Écrivaine publique de métier, Michèle Thonney Viani a consacré plus de vingt ans à aider les personnes qui viennent à la Maison de la femme. © Mélissa Riffaut
Écrivaine publique de métier, Michèle Thonney Viani a consacré plus de vingt ans à aider les personnes qui viennent à la Maison de la femme. © Mélissa Riffaut

MAGAZINE AMNESTY Suisse Une plume au service des autres

Par Mélissa Riffaut. Article paru dans le magazine AMNESTY n°119, décembre 2024
La Maison de la femme, à Lausanne, offre un service pour aider à la rédaction. Rencontre avec quelques personnalités qui font vivre le métier d’écrivain·e·x public·que·x.

Il est 11 h, la salle d’attente est presque pleine. Lorsque vient son tour, Delfina* s’arrête à la porte du bureau pour nous tendre la main avec un grand sourire. Elle semble ravie d’être reçue par Elisabeth et moi-même. Delfina s’installe à la table qui occupe presque toute la pièce, puis nous présente des documents soigneusement classés. C’est la première fois qu’elle fait appel au service d’écrivain·e·x·s public·que·x·s de la Maison de la femme, à Lausanne.

Comme elle, ce sont un peu moins de 500 usager·ère·x·s qui viennent chaque année solliciter le soutien d’un·e·x rédacteur·rice·x. De nombreux·ses bénéficiaires, souvent redirigé·e·x·s par d’autres institutions, font appel à ces virtuoses de l’orthographe et de la syntaxe pour les aider dans leurs démarches administratives ou à s’insérer dans la vie professionnelle… parfois même pour écrire des lettres d’amour. En 2023, le Service d’écrivain·e·x·s public·que·x·s de la Ville de Genève recevait, lui, 428 usager·ère·x·s. Il existe plusieurs autres organismes en Suisse qui proposent les mêmes prestations.

Originaire du Pérou, Delfina est en Suisse depuis deux ans pour terminer ses études dans le milieu de la santé. Elle fait appel à nous, car elle ne maîtrise pas complètement les codes de la langue française. C’est avec une certaine pudeur qu’elle nous explique avoir reçu une lettre contraignante de son employeur dont elle aimerait accuser réception avec tact. Une pudeur qu’elle semble surmonter, l’atmosphère chaleureuse et accueillante de la Maison de la femme y étant sûrement pour quelque chose. Premier objectif : faire comprendre le document à Delfina, en écoutant attentivement ses questions et en y répondant de façon ciblée. Il s’agit là d’une lettre d’avertissement. Delfina voudrait pouvoir utiliser les mots justes et rédiger un courrier de réponse formel, adapté à l’information qu’elle reçoit. Une trentaine de minutes passent pendant lesquelles nous manions le texte et les tournures de phrases pour coller au plus près des indications de Delfina. Nous devons rédiger tout en la rassurant et utiliser nos connaissances en matière de droit. Elisabeth prend des notes et formule un premier jet qu’elle adaptera chez elle. Une fois la lettre terminée, elle sera transmise par e-mail à la bénéficiaire, qui pourra la signer. Nous accueillerons à nouveau Delfina si elle en manifeste le besoin.

Au milieu des missives

Dix écrivains·e·x·s public·que·x·s se relaient cinq fois par semaine à la Maison de la femme pour assurer une permanence sur le temps de midi ou en fin de journée. Elisabeth, avec qui je travaille aujourd’hui, est juriste. En ce qui me concerne, mon travail comme journaliste m’a appris à manier les mots avec aisance. D’autres femmes, comme Michèle Thonney Viani, sont plus expérimentées encore. Bénévole depuis plus de vingt ans à la Maison de la femme, elle n’assure plus qu’une présence occasionnelle, la relève étant assurée. Elle est la seule écrivaine publique professionnelle au sein de la structure.

Michèle est une personnalité passionnée et riche d’expériences humaines avec qui j’ai plusieurs fois eu l’occasion d’échanger rires et anecdotes. Amoureuse des mots depuis toujours, elle raconte son parcours et sa profession, en y ajoutant sa touche personnelle : un humour un peu piquant. « Mon métier, c’est d’écrire, et je l’exerce avec un plaisir et une joie sans cesse renouvelés. »

Entourée de livres pendant sa jeunesse, elle assume très rapidement le rôle de celle qui maîtrise les écritures difficiles et à qui l’on confie par facilité correspondances et travaux de rédaction. « Toi qui écris si bien, tu me fais vite cette petite lettre ? » C’est après un long séjour au Niger, au cours duquel il lui arrivait de donner un coup de main à quelques personnes qui ne maîtrisaient pas bien la langue française, qu’elle rencontre sa vocation : écrivaine publique. Ses yeux brillent lorsqu’elle décrit son riche parcours, ses rencontres et la manière dont cette activité semble l’avoir choisie. De retour en Suisse, elle s’affiche enfin comme telle et ouvre sa propre officine en 2000. Admise en 2003 par l’Académie des écrivains publics de Suisse, elle en sera la présidente de 2008 à 2013. En 2023, c’est l’Académie des écrivains publics de France qui l’accueille à son tour.

« L’activité de bénévole pour une écrivaine publique est très enrichissante, et j’ai appris ainsi énormément de choses au début de ma carrière. À l’époque, nous n’étions que deux à la Maison de la femme. » Au sein de l’association comme dans son bureau à Lausanne, Michèle rédige sur commande des documents de nature privée, administrative, commerciale et même parfois juridique ou politique, mais sans jamais empiéter sur les domaines d’autres spécialistes. Et ceci de manière confidentielle, pour toute personne ayant besoin d’aide à la rédaction. Évidemment, les propos diffamatoires, menaçants ou insultants ne sont jamais autorisés, elle n’oublie pas de le préciser lors de l’entretien. Elle aime en particulier aider les autres à parler d’eux, à se décrire, et avoue une petite préférence pour les discours et messages personnels… Sans oublier les corrections, domaine dans lequel elle excelle. « Les gens m’intéressent, j’adore que l’on me raconte des histoires, être surprise. » Elle souligne combien il est important dans ce métier de savoir capter les intentions de l’autre. Outre une empathie naturelle, il faut avant tout être disponible, et avoir une orthographe infaillible. Ça va de soi.

Un regard sur la société

Comme beaucoup de personnes qui exercent cette fonction, Michèle chérit sa liberté. Car exercer ce métier permet d’allier une certaine indépendance tout en se mettant au service des autres. C’est aussi ce qui a dicté ma démarche personnelle. Être écrivaine publique, c’est écrire avec solidarité pour toutes les personnes qui ne peuvent pas le faire de façon autonome, parce qu’elles sont allophones, illettrées ou pour d’autres raisons. C’est aussi collecter en sa mémoire de multiples parcours, plus touchants les uns que les autres. Delfina a trouvé à la Maison de la femme les ressources dont elle avait besoin pour mieux s’intégrer dans notre société.

 

* Prénom d’emprunt.