«Amitié ! » C’est par ce mot qu’une enseignante accueille sa classe dans le film Sonnenallee, de Leander Haussmann, qui met en scène des adolescent·e·x·s habitant la rue du même nom. Elle prononce le terme à haute voix et de manière autoritaire, de sorte qu’il sonne comme une menace. Le ton d’une pédagogue dans la RDA des années 70.
La section allemande d’Amnesty International a emménagé dans cette même Sonnenallee à l’été 2024. L’amitié – sans le ton autoritaire – pourrait être un mantra approprié pour parvenir à se mêler à celleux qui vivent depuis longtemps dans cette rue berlinoise à l’histoire mouvementée et conflictuelle. Depuis cent quarante ans, la Sonnenallee s’inscrit dans l’histoire de la capitale allemande. Elle a survécu à l’Empire, à la République de Weimar, au national-socialisme et à la division de Berlin, qui l’a directement touchée : la rue a été amputée de ses 400 mètres situés dans le quartier de Treptow, à Berlin-Est, alors que le reste de la Sonnenallee se trouve dans le quartier de Neukölln, à Berlin-Ouest. Un point de passage frontalier y avait été installé lors de la construction du mur le 13 août 1961. Le dernier mort du mur est lui aussi lié à la Sonnenallee : Chris Gueffroy a été abattu par les troupes frontalières de la RDA dans la nuit du 5 au 6 février 1989 alors qu’il tentait de passer à l’Ouest.
Aujourd’hui, la rue se caractérise par sa multiculturalité. Se côtoient Allemand·e·x·s, Turc·que·x·s et Arabes, de milieux modestes ou de la classe moyenne, établi·e·x·s de longue date ou nouvelleaux arrivant·e·x·s urbain·e·x·s branché·e·x·s. La Sonnenallee est restée une rue où s’expriment les protestations et les revendications politiques, sociales, culturelles et économiques. Les féministes y ont autrefois réclamé le droit de vote pour les femmes. Les ouvrier·ère·x·s y ont manifesté pendant des décennies pour leurs droits. Aujourd’hui, les manifestations contre le racisme font partie de son quotidien. Tous les jours, on y entend des revendications politiques. Malheureusement aussi celles qui veulent limiter, voire abolir les droits fondamentaux, comme le droit à la vie ou à la liberté de réunion et d’expression. Mais la plupart des personnes qui font le quotidien de cette rue font de leur mieux pour préserver une cohabitation pacifique.
Un bon endroit pour qu’Amnesty tente de courtiser ses nouvelleaux voisin·e·x·s avec son mantra « Amitié ! » et diffuse l’idéal des droits humains. L’amitié n’est pas toujours possible, mais elle n’est pas indispensable. L’attention et le respect suffisent.