Achevé en 2022, le film Children of Peace est pourtant plus actuel que jamais. À travers des témoignages, il décrit la cohabitation, parfois difficile, des 300 personnes – palestiniennes et juives confondues – qui vivent dans le village de Neve Shalom / Wahat al-Salam (oasis de paix), en plein centre du pays et sur le parcours de la ligne verte – la ligne de démarcation de l’armistice de 1949. Une cohabitation rendue encore plus houleuse par l’escalade du conflit depuis le 7 octobre 2023.
Le réalisateur Maayan Schwartz est un enfant de cette « oasis ». Lui et ses pairs qui apparaissent dans le film sont les premiers enfants nés dans le village. Ils ont grandi ensemble, parlant les deux langues, célébrant ensemble les fêtes religieuses juives, musulmanes et chrétiennes. Ils fréquentent la même école primaire en ne réalisant pas encore à quel point leur vie est extraordinaire – dans une région où deux camps s’opposent de manière irréconciliable.
Le documentaire dépeint comment cette génération a grandi, avec en toile de fond l’histoire du village et du conflit, illustrée par des archives qui documentent l’évolution de la communauté. Depuis sa création en 1969, des journalistes du monde entier viennent visiter le village, marqué·e·x·s par le caractère unique du lieu.
La communauté n’est pas épargnée par le conflit qui fait rage autour d’elle. Les informations diffusées dans les journaux télévisés, qui montrent des explosions de violence entre Palestinien·ne·x·s et Israélien·ne·x·s, mettent à mal la cohabitation pacifique dans le village. L’« école de la paix » a été incendiée et des graffitis racistes et anti-arabes ont été tagués sur les murs. « À Neve Shalom, nous ne vivons pas dans une bulle. Au contraire », souligne Maayan Schwartz. « Parce que nous cohabitons, nous devons apprendre à faire face au conflit plus que quiconque. Dans les communautés purement arabes ou purement juives, les gens n’ont pas besoin de se confronter à l’autre partie.»
Polarisation progressive
Dans ses entretiens avec ses ami·e·x·s d’enfance, aujourd’hui adultes, Maayan Schwartz s’interroge sur la prise de conscience de leur identité palestinienne ou israélienne, et sur les défis que cette polarisation a entraînés pour leurs relations et leurs amitiés. Au fur et à mesure qu’ils grandissaient, les enfants de Neve Shalom/ Wahat al-Salam pouvaient de moins en moins se soustraire au conflit.
Le contexte est devenu particulièrement perceptible à partir du moment où les enfants sont entrés à l’école secondaire, séparément. Le Palestinien Hilal raconte qu’il a pris conscience à ce moment précis à quel point la vie était différente en dehors du village : « Tout à coup, en tant qu’Arabe, j’appartenais à une minorité. » Les enfants juifs ont également appris combien le mode de cohabitation de leur communauté israélo-palestinienne paraissait exotique sitôt qu’ils quittaient leur village. Ils ont également fait l’expérience de l’hostilité que cela suscitait. Ils ont subi des insultes, été traités de « traîtres » dans leurs écoles parce qu’ils vivaient « avec l’ennemi ».
Surmonter les divisions
C’est à ce moment que Maayan Schwartz commence à s’éloigner du village et de ses camarades. « Nous avions désormais des emplois du temps différents, nous évoluions en dehors du village, soit dans une société juive, soit dans une société arabe, raconte-t-il. Je pensais qu’après le lycée, nous nous retrouverions tous ensemble, comme avant. Mais le service militaire est arrivé. »
L’enrôlement dans l’armée, qui ne concerne que les Juif·ve·x·s de 18 ans – les citoyen·ne·x·s arabes d’Israël en sont exclu·e·x·s pour des « raisons de sécurité » –, représente un tournant important dans la vie des habitant·e·x·s des deux parties. Les jeunes de confession juive sont confronté·e·x·s à un choix difficile : effectuer – ou non – leur service militaire, un refus entraînant le plus souvent le tribunal militaire et la prison. Les jeunes Palestinien·ne·x·s, quant à elleux, ont du mal à comprendre que leurs ami·e·x·s s’engagent dans l’armée, car iels ont peur des soldat·e·x·s israélien·ne·x·s qu’iels associent à l’occupation et à la violence. Ainsi, dans le film, le Palestinien Omer dit à Maayan Schwartz : « Tu aurais dû mieux savoir. En choisissant de t’engager dans l’armée, tu as choisi un camp. Je pense que c’est mal de choisir un camp. »
La mort de Tom Kitain lors d’une mission militaire au Liban, alors qu’il n’avait que 21 ans, marquera profondément les esprits dans la communauté. Le village avait perdu un fils. « Jamais un soldat israélien n’avait été pleuré par autant de Palestiniens », dit le professeur palestinien de Tom dans une scène du film. Pourtant, lorsque certain·e·x·s proposent d’ériger un monument à la mémoire de Tom Kitain, l’idée est loin de faire l’unanimité : pas question de rendre un hommage aussi visible à un soldat israélien dans le village. Les discussions acharnées autour de ce monument le montrent : les différences de perception créent des fossés au sein de la communauté, qui peuvent être très profonds et provoquer des blessures ou de l’incompréhension.
Le service militaire, auquel le film accorde une grande place, illustre mieux que bien des livres la façon dont peuvent se créer des divisions. Et pourtant, Maayan Schwartz dit : « La force de notre village, et je suis convaincu que c’est précisément pour cela qu’il a pu survivre, c’est que nous nous posons ces questions. Et que nous sommes d’accord sur le fait que nous ne devons pas être d’accord sur tout, car nous voulons rester une communauté malgré nos différences. »
Depuis le 7 octobre 2023, la communauté a dû surmonter de nouvelles épreuves : quelle attitude adopter, comment faire face à la situation actuelle. « Il est très éprouvant de discuter de ces questions, car les deux populations sont plus éloignées que jamais. Notre réalité est actuellement chaotique et difficile à supporter. Mais les habitant·e·x·s de Neve Shalom / Wahat al-Salam continuent à se parler, à partager leurs sentiments et à accepter que l’autre en ait peut-être de différents », explique Maayan Schwartz. « Nous ne pouvons combler les fossés qu’en faisant preuve de compréhension mutuelle. Cela prend du temps, mais nous continuons à essayer. »