « Enfant, je croyais déjà que la forêt était peuplée de nombreuses créatures. Tous ces esprits que je peins sont issus de mon imagination d’enfant, nourrie par mon père. Celui-ci m’avait parlé des crimes qui avaient été commis ici dans les années 1990. Je me souviens qu’enfant, je me promenais dans la forêt et ai découvert mes premiers cadavres et leur terrible odeur. »
Son travail d’artiste thématise sans cesse les expériences qu’il a vécues en tant qu’enfant asservi ainsi que la cruauté de la guerre. Seyha Hour estime qu’il est de son devoir d’attirer également l’attention sur les injustices actuelles dans son pays. « Les droits humains jouent toujours un rôle dans mon travail et guident souvent mon pinceau de manière inconsciente, même lorsque je peins des paysages ou des œuvres abstraites. »
Selon lui, les rares artistes qui, comme lui, s’expriment de manière critique au Cambodge ont eux-mêmes vécu des violations de leurs droits fondamentaux. Jusqu’à présent, ses peintures militantes ne lui ont pas valu d’être inquiété par les autorités. Mais le risque existe bel et bien « si les autorités comprenaient mieux l’art moderne, si elles savaient comment lire le sens caché des œuvres d’art modernes, je serais en danger. »