« La masculinité est parfois mal comprise : on la mélange avec le patriarcat », dit  Léon Salin. © Gabriel Monnet
« La masculinité est parfois mal comprise : on la mélange avec le patriarcat », dit Léon Salin. © Gabriel Monnet

MAGAZINE AMNESTY Interview culturelle Une mosaïque de la masculinité

Propos recueillis par Olalla Piñeiro Trigo. Article paru dans le magazine AMNESTY n°116, mars 2024
Dans le nouveau podcast Transmance, l’activiste trans lausannois Léon Salin questionne le rapport à la masculinité aux côtés de personnes concernées.
AMNESTY : Pourquoi avoir créé ce podcast, et quel est le fil rouge ?


Léon Salin :
J’ai beaucoup partagé ma transition sur les réseaux sociaux. Désormais, je veux montrer la transidentité de façon plus globale et profonde : je donne des formations et je viens de lancer ce podcast. La première saison se focalise sur les hommes trans et sur les enjeux liés à la masculinité. Nous avons plein de réflexions intéressantes à apporter sur ce sujet car nous avons un vécu particulier, souvent teinté de violence, de sexisme. J’ai essayé d’inclure des intervenant·e·x·s aux expériences et points de vue variés.

À qui s’adresse Transmance ?

À un public aussi large que possible ! J’ai toujours été dans une optique de vulgarisation de la transidentité, car je cherche à changer la représentation sociale des hommes trans. Quand j’ai réalisé que j’en étais moi-même un, j’ai eu du mal à l’accepter à cause de l’idée négative que je m’en faisais. J’aimerais que l’image de la transidentité devienne plus positive.

Tu te définis comme « homme trans ». Pourquoi ?

Lorsque j’étais en échange à l’étranger pour mes études, je n’ai pas dit à mon nouvel entourage que j’étais trans ; je voulais vivre « incognito » en quelque sorte, comme un homme cis. Mais la réalité, c’est que je n’en suis pas un ! L’aspect trans fait partie de moi et m’a apporté une vision tellement riche et différente de la vie. Elle m’a fait comprendre les rapports de genre et de pouvoir. Je n’ai pas envie de l’effacer. Au contraire, je tiens à la visibiliser dans l’espoir de plus de tolérance et d’acceptation.

Est-ce que ta vision de la masculinité a évolué ?

À fond ! Au début de ma transition, lorsqu’on me percevait comme une femme, c’était dur d’exprimer ma masculinité. J’étais davantage dans la déconstruction du genre, avec une forte identité queer. Depuis, je ressemble à ce que j’ai toujours rêvé. Je suis à l’aise dans ma masculinité. Mais la masculinité est parfois mal comprise : on la mélange avec le patriarcat. Selon moi, il est essentiel que chaque mec s’éduque pour comprendre ses privilèges sociaux et la place qu’il occupe dans l’espace public. Mais après ce travail sur soi, la masculinité peut être belle et douce.

Tu es en couple avec une femme. Comment vis-tu ta masculinité ?

Ma copine m’a aidé à affirmer mon identité d’homme, malgré les doutes que je peux avoir. Mais je reçois beaucoup de témoignages de personnes trans qui me confient que leurs relations sont compliquées, qui craignent que leur partenaire les quitte en cas de transition. Le couple peut être source d’angoisse. Je vois un peu ma transidentité comme un « filtrage » de mes relations. Je n’ai pas envie d’être avec une personne qui n’est pas ouverte là-dessus.

Finalement, comment c’est d’être un homme trans en Suisse ?

La Suisse est plutôt conservatrice. J’étais l’un des premiers mecs trans actifs sur les réseaux et au début, c’était difficile. J’ai subi plusieurs violences. Mais depuis la Grève féministe suisse, je remarque une évolution positive. La question occupe de plus en plus le débat public. Mais il y a encore des efforts à faire : nous n’avons pas de législation qui protège spécifiquement les personnes trans contre la discrimination, j’ai dû me battre pour que les assurances remboursent mes opérations et il y a aussi une couverture médiatique problématique, fortement axée sur les détransitions.