© Samar Hazboun
© Samar Hazboun

MAGAZINE AMNESTY Interview culturelle Faire chanter pour régner

Propos recueillis par Jean-Marie Banderet. Article paru dans le magazine AMNESTY n°119, décembre 2024
Avec « Blood like Water », la réalisatrice palestinienne Dima Hamdan met en scène le dilemme auquel est confrontée la famille d’un jeune gay : sauver son honneur ou la vie d’un homme recherché.

Programmé à l’occasion de la treizième édition du festival « Palestine : filmer c’est exister », le court métrage Blood like Water met en lumière une arme relativement méconnue de l’arsenal d’oppression israélien : le chantage. Parce qu’il a été filmé en train d’avoir des relations sexuelles avec un autre homme, Shadi, le protagoniste, entraîne sa famille dans un terrible dilemme. Soit elle dénonce un voisin recherché par l’armée israélienne, soit cette dernière diffusera la vidéo dans son entourage, et à elle de subir les conséquences qu’une telle nouvelle provoquera dans une société encore très conservatrice. Entretien avec la réalisatrice, Dima Hamdan.

Éclairages_Itw culturelle_Dina Hamdan_1609779586033> AMNESTY : Qu’est-ce qui vous a inspirée à aborder la thématique LGBTQIA+ dans le contexte palestinien ?

< Dima Hamdan : L’idée m’est venue il y a plusieurs années, en discutant sur un marché de Ramallah. Je m’interrogeais sur les raisons qui poussent des personnes de ma communauté à collaborer avec l’occupant israélien. Certains le font par appât du gain. D’autres fournissent des informations en échange de la prise en charge d’un proche dans un hôpital israélien. D’autres encore tombent dans le piège du chantage. Par le passé, la cible principale était l’adultère. Aujourd’hui, ce sont les gays.

> « Blood like Water » est-il basé sur une histoire vraie ? Comment vous êtes-vous documentée pour l’écrire ?

< Il y a un tabou énorme autour de ces questions, et de leur impact sur l’honneur et la réputation. Je n’ai trouvé personne qui aurait admis avoir vécu une histoire similaire, tout au plus des « je connais une personne, qui en connaît une autre à qui c’est arrivé ». Ce n’est qu’après la sortie du film que la réalité a rattrapé la fiction. La confession face caméra d’un jeune a fait le tour des réseaux sociaux. Il y avouait avoir conduit les Israéliens à cinq combattants du groupe armé La Fosse aux lions, tués lors du raid qui s’en est suivi. Contraint, comme dans le film, de jouer les informateurs en échange du silence de l’armée sur ses ébats, de 500 shekels (moins de 100 francs) et d’un paquet de cigarettes. De façon presque étonnante, il n’y a pas eu de commentaires homophobes à la suite de l’annonce de sa mort, uniquement justifiée par sa trahison envers la cause palestinienne.

> Comment le film a-t-il été reçu ?

< À l’origine, il était destiné à un public palestinien. La première a eu lieu lors des Palestine Cinema Days à Ramallah en novembre 2023, mais peu de gens ont pu le voir à cause de la guerre. Il a ensuite été projeté dans plusieurs festivals, et c’est au Royaume-Uni, lorsqu’il a remporté le Prix courts métrages LGBTQIA+ de l’Iris Film Festival à Cardiff, qu’il a surtout fait parler de lui.

> L’action se passe en Cisjordanie. Comment s’est passé le tournage ?

< Nous avons tourné à Bethléem, au moment où l’armée israélienne menait des incursions à Hébron, Tulkarem et Jénine. Toutes les prises ont été faites en l’espace de trois nuits, dans un appartement que nous avons loué à un homme qui avait été emprisonné en Israël dans les années 1980. Lorsque je lui ai raconté le script, il a été touché par l’histoire et a accepté que sa maison serve de plateau pour le film. Car déjà à l’époque, Israël jouait la carte du chantage en droguant des Palestiniennes pour les filmer nues et faire croire qu’elles avaient des relations sexuelles.

> Quel impact espérez-vous que « Blood like Water » ait sur la société palestinienne et sur la communauté LGBTQIA+ en Palestine ?

< La résistance à l’oppression est synonyme de sacrifice. Mais le sacrifice peut prendre plusieurs formes. Aux familles conservatrices qui se retrouvent à devoir choisir entre perdre leur enfant ou leur honneur, je souhaite poser la question : « À qui la faute ? À toi, à ton fils ou à la société ? » Si elle parvenait à accepter sa communauté LGBTQIA+, la société palestinienne retirerait à Israël un moyen de pression qui la rend vulnérable. 

Blood like Water, Dima Hamdan, 2023, 13 minutes.