© André Gottschalk
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MAGAZINE AMNESTY Opinion Protéger sans parti pris

Par Alexandra Karle, directrice d'Amnesty Suisse. Article paru dans le magazine AMNESTY n°115, décembre 2023
Qu'ont en commun la Déclaration universelle des droits de l'homme, l'État d'Israël et la «Nakba»? Tous trois fêtent cette année leurs 75 ans.

Cela fera bientôt 75 ans que l’Assemblée générale des Nations unies adoptait la Déclaration universelle des droits de l’homme, le 10 décembre 1948. Face aux horreurs de la Seconde Guerre mondiale et de la Shoah, le respect des droits humains était apparu comme une priorité absolue. Et avec lui le besoin de protéger la population civile dans les conflits. Des principes essentiels qu’Amnesty International ne cesse de revendiquer depuis.

Ce sont pourtant bien des civil·e·x·s – des jeunes, des enfants – qui ont été pris·e·x·s pour cible lors des attaques du Hamas le 7 octobre dernier. Plus de 200 personnes ont été enlevées lors de l’attaque et retenues à Gaza. Les familles touchées ne sont pas seules à pleurer les morts et les disparitions, à craindre pour les otages : ces événements ont provoqué un choc profond dans la société israélienne et à travers le monde. La riposte militaire du gouvernement israélien touche elle aussi surtout la population civile. Dans la bande de Gaza, des familles entières meurent sous les bombes, les maisons et les infrastructures sont détruites. Une grande partie des habitant·e·x·s est en fuite et soumise à une catastrophe humanitaire sans précédent.

Depuis le 7 octobre, les équipes d’Amnesty enquêtent et documentent les violations des droits humains sur place. Dans le contexte d’un conflit armé, nous nous référons au droit international humanitaire, y compris aux Conventions de Genève. Le « droit de la guerre » est valide universellement ; il consacre dans la loi la protection des populations civiles. Violer ce droit peut être considéré comme un crime de guerre.

Amnesty travaille sur la base du droit ; nous ne prenons pas parti. Pourtant, notre organisation est régulièrement critiquée. Tantôt qualifiée d’antisémite ou hostile à Israël, tantôt jugée passive face à la souffrance des Palestinien·ne·x·s. Les critiques ne sont pas adressées qu’à Amnesty, mais aussi aux personnes qui la représentent.

L’escalade actuelle a conduit à une polarisation sans précédent de l’opinion publique. Le sens de l’humanité s’en trouve affaibli. Je refuse d’accepter que l’empathie avec la souffrance des habitant·e·x·s de Gaza et la condamnation des violations des droits humains commises par l’armée israélienne soient interprétées comme antiisraéliennes, encore moins comme antisémites. Pas plus qu’une condamnation des meurtres et des prises d’otages par le Hamas ne reflète une position anti-palestinienne.

J’ai été profondément bouleversée en voyant apparaitre des croix gammées dans les rues de ma commune. Mais aussi par le nombre croissant d’attaques contre les juifs et les juives dans le monde. Nous ne devons pas tolérer la montée de l’antisémitisme, nous devons nous y opposer résolument.

Ce n’est pas pour autant qu’il faut négliger la protection des civil·e·x·s palestinien·ne·x·s. Un peuple entier ne saurait être puni collectivement pour les crimes du Hamas. Une voie médiane est possible : défendre les droits humains, la compréhension mutuelle et l’humanité est plus que jamais nécessaire en cette période remplie de haine.

L’année 1948 aura été un tournant pour les droits humains. Elle marque également la création d’Israël, immédiatement suivie de la première attaque que le jeune État a subie. Et c’est encore l’année de la Nakba – le terme utilisé par les Palestinien·ne·x·s pour désigner l’expulsion de leur patrie ancestrale. Deux événements qui ont créé de profonds traumatismes. Chez les Israélien·ne·x·s, qui voient le droit à l’existence de leur État continuellement remis en question. Chez les Palestinien·ne·x·s qui luttent pour une vie libre et digne. Aujourd’hui, malgré tout, une lueur d’espoir se profile. Cette lueur est entretenue par les personnes qui, dans le monde entier, portent le deuil ensemble, se réunissent afin de manifester pour la paix et gardent espoir qu’elle soit un jour possible.