Les médias ont joué un rôle déterminant dans le génocide rwandais. Mais depuis quelques années, les « radios de la paix », qui proposent des pistes de réconciliation, sont en plein essor. © Ayoze O’Shanahan/AFP
Les médias ont joué un rôle déterminant dans le génocide rwandais. Mais depuis quelques années, les « radios de la paix », qui proposent des pistes de réconciliation, sont en plein essor. © Ayoze O’Shanahan/AFP

MAGAZINE AMNESTY Instrumentalisation des médias Vecteur de haine

Par Natalie Wenger. Article paru dans le magazine AMNESTY n°117, juin 2024
Hier au Rwanda, aujourd’hui sous l’impulsion de l’extrême droite en Occident, les médias propagent parfois la haine ou la violence. Des solutions existent pour contrer ce phénomène.

«Ni Izihe Ntwaro Tuzakoresha Kugira Ngo Dutsinde Inyenzi Burundu ? » Quelles armes utiliser pour vaincre une fois pour toutes les Inyenzi – les « cafards » en français – ? s’interrogeait le magazine rwandais Kangura en couverture de son numéro de novembre 1991. Un appel à la violence sans détour et avec une cible claire : la minorité tutsie.

Quelques années plus tard, la Radio télévision libre des Mille Collines émet des messages appelant à assassiner les Tutsi·e·x·s et les Hutu·e·x·s modéré·e·x·s et publie même des listes de noms. Avec pour conséquence les événements terribles que nous connaissons : entre début avril et mi-juillet 1994, jusqu’à un million de personnes, principalement tutsies, sont assassinées. « Les médias de la haine ont joué un rôle clé dans l’incitation au génocide rwandais », déclarait Mathias Ruzindana, linguiste mandaté par le Tribunal pénal international pour le Rwanda. « L’effet de la langue a été mortel. »

Les discours haineux ne doivent pas nécessairement appeler au meurtre pour être considérés comme tels. Dans son émission en prime time diffusée entre 2016 et 2023, le désormais ex-présentateur de la chaîne américaine Fox News, Tucker Carlson, inondait des millions de téléspectateur·rice·x·s de déclarations antisémites, racistes et queerphobes. Pourfendeur acharné du mouvement Black Lives Matter, il s’est servi des préjugés racistes pour légitimer la violence et la discrimination envers la communauté noire américaine, se posant en porte-voix des suprémacistes blancs.

Des chercheurs des Universités de Harvard et de Chicago ont démontré que Tucker Carlson influençait son public à partager des opinions hostiles aux minorités. « Carlson fournit aux gens des excuses pour exprimer des convictions avec lesquelles ils seraient normalement mal à l’aise », explique Aakaash Rao, chercheur à Harvard et coauteur de l’étude publiée par le magazine Time. « Des points de vue auparavant considérés comme extrêmes entrent ainsi dans le discours dominant. »

Créer des médias responsables

En Afrique du Sud, peu de journalistes ont dénoncé l’oppression de la population noire qui se déroulait sous leurs yeux. Plusieurs ont reconnu leur part de responsabilité dans la perpétuation du système d’apartheid. Lors du processus de la Commission vérité et réconciliation dans les années 1990, 127 journalistes avaient présenté leurs excuses pour le rôle qu’iels avaient joué pendant les années d’apartheid.

Depuis, diverses initiatives ont vu le jour pour contrer les discours haineux et discriminants dans les médias. De 2016 à 2018, la Fédération européenne des journalistes et une coalition d’organisations de la société civile lancent la campagne #MediaAgainstHate.

Le Rwanda a su transformer son paysage médiatique, qui est aujourd’hui utilisé pour réconcilier les mémoires. La radio International Alert Rwanda diffuse par exemple chaque jeudi un épisode de la série radiophonique Shirimpumu (en français : soulagement pour le cœur et l’esprit), qui tente de montrer une voie pour l’après-génocide. Les médias sont un vecteur. Leur impact peut aussi être positif.