Mariam a choisi de partager son histoire personnelle pour encourager d’autres femmes. © Mariam Rochat
Mariam a choisi de partager son histoire personnelle pour encourager d’autres femmes. © Mariam Rochat

MAGAZINE AMNESTY Dossier: Domination masculine Lutter contre le poids de la tradition

Par Mélissa Riffaut. Article paru dans le magazine AMNESTY n°120, février 2025.
Plus de 20 000 femmes qui vivent en Suisse ont subi une mutilation génitale, ou risquent d’en subir une, dans leurs pays d’origine. Rencontre avec deux activistes qui leur viennent en aide.

Originaire du Burkina Faso, Mariam raconte ses blessures avec une grande spontanéité – pour que son histoire serve d’exemple et donne espoir. À l’âge de 3 mois, elle a été excisée. Un acte réalisé à l’aide d’un petit couteau, sans anesthésie. Ce n’est que beaucoup plus tard qu’elle pourra faire le lien entre les douleurs de toute une vie et cette pratique traumatisante. Elle découvrira qu’elle a subi une excision de type II, soit l’ablation partielle ou totale du clitoris externe et des petites lèvres (avec ou sans ablation des grandes lèvres).

Établie en Suisse depuis plusieurs années, Mariam a 37 ans lorsqu’elle entreprend une reconstruction aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Comme elle, il y aurait en Suisse environ 22 600 femmes et filles concernées par des mutilations génitales féminines (MGF), d’après les chiffres du Réseau suisse contre l’excision. « La reconstruction m’a libérée, et je la conseille à toutes les femmes en capacité de la faire », déclare Mariam. Au sein des HUG, une centaine de femmes se tournent chaque année vers la Dresse Jasmine Abdulcadir, qui dirige la consultation MGF.

Si la guérison est une longue et laborieuse bataille, le pardon l’est tout autant. Mariam sait que l’un ne va pas sans l’autre. En Suisse, plusieurs associations – Caritas Suisse, Santé sexuelle Suisse et le Centre suisse de compétence pour les droits humains – ont formé un groupement qui soutient la lutte contre les mutilations génitales féminines. Le Réseau suisse contre l’excision est mandaté par la Confédération et a pour objectif d’assurer un conseil psychosocial et une prise en charge médicale des filles et femmes concernées ou menacées, partout en Suisse. Le réseau dispose d’un point de contact national géré par Caritas Suisse, qui conseille les victimes, leurs proches et les spécialistes – en particulier sur les questions complexes de nature pénale et migratoire. Les femmes concernées peuvent également se tourner vers des points de contact régionaux pour demander de l’aide, xcision étant un sujet très tabou dans les communautés pratiquantes qui n’hésitent pas à évincer celles qui ne s’y plient pas.

Une douleur qui persiste

Omayma est l’une des multiplicatrices de ce réseau. Elle s’investit comme plusieurs autres femmes et hommes dans le travail de prévention. Ellemême victime d’une infibulation – une suture de la majeure partie des lèvres externes ou des lèvres internes de la vulve – à l’âge de 5 ans au Soudan, elle décrit avoir vécu un véritable choc traumatique dont elle ne s’est jamais remise. Omayma a poursuivi son combat initié sur place lorsqu’elle est arrivée en tant que réfugiée politique en Suisse. Meurtrie par ce qu’elle a subi, elle décide tant bien que mal d’entreprendre une reconstruction, mais elle doit faire marche arrière : les flashbacks la tétanisent. Aujourd’hui, c’est son infatigable lutte qui lui permet d’apaiser ses souffrances. Elle aide les nouvelles générations à se défendre contre ce type de violences faites aux femmes.

Pas qu’une affaire de femmes

Depuis 2012, l’article 124 du Code pénal interdit l’excision en Suisse. La loi en vigueur permet de punir tout acte ayant été commis à l’intérieur ou en dehors du pays, avant ou après l’entrée sur le territoire de la personne qui l’a subi. Au niveau mondial, le chemin reste encore long et dans ce combat où la libération de la parole est primordiale, les hommes aussi ont un rôle à jouer : en s’opposant à cette coutume, ils peuvent contribuer à ce qu’elle disparaisse. Dans les pays de destination des migrant·e·x·s, de plus en plus d’hommes condamnent cette pratique. « Même si les MGF/E sont une tradition très importante et identitaire dans la plupart des communautés concernées, les traditions ne sont belles que tant qu’elles ne causent pas de souffrance. Si elles causent des dommages, elles doivent être abandonnées », souligne Simone Giger, du Réseau suisse contre l’excision.