Ali* n’avait que 15 ans lorsqu’il s’est lancé sur la route. Un périple de six mois à travers l’Iran, la Turquie et la dangereuse route des Balkans. «J’ai dû quitter mon pays à cause des menaces des talibans», dit le jeune Afghan qui vient d’avoir 18 ans. Ali est l’un de ces réfugié·e·x·s mineur·e·x·s qui arrivent seul·e·x·s en Suisse – on les appelle RMNA pour «réfugiés mineurs non accompagnés». Il n’aime pas raconter ce qu’il a vécu sur le chemin de la fuite. «C’était très mauvais», se contente-t-il de dire.
Arrivé en Suisse, il a dû se débrouiller seul au début. «Je ne connaissais pas ce pays, je voulais juste trouver la sécurité et la tranquillité», dit-il. «Je suis arrivé dans un centre d’asile fédéral où j’ai déposé ma demande d’asile. De là, on m’a envoyé à Chiasso. J’étais complètement perdu, je ne savais pas comment m’y rendre.» À Chiasso, il devait partager une chambre avec 13 autres RMNA. Pas question de dormir dans ces conditions.
Quatre mois plus tard, il est transféré dans un centre de transit en Suisse alémanique. Il y restera six mois. Ici, l’encadrement était un peu meilleur, dit-il. «Mais je ne dormais pas beaucoup mieux qu’à Chiasso. La chambre était située directement à côté d’une ligne de chemin de fer.» Son principal défi: l’ennui. «Nous, les garçons, on traînait, on était tout le temps sur notre portable. Plusieurs d’entre nous se blessaient intentionnellement. Je me suis scarifié, simplement pour faire quelque chose.» Les cours d’allemand qu’il suit depuis un an sont sa seule distraction.
«Ces jeunes souffrent du mal du pays, de l’incertitude de leur sort ici et des traumatismes qu’ils ont vécus», explique Susanne*. Elle travaille avec des RMNA dans des centres d’asile et suit Ali de près. «Ils ne sont pas toujours traités de manière adaptée à leur âge. On oublie souvent qu’ils sont encore en pleine puberté et ce que cela signifie pour les jeunes hommes.»
Manque de temps
Ali n’aime pas critiquer les personnes qui s’occupent de lui. Mais on devine qu’il a déjà eu des problèmes avec certaines. «Ils ne comprenaient souvent pas nos besoins. Ou bien ils n’avaient pas le temps de le faire. Une fois, la personne qui s’occupait de mon cas n’a pas été disponible pendant vingt jours. Personne ne m’a demandé comment j’allais pendant ce temps.» Et pourtant, un lit et de la nourriture ne pansent pas toutes les plaies. Il est très important pour les jeunes d’avoir une personne de référence, quelqu’un de fiable. «Beaucoup de jeunes qui ont vécu des choses terribles sont traumatisés», déclare Suzanne. Ali confirme: «Entre nous, nous parlions pendant des nuits entières de nos expériences pour tenter de les assimiler.»
Le taux d’encadrement varie d’un centre d’asile à l’autre. Dans certains centres il y a assez de place pour les RMNA et de logements externes pour les jeunes plus âgés, parfois non. Les autorités ont du mal à anticiper les besoins, et les adaptations prennent trop de temps à cause de la lenteur de l’administration, dénonce Suzanne. «Il y a un an, je devais m’occuper de 20 jeunes en deux jours par semaine. J’avais à peine le temps de m’occuper d’eux.» Aujourd’hui, elle dispose d’un peu plus de temps, mais elle est confrontée à des problèmes nouveaux. «Les garçons qui fuient vers la Suisse sont de plus en plus jeunes. Certains n’ont que 14 ans.»
Mal du pays
À la suite de sa demande d’asile, Ali a obtenu une admission provisoire. Il a pu participer à un programme d’intégration proposé dans son canton de résidence. «Ali a eu de la chance de pouvoir rester dans ce programme après ses 18 ans», déclare Susanne. «Car pour la plupart des autres, il s’arrête à la minute où ils atteignent la majorité et ils se retrouvent livrés à eux-mêmes du jour au lendemain.»
Ali vit maintenant dans une collocation. «Ici, c’est beaucoup mieux. Je vis de manière plus indépendante et je ne dois partager ma chambre qu’avec une seule personne.» Depuis un mois, Ali a commencé un stage dans une entreprise de restauration. «J’aime bien, j’apprends beaucoup et surtout, j’ai une occupation», dit-il. Mais il s’inquiète de ce qui se passera après le stage. «Je serai de nouveau à la maison toute la journée. Je n’ai pas assez d’argent pour faire autre chose.»
En attendant, Ali parle déjà bien allemand. Ce qu’il connaît de la Suisse provient essentiellement de ce qu’il a appris en cours. Car il a peu de contacts avec les Suisse·sse·x·s. «Je sens que nous ne sommes pas les bienvenus ici. Beaucoup de gens réagissent de manière négative quand je leur parle… Mais il y a aussi beaucoup de Suisses sympas», ajoute-t-il immédiatement.
Comment Ali voit-il son avenir en Suisse? «Je veux rentrer chez moi le plus vite possible, retrouver ma famille. Elle me manque énormément. Je me fais beaucoup de souci pour ma mère et j’ai le mal du pays. Mais je ne peux pas rentrer chez moi tant que la sécurité n’est pas rétablie en Afghanistan. Pour l’instant, c’est impossible.»
*prénom d'emprunt