Le lundi 14 avril 2014, 276 élèves se préparaient à passer leurs examens dans l’école secondaire du village de Chibok, au Nigeria lorsque des combattants de Boko Haram ont fait irruption dans le bâtiment. À ce jour, un peu moins d’une centaine d’écolières sont toujours portées disparues.
Celles qui sont revenues ne sont plus pareilles. Beaucoup ont subi des violences sexuelles, des mariages et des conversions forcées, certaines ont entre-temps donné naissance à des enfants. Toutes n’ont pas eu la chance de retrouver leurs parents: plusieurs seraient mortes en captivité, d’autres comme kamikazes. Depuis ce 14 avril, Boko Haram a systématiquement envoyé des femmes commettre des attentats. Selon le groupe de réflexion Council on Foreign Relations, environ deux tiers des attentats du groupe ont été menés par des femmes. Une stratégie destinée à «économiser» les combattants masculins pour des missions plus importantes, selon l’International Crisis Group.
Comme à Chibok, les femmes sont particulièrement touchées par les violences des groupes islamistes qui se propagent au Sahel. Pourtant, «les femmes sont quasiabsentes des débats sur la lutte contre la violence extrémiste, encore dominés par des considérations militaires», explique Nicoletta Barbera, responsable de programme pour l’Afrique à l’Institut américain pour la paix (USIP). Les efforts des gouvernements se concentrent sur les interventions militaires, souvent contre-productives, en particulier au Sahel, ainsi que le dialogue avec les leaders politiques et religieux – majoritairement des hommes. Les facteurs sociopolitiques, tels que l’accès à la terre et aux ressources naturelles, la corruption ou la pauvreté, sont rarement pris en compte, quand bien même ils sont instrumentalisés par les jihadistes pour recruter.
«Malgré leur rôle central dans la prévention de l’extrémisme, les femmes sont rarement considérées comme des partenaires», explique Nicoletta Barbera, qui dirige à l’USIP un programme qui travaille avec des femmes touchées par l’extrémisme au Nigeria, Niger, Burkina Faso et Mali. Du fait de leur place centrale au sein de la famille et de la communauté, les mères sont particulièrement influentes auprès des jeunes, premières cibles des recruteurs.
Le programme de l’USIP vise ainsi à créer un réseau de femmes qui défendent leurs communautés auprès des autorités locales, et à fournir des stratégies de déradicalisation aux côtés d’organisations féminines locales. «Souvent, les femmes reconnaissent très rapidement les signes de radicalisation. Elles collaborent avec les autorités locales pour chercher des alternatives aux mesures sévères, comme les peines de prison préventives», explique Nicoletta Barbera.
Joy Bishara, une survivante de Chibok, veut aider les femmes victimes de violences.
© Bonnie Cash/UPI/laif
L’éducation est un facteur central dans le renforcement du rôle des femmes : c’est pourquoi le Global Community Engagement and Resilience Fund, un fonds mondial pour la prévention de l’extrémisme, a financé des projets dans la région du Sahel. Au Mali, ce sont ainsi 10 338 femmes qui ont été formées à la prévention de l’extrémisme et des conflits. Au Mali et au Burkina Faso, 297 radios communautaires sensibilisent au problème de la radicalisation. Au Nigeria, l’ONG Women without Borders a lancé en 2015 le projet MotherSchools, pour prévenir la radicalisation et implanter des processus de paix. De son côté, la Neem Foundation aide à réinsérer environ 1250 personnes par mois – anciens combattants et victimes.
Deux rescapées de Chibok veulent s’engager activement contre la radicalisation. Joy Bishara souhaite fonder une organisation d’aide à Chibok, et Lydia Pogu ambitionne de devenir avocate des droits humains «pour rendre justice aux gens et aux filles de Chibok». Car comme elle avait déclaré au magazine People : «Boko Haram ne doit plus déterminer comment les femmes doivent vivre.»