L’incident survenu mi-décembre l’a clairement montré : la violence des mouvements islamistes a définitivement atteint le Bénin. Dans le nord du pays, non loin de la frontière avec le Niger, une bombe artisanale explosait au passage d’une patrouille, tuant deux soldats sur le coup. Trois semaines plus tard, les forces de sécurité béninoises ont tué cinq hommes armés dans le village de Tissoua, une centaine de kilomètres plus loin, comme l’ont rapporté les médias locaux.
C’est un fait : l’extrémisme se propage au Bénin. Selon l’ONG Armed Conflict Location and Event Data Project (ACLED), basée aux États-Unis, la situation dans le pays est « turbulente ». Le Bénin occupe la 43e place des pays les plus conflictuels au monde. Depuis fin 2021, des mouvements extrémistes comme le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM), proche d’Al-Qaïda, et l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS) y sévissent. Les régions septentrionales des États côtiers du Togo, du Ghana et de la Côte d’Ivoire sont également touchées.
Pourtant, l’ancienne colonie française qui partage ses frontières avec le Nigeria à l’est, le Burkina Faso et le Niger au nord, et le Togo à l’ouest, a longtemps été considérée comme sûre et politiquement stable. Mais surtout, comme un exemple de tolérance et de coexistence religieuse en Afrique de l’Ouest. La moitié de la population du Bénin se réclame du christianisme ; près de 28 % est musulmane et vit majoritairement dans le nord ; environ 12 % se considèrent officiellement comme des adeptes du vaudou. En réalité, beaucoup pratiquent plus d’une religion.
Des fossés se creusent
Or, la montée du radicalisme pourrait entraîner des répercussions négatives sur la cohabitation des religions. « Le dialogue ne va pas de soi, il faut y travailler », constate Radji Saïbou, secrétaire général pour le Bénin de l’organisation Religions for Peace, qui s’engage pour le dialogue interreligieux. Ce qui est remarquable en revanche, c’est l’intérêt croissant pour le vaudou. L’année dernière, lors d’une conférence de presse, Jean-Michel Abimbola, ministre du Tourisme, de la Culture et des Arts, s’est même vu demander si le gouvernement favorisait le vaudou par rapport aux autres religions. Le gouvernement avait organisé pour la première fois le festival Vodun Days autour du 10 janvier, jour de fête officiel des religions autochtones. Le Bénin est pourtant un État laïc.
Alors que l’intérêt pour cette ancienne religion, longtemps mal vue et considérée comme rétrograde, est en hausse, la cohabitation entre les communautés chrétiennes et musulmanes se fait plus discrète. Dans le nord, il y a toujours eu des amitiés entre les représentants des deux religions. À Gogounou par exemple, le prêtre catholique Denis Kocou rencontre régulièrement l’imam de son quartier, Ibrahim Guerra, signe d’une cohabitation pacifique.
Mais personne ne souhaite s’exprimer sur le climat et la situation actuelle. Les demandes restent sans réponse. « Nous avons moins de contacts qu’avant », admet Djelil Yessoufou, l’imam de la mosquée centrale d’Aïdjèdo, un quartier de la métropole économique et portuaire de Cotonou. Lui aussi s’engage pour des débats et des rencontres interreligieuses. Les raisons ne sont toutefois pas les conflits et le manque d’intérêt selon lui, mais un « manque de moyens financiers » pour l’organisation de rencontres.
La peur empêche le dialogue
Ces dernières années, les gens semblent plus prudents, surtout dans le nord – théâtre des attaques. On préfère ne pas s’exprimer sur la situation sécuritaire et le danger des milices terroristes. La méfiance envers les autres a grandi. On se tait pour se protéger.
Des craintes qui gagnent peu à peu le pays. « Les gens ont peur », confie Djelil Yessoufou. Certes, ici, à plusieurs centaines de kilomètres au sud, les attentats sont encore loin et il n’y a guère d’informations sur ce qui se passe au nord. Mais en tant que secrétaire général de l’Union islamique du Bénin, Djelil Yessoufou est en contact avec des imams et des représentants de mosquées de tout le pays, et échange régulièrement avec eux. « Les gens s’inquiètent parce que l’extrémisme se répand. Il y a des enlèvements et des agressions. »
Une attaque particulièrement violente a eu lieu en mai 2023 dans le département de l’Atacora, situé au nordouest du pays. Dans les villages de Kaobagou et Guimbagou, des hommes armés ont assassiné vingt personnes. Quatre mois plus tard, les Nations unies comptaient près de 10 000 personnes déplacées à l’intérieur du pays.
L’extrémisme est visible depuis longtemps. Selon le dernier rapport du groupe de réflexion néerlandais Clingendael sur le développement dans le nord du Bénin, des témoins auraient vu des partisans du groupe radical JNIM proférer des menaces contre une école publique à la mi-mai 2023 et exigé sa fermeture. Le JNIM est né en 2017 après la fusion de plusieurs milices au Mali, où des villages entiers sont sous leur contrôle. La population locale est contrainte de se conformer à une interprétation particulièrement stricte de la charia, la loi islamique. De manière générale, les organisations islamistes violentes de la région exercent une pression massive sur les écoles.
Un manque de perspectives
On a longtemps pensé que la violence se propageait de l’extérieur vers le pays. Mais le rapport Clingendael montre qu’il y a eu depuis longtemps un chevauchement. Des personnes s’adonnant à la contrebande ont par exemple rejoint des groupes extrémistes violents.
Celleux qui se rendent à Parakou entendent souvent dire que la région se sent délaissée. La ville se trouve au centre du Bénin, mais est considérée comme faisant partie du nord. Depuis le coup d’État au Niger en juillet 2023, les affaires vont mal. En raison de la fermeture des frontières, les marchandises ne peuvent plus être transportées dans le pays voisin. Les entreprises de transport, les chauffeurs, mais aussi les femmes qui se tiennent sur les axes routiers pour vendre de la nourriture en souffrent. Ce sont surtout les jeunes qui se plaignent du manque de perspectives. Selon le Programme des Nations unies pour le développement, ce n’est pas tant l’idéologie religieuse que le manque d’emplois qui pousse les gens à rejoindre des mouvements extrémistes. Cela, dans un contexte de nombreux conflits locaux pour l’accès à la terre.
L’imam Yessoufou mise sur une approche globale. Si l’on parle d’extrémisme, il faut aussi parler de la composante sociale. Outre des perspectives pour les jeunes, des mesures de prévention sont importantes. « Nous avons par exemple une responsabilité en ce qui concerne les programmes d’enseignement des écoles coraniques. Les idées radicales ne doivent pas y avoir de place. »