Les moyens mobilisés pour déloger les activistes qui occupaient la forêt de Rümlang le 20 avril 2023 étaient disproportionnés. © DR
Les moyens mobilisés pour déloger les activistes qui occupaient la forêt de Rümlang le 20 avril 2023 étaient disproportionnés. © DR

MAGAZINE AMNESTY Suisse Manifester coûte que coûte

Par Baptiste Fellay. Article paru dans le magazine AMNESTY n°117, juin 2024
Des jeunes zadistes encourent des peines pécuniaires très lourdes pour avoir occupé une forêt vouée à la destruction dans le canton de Zurich. Des mesures dissuasives qui menacent les libertés d’expression et de réunion.

L’aventure aura duré près de deux semaines. Le 20 avril 2023, la police zurichoise déloge les activistes pour le climat du collectif Wald statt Schutt (« la forêt plutôt que les déchets »), qui occupaient la forêt de Rümlang pour s’opposer de manière pacifique à l’extension d’une décharge de matériaux de construction qui doit engendrer l’abattage de 6000 arbres. Pourtant, l’histoire de cette ZAD ne se termine pas avec l’expulsion des militant·e·x·s. Quatorze personnes sont dans le viseur des autorités : il leur est notamment demandé de rembourser les frais d’intervention de la police et de l’entreprise de sécurité privée engagée par les propriétaires de la forêt pour les deux semaines qui ont suivi l’évacuation.

Une pratique intimidante qui porte un nom : on parle de chilling effect lorsque des autorités imposent des sanctions dont la menace décourage les citoyen·ne·x·s d’exercer leurs libertés d’expression et de réunion et qui peuvent constituer une violation du droit international. Un acharnement aux yeux de Timea*, l’une des zadistes de la forêt de Rümlang : « Les quatorze personnes concernées ont été choisies arbitrairement. Elles ne représentent pas forcément le collectif, mais étaient simplement présentes le jour de l’intervention. On parle de montants très élevés, surtout pour des étudiants. On essaie de nous intimider. »

Réaction excessive

Durant les deux semaines que dure la ZAD de Rümlang, balades et concerts sont organisés pour faire découvrir la forêt et créer un lien avec la population. « Nous avons eu beaucoup de visites, d’un public très large, allant des familles avec enfants aux personnes âgées », se réjouit Timea. « Nous avons créé un lien avec les habitants, qui ne veulent pas non plus de ce projet. On sent que cette forêt est importante pour eux. »

Le dialogue avec les autorités et les propriétaires du site, une exploitation forestière, avait également été maintenu pendant l’occupation. De façon constructive, jusqu’à ce que les pouvoirs publics y mettent brutalement fin. « Ils ont décidé de nous évacuer. Il y avait plus de dix policiers par activiste présent, les forces spéciales d’intervention ont été mobilisées. Nous menions une action pacifique, nous avons laissé la forêt intacte. Un tel déploiement n’était pas nécessaire », s’emporte Stefanie*, elle aussi membre du collectif. La plupart des zadistes quittent d’ailleurs le bois dès l’arrivée de la police. Trois personnes sont arrêtées avant d’être relâchées deux heures plus tard. « La police a fait preuve de violences verbales et psychologiques. On nous a insultés et menacés. »

Union contre la répression

À l’annonce des transferts de coûts qui planent sur les ex-zadistes, Wald statt Schutt se transforme alors en Wald statt Repression : on s’organise pour aider juridiquement et financièrement les personnes accusées, mais aussi pour défendre la liberté de manifester. Début mai, la Direction de la sécurité du canton de Zurich a rejeté le recours du collectif. Mais les activistes n’abandonnent pas. Iels rappellent de plus dans un communiqué qu’aucun jugement pénal n’a été prononcé. Si nécessaire, l’affaire sera portée devant la Cour européenne des droits de l’homme « car c’est une violation de nos droits, poursuit Timea. Plusieurs avocats nous encouragent à le faire. »

 

* Les noms ont été modifiés pour respecter l’anonymat des personnes qui interviennent.