Nour Emam s’est appuyée sur sa propre expérience pour aider d’autres Égyptiennes dans leur maternité et vie sexuelle. © motherbeing
Nour Emam s’est appuyée sur sa propre expérience pour aider d’autres Égyptiennes dans leur maternité et vie sexuelle. © motherbeing

MAGAZINE AMNESTY Egypte Le droit de jouir

Par Hannah El-Hitami. Article paru dans le magazine AMNESTY n°116, mars 2024
Au Caire, une clinique gynécologique fournit des cours d’éducation sexuelle. Une démarche originale pour défendre les droits des Égyptiennes en levant le tabou qui entoure leur corps et leur sexualité.

Impossible de veiller à sa santé si l’on ne connait pas son propre corps. C’est pourquoi les patientes de la clinique gynécologique Motherbeing, au Caire, commencent par suivre quelques cours d’éducation sexuelle. Avant leur première visite, les jeunes filles et les femmes reçoivent un livret appelé Body Basics. Elles peuvent y découvrir comment leurs seins ou leur vulve sont faits, et comment ces organes fonctionnent. La brochure explique aussi le fonctionnement des ovaires et de l’utérus, ce qu’est le clitoris et sa taille – beaucoup plus importante que beaucoup ne le pensent. On y apprend encore que le vagin ne doit pas forcément sentir la rose, quelles odeurs doivent en revanche vous inquiéter ou quels sont les symptômes qui justifient une visite médicale. Un condensé d’informations de base en somme, destiné à équiper les patientes avec les connaissances dont elles ont besoin pour poser les bonnes questions et comprendre un diagnostic.

Motherbeing est différente des autres cliniques gynécologiques d’Égypte et de la région – et même d’ailleurs. Car ici, l’éducation sexuelle fait partie intégrante du traitement. La fondatrice, Nour Emam, a puisé dans sa propre expérience traumatique à la naissance de sa fille pour éduquer les femmes sur leur corps, leur santé et leurs droits sexuels.

Elle a commencé sur Instagram pendant quelques années, avant d’ouvrir sa propre clinique au Caire, en mars 2023. Outre d’informer, elle s’est fixé pour objectif de combattre la façon dont les femmes actives sexuellement, ou qui enfreignent d’autres règles conservatrices, sont jugées. Car, elle en est convaincue, une grande partie de l’ignorance en matière sexuelle et reproductive provient du tabou qui entoure le corps et la sexualité des femmes.

Désinformation

L’hymen doit être intact pour prouver la virginité : faux. Des règles douloureuses signifient que l’on n’est plus fertile : faux. Avoir accouché une fois par césarienne vous interdit tout autre accouchement par voie basse : encore faux. Nour Emam est régulièrement confrontée à bon nombre de croyances, qu’elle cherche à déconstruire avec ses patientes. Lors d’un appel vidéo, l’Égyptienne, 31 ans, nez percé et tatouages fantaisistes, explique : « C’est parce qu’il n’existe pas d’éducation sexuelle dans la famille ou à l’école, que nous, femmes, devons naviguer à travers tout un tas de préjugés et de désinformation pour nous approprier notre santé. »

Nour Emam a toujours été fascinée par la grossesse et l’accouchement. Musicienne de formation, elle a travaillé pendant des années comme DJ et productrice, jusqu’à la naissance de sa fille en 2019 qui a marqué un tournant dans sa vie. Sans raison apparente, le corps médical aurait déclenché le travail beaucoup trop tôt pour ensuite pratiquer une césarienne, contre la volonté de la jeune femme. Les violences obstétriques n’existent certes pas qu’en Égypte, c’est un phénomène mondial. Mais ici, la plupart des femmes confrontées à de tels actes n’arrivent pas à refuser des interventions, parfois sans anesthésie, et sont fréquemment négligées.

Nour Emam l’a vécu. Malgré une préparation intensive à l’accouchement, elle se retrouve démunie, impuissante au moment décisif. Après la naissance de sa fille, elle tombe dans une profonde dépression. C’est alors qu’elle découvre les doulas, ces personnes qui accompagnent pendant la grossesse et la naissance. Sans plus attendre, elle suit une formation en ligne, puis commence à poster des vidéos sur Instagram afin de promouvoir son travail et de défendre les droits des femmes pendant la grossesse et l’accouchement. Rapidement, elle se rend compte que nombre de ses followers n’étaient pas des futures mères, mais des filles et des jeunes femmes qui se posaient des questions sur leur corps. Une révélation pour Nour Emam : « Pour avoir une expérience positive de l’accouchement, il faut être informée bien avant. » Forte de ce constat, elle lance des cours en ligne pendant la première année de la pandémie de Covid-19, où elle aborde les menstruations, le sexe et les méthodes de contraception. Trois ans après sa création, Motherbeing compte aujourd’hui plus de 600 000 followers

Atmosphère accueillante

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L’équipe médicale de la clinique est unique en son genre. Elle explique la nature des interventions et s’interdit d’introduire un appareil d’examen sans le consentement de la patiente. Après leur examen, les patientes peuvent discuter tranquillement des questions en suspens et des prochaines étapes avec une coordinatrice de soins. « Dès le moment où nous fixons un rendez-vous, nous prenons les patientes par la main », explique la directrice de la clinique, Nadine El Borollossy.

Les cabinets médicaux sont une denrée rare en Égypte, et les hôpitaux publics sont surpeuplés. La plupart des Égyptiennes ne peuvent pas se permettre de se faire soigner chez Motherbeing, les collaborateur·rice·x·s de la clinique en sont conscient·e·x·s. « Nous aimerions proposer des traitements pro bono ou subventionnés », déclare Nadine El Borollossy. Mais jusqu’à présent, les moyens leur font défaut. Une partie de l’offre de Motherbeing est tout de même accessible gratuitement sur Instagram : on peut y trouver des vidéos d’information. Les femmes peuvent également participer à des cours en ligne à des prix avantageux, commander des guides ou demander des conseils.

Ces consultations en ligne permettent également à d’autres patientes – des jeunes ados, des femmes mariées ou vivant dans des régions rurales – d’avoir accès à des soins : « Dans notre culture, il n’est pas courant que les femmes non mariées se rendent à des consultations préventives », explique la directrice. Nour Emam ajoute : « Certaines filles souffrent d’infections pendant des années parce que leurs parents ne les amènent pas chez le gynécologue. » Les jeunes femmes peuvent, si elles le souhaitent, éteindre leur caméra ou simplement consulter un·e·x médecin par chat.

Motherbeing s’intéresse aussi à l’autodétermination sexuelle. Mais informer le public est un défi en Égypte. « Les conservateurs nous ont reproché d’encourager les filles à la liberté sexuelle », explique Nour Emam. Depuis que la clinique compte des médecins dans l’équipe, c’est plus facile. Elles se sont également adaptées. « Nous avons compris qu’en utilisant des mots moins controversés, nous pouvions atteindre beaucoup plus de personnes », précise la fondatrice. Par exemple, elle et ses collègues parlent de « nuit de noces » au lieu de « première fois », disent « mari » au lieu de « partenaire ». « En revanche, nous pouvons désormais parler ouvertement de sexe et d’intimité, et du fait que les femmes ont elles aussi le droit de jouir », conclut Nour Emam.