Le principal problème lorsque l’Occident parle de restitution de biens culturels, c’est que ce ne sont que quelques voix bien précises qui se font entendre. En effet, les spécialistes qui s’expriment en public ne sont généralement pas Africain·e·x·s. Par conséquent, le débat dans les pays et les institutions occidentales continue de se concentrer presque exclusivement sur les objets eux-mêmes, et non sur les conséquences de la perte de ces objets pour les communautés touchées dans les pays africains. Tout simplement parce que la communication entre l’Occident, les expert·e·x·s d’Afrique et les personnes concernées est difficile. Mais pour moi, cette question va au-delà de la simple restitution et de la préservation d’objets d’art.
Le projet Open Restitution Africa, que je dirige avec Chao Tayiana Maina, vise à rassembler des informations sur les objets d’art, les nouvelles pratiques muséales et les connaissances des différentes communautés africaines. Depuis un certain temps, nombre d’entre elles ont perdu l’accès à une grande partie de leur patrimoine culturel. J’ai découvert ce sujet par hasard : dans le cadre d’un projet, je cherchais des données sur les artefacts rapatriés et ai constaté qu’il n’y en avait tout simplement pas. Il n’existait aucune donnée permettant d’entamer le processus de restitution. Lors d’une conférence en Namibie, j’ai rencontré Chao Tayiana Maina, qui avait créé African Digital Heritage, une plateforme qui s’occupe de la numérisation des biens culturels. Comme j’étais intéressée par l’analyse des données sur le processus de restitution, nous avons commencé à collaborer.
Biens culturels et numérisation
Nous avons rapidement réalisé que la numérisation était un outil central pour rendre le débat sur la restitution plus inclusif. Il y a plusieurs exemples de bonnes pratiques, comme le travail du Women’s History Museum en Zambie, qui utilise WhatsApp pour tenter de rassembler des histoires sur des objets volés qui revêtaient une importance quotidienne pour les Zambiennes. Ou les modèles 3D des anciens camps de travail au Kenya réalisés par Chao, qui retracent la révolte des Mau Mau ou les conséquences traumatisantes de la colonisation.
«Il ne s’agit de rien de moins que de la reconquête de notre histoire précoloniale, de traditions culturelles complexes dont le peuple africain est privé depuis des siècles par le Nord global.»
Molemo Moiloa
L’investigation numérique permet de révéler les aspects cachés du passé. Mais ces méthodes démontrent aussi la fragilité des systèmes africains, notamment le fait que l’accès à internet est encore limité sur le continent. En parallèle, dans de nombreux États africains, les personnes utilisent des solutions numériques comme les transferts d’argent par mobile. C’est donc précisément parce que les gens sont habitués à cette numérisation dans leur quotidien que la numérisation de notre patrimoine culturel représente un grand potentiel.
Les musées occidentaux travaillent eux aussi depuis longtemps avec le concept de numérisation, parfois à la va-vite. Celle-ci soulève des questions éthiques sur la propriété, les droits d’auteur·trices et la restitution… Quels sont les dommages causés par le vol de nombreux objets traditionnels dans les communautés concernées ? Comment y remédier une fois la décision prise de restituer les œuvres ?
Panser les plaies du passé
Le thème de la restitution peut être pensé de manière beaucoup plus large qu’il ne l’a été jusqu’à présent, en incluant des réflexions sur les conséquences sociales. Nous devons également appréhender les sciences naturelles et l’archéologie. Outre les bronzes du Bénin, que beaucoup connaissent désormais, il existe un immense patrimoine matériel et immatériel. Qu’en est-il par exemple des dinosaures de Tendaguru, dont les restes ont été découverts dans l’actuelle Tanzanie et se trouvent aujourd’hui au Musée d’histoire naturelle de Berlin ? Et l’os d’Ishango, actuellement exposé à l’Institut royal des sciences naturelles de Belgique ? On suppose que cet objet originaire du Congo et qui date de l’âge de pierre est l’un des premiers instruments de calcul au monde.
Si les objets mentionnés avaient été trouvés en Europe, ils feraient probablement partie de sa « propre » histoire culturelle et scientifique. Mais avec l’Afrique comme lieu d’origine, les récits changent. Nous devons discuter de la manière dont les perceptions diffèrent et comment de nouvelles formes de coopération peuvent voir le jour. En Afrique aussi, il faut réfléchir ouvertement et de manière introspective à ce que devraient être les musées de demain. Dans plusieurs cas, nous n’avons pas encore les outils nécessaires.
Nous devons ouvrir le débat, surtout lorsqu’il s’agit de biens culturels volés. Il faudra beaucoup de temps, d’espace et d’échanges pour réintégrer les objets dans nos cultures et réparer les plaies du passé. Ce processus donnera certainement lieu à des frictions et des confrontations houleuses avec les institutions européennes. Car il ne s’agit de rien de moins que de la reconquête de notre histoire précoloniale, de traditions culturelles complexes dont le peuple africain est privé depuis des siècles par le Nord global.
*L’écrivaine et journaliste de Hambourg, Elisabeth Wellershaus, est spécialisée dans les domaines de l’art et de la diaspora africaine. Elle a écrit cette tribune pour le compte de Molemo Moiloa.