«N’avez-vous pas peur que les atrocités de la Shoah se répètent ? » Cette question, Lucia Heilman l’entend régulièrement lorsqu’elle intervient dans les écoles en tant que témoin. « La première fois que je l’ai entendue, j’ai été horrifiée », raconte cette femme née à Vienne en 1929. « Bien que la question m’ait été souvent posée, je n’arrive pas à trouver de réponse. »
Aujourd’hui encore, Lucia Heilman ne se sent pas en sécurité en Autriche. Elle perçoit l’antisémitisme comme une menace permanente. « L’antisémitisme dort, mais il est toujours là. Beaucoup ne reconnaissent pas cette menace. » Après la guerre, il est devenu difficile de se sentir chez soi dans un pays où tant de gens ont soutenu la persécution des sien·ne·x·s. Sa mère doit se battre pour récupérer son emploi de chimiste. Ce n’est qu’après de pénibles procédures judiciaires que sa famille peut récupérer l’appartement dont elle avait été expropriée. Le retour de Lucia à l’école est également marqué par le rejet : « Au moment où j’ai dit que j’étais juive, la classe s’est figée. »
Jeune, Lucia Heilman a des projets d’émigration. Mais elle ne peut se permettre d’étudier la médecine qu’en Autriche, où il n’y a pas de frais de scolarité. Et puis elle rencontre son mari, qui est déterminé à construire son futur ici. Toute sa vie, elle cherchera refuge auprès d’autres personnes juives. C’est seulement au sein de la communauté qu’elle aura le sentiment de pouvoir parler librement et d’être comprise. Des années plus tard, la blessure est encore profonde : « Pour moi, il n’y a pas de réconciliation possible. Quand on a été humiliée, qu’on a reçu des crachats, comment peut-on se réconcilier avec les coupables ? C’est impossible, même si on fait des efforts. »
Bien que l’homme qui lui a sauvé la vie, l’artisan Reinhold Duschka, était chrétien, Lucia Heilman souligne qu’un tel courage était extrêmement rare chez ses compatriotes. Dans un pays de plusieurs millions d’habitant·e·x·s, elle estime qu’environ 90 personnes ont activement sauvé des vies juives. Lucia Heilman reste sceptique quant à un éventuel changement d’attitude envers les personnes juives en Autriche. Elle souhaite que les gens commencent à reconnaître les dégâts causés par l’antisémitisme. Son conseil aux générations futures : « Restez méfiants ! »