Undercover: Exposing the Far Right, Havana Marking, Tigerlily Films - Marking Films, Royaume-Uni, 2024, 90 minutes. © Marking Films Inc
Undercover: Exposing the Far Right, Havana Marking, Tigerlily Films - Marking Films, Royaume-Uni, 2024, 90 minutes. © Marking Films Inc

MAGAZINE AMNESTY Interview culturelle Dans le ventre du monstre

Propos recueillis par Jean-Marie Banderet. Article paru dans le magazine AMNESTY n°120, mars 2025
Présenté au FIFDH de Genève, le documentaire « Undercover » raconte comment une organisation d’activistes a infiltré un groupe d’extrême droite. Entretien avec sa réalisatrice Havana Marking.

Lorsque la réalisatrice britannique Havana Marking contacte pour la première fois l’organisation Hope not hate, qui fait campagne contre le racisme et l’extrême droite, elle ne se doute pas que le tournage de son film s’ancrerait dans les émeutes raciales qui ont secoué le Royaume-Uni durant l’été 2024. Son documentaire Undercover : Exposing the Far Right suit l’enquête des investigateurs de Hope not hate, infiltrés dans des réseaux de l’extrême droite pour identifier le financier d’une fondation eugéniste et ses travaux sur la «science raciale».

 

Havana Marking_London_UNDERCOVER.jpg> AMNESTY : Tout le film se passe à la première personne. On a l’impression d’être dans   la chambre d’hôtel quand l’enquêteur prépare sa caméra cachée. Comment le tournage s’est-il passé ?

< Havana Marking : La priorité absolue, c’était la sécurité de Harry [l’enquêteur infiltré]. Donc, la discrétion. J’étais parfois seule pour filmer, parfois accompagnée par Tom Turner, un caméraman passé expert dans l’art de se faire discret. On n’écrivait rien sur papier, on utilisait des adresses fictives, le taxi nous déposait à quelques rues, on cachait toujours nos caméras. Et puisque tout se déroulait en direct, il n’y a jamais eu de deuxième prise.

> Hope not hate a manifestement besoin d’être discrète lors de ses enquêtes. Comment avez-vous réussi à convaincre cette organisation de faire un documentaire sur son travail ?

< Ça n’a pas été facile. J’ai commencé par rencontrer Nick Lowles, le directeur, qui a d’abord donné son accord pour un film sur une affaire écoulée. Ce n’est que six mois après être entrée en contact avec lui que j’ai appris l’existence de l’enquête secrète du groupe sur cette fondation, et qu’il a fini par accepter que je suive son équipe.

> La proximité avec les personnages qu’on voit à l’écran brouille un peu les pistes. Comment avez-vous gardé vos distances comme réalisatrice ?

 < C’était leur enquête, pas la mienne. Mon rôle était d’être présente et d’observer. C’est très tentant pour un réalisateur de demander de refaire un plan, de demander une explication pour l’intégrer au film. Mais je ne pouvais pas me le permettre, pour respecter les règles du cinéma vérité en restant dans mon rôle de pure observatrice.

> Utiliser une caméra cachée, n’est-ce pas en marge de la légalité ?

 < Il y a un cadre légal très strict qu’il faut respecter si on veut pouvoir diffuser ces images. Mais également pour obtenir un financement de chaînes de télévision –nous avons obtenu le soutien de Channel 4. La plus importante de ces règles, c’est le motif : il faut avoir des preuves, ou des soupçons raisonnables, que des activités d’intérêt public ont lieu de façon cachée dans l’organisation ou le groupe que vous ciblez. Vous ne pourrez pas aller vous infiltrer chez quelqu’un qui se déclare ouvertement raciste. En revanche, un parti politique qui affirmerait en public être modéré, mais qui, une fois les portes fermées, développerait ces mêmes idées racistes, justifierait qu’on s’y infiltre pour que le public connaisse sa véritable identité.

> Quel effet espérez-vous obtenir avec le film ?

< Je suis déjà très heureuse de celui qu’il a eu. Lorsque l’enquête a été rendue publique par le biais du documentaire, des articles dans The Guardian et Der Spiegel, le financier de la Silicon Valley qui s’était engagé à soutenir la fondation eugéniste s’est retiré.