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MAGAZINE AMNESTY Suisse / multinationales responsables Jouer selon les règles

Propos recueillis par Jean-Marie Banderet. Article paru dans le magazine AMNESTY n°119, décembre 2024
En janvier, la coalition pour des multinationales responsables lance une nouvelle initiative. Entretien avec Danièle Gosteli Hauser*.

L’initiative pour des multinationales responsables n’avait pas passé la rampe de justesse lors de la votation populaire de 2020, n’obtenant pas la majorité des cantons. Le contre-projet du Conseil fédéral, entré en vigueur entre-temps, est pour sa part loin des législations de plusieurs pays de l’Union européenne – notamment la France avec sa loi Vigilance ou l’Allemagne avec sa Lieferkettengesetz (loi sur les chaînes d’approvisionnement). La nouvelle directive européenne sur la responsabilité des multinationales, adoptée en mai dernier, accroît encore le fossé avec la Suisse. Forte du soutien d’un large pan de politicien·ne·x·s du centre-droit ainsi que d’entrepreneur·euse·x·s qui ressentent le besoin d’une législation efficace, la coalition remet le couvert. Elle s’est fixé l’objectif de récolter en un mois les 100 000 signatures nécessaires à une nouvelle initiative populaire, demandant à la Suisse de se doter enfin de règles contraignantes qui obligent ses multinationales à respecter les droits humains et à protéger l’environnement.

> AMNESTY :Pourquoi une nouvelle initiative est-elle nécessaire ? N’y a-t-il pas d’autres moyens plus rapides?

< Danièle Gosteli Hauser : Il n’y a pas vraiment d’autres moyens face à l’attitude attentiste adoptée par le Conseil fédéral et le parlement, malgré leurs promesses lors de la campagne en 2020. Il suffit pour s’en convaincre d’examiner la réaction du gouvernement à la pétition – munie de plus de 217 000 signatures – remise en 2022 par la coalition : rien. Pourtant, il est vital que la Suisse agisse au plus vite, pour le bien des victimes mais aussi de ses grandes entreprises. C’est d’autant plus important que la Suisse est le pays qui abrite le plus grand nombre de multinationales par tête d’habitant·e·x.

> Réglementer va souvent de pair avec des charges administratives supplémentaires. Ne craignez-vous pas que cet argument soit utilisé pour contrer votre initiative, en particulier par les plus petites entreprises?

< Les petites et moyennes entreprises (PME) ne sont pas concernées. L’initiative suisse est calquée sur le modèle européen, qui cible les grandes entreprises. En revanche, les grandes associations sportives à but commercial comme la FIFA, pour lesquelles s’appliquent les Principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits humains, devraient être soumises à la nouvelle loi. Le cadre fixé par l’ONU n’est en effet pas contraignant, comme en témoigne l’attribution de la Coupe du monde 2034 à l’Arabie saoudite, qui est loin d’être un modèle de respect des droits fondamentaux.

> Comment répondre aux craintes qu’une réglementation stricte pourrait nuire à la compétitivité des entreprises suisses?

< Il est intéressant de noter que ces arguments sont souvent portés par les faîtières économiques. Les entreprises elles-mêmes font plutôt part de leur besoin de clarté et d’être traitées sur un pied d’égalité face à leurs concurrentes basées dans d’autres pays. Prenez l’exemple d’une joint-venture franco-suisse pour l’exploitation de minerai en Colombie. Si les deux multinationales ne sont pas soumises au même cadre légal, l’entreprise française pourrait préférer faire des affaires avec une autre société basée dans l’UE, de peur de se retrouver seule à subir les conséquences en cas de problème. Dans une économie globalisée, il est bien plus simple d’opérer dans un cadre bien régulé, où les mêmes « règles du jeu » s’appliquent à touxtes.