Le journalisme américain est mort le 5 novembre 2024. L’élection de Donald Trump à la présidence américaine, proclamée par le candidat lui-même, est sans appel. Autant qu’elle marque l’entrée dans une nouvelle ère politique, elle tourne la page d’une histoire des médias – elle est un avis mortuaire du journalisme étasunien qui n’a pas su enrayer la mécanique de Trump, et le faire-part de naissance de la croisade du free speech en Europe.
Aux États-Unis d’abord, le journalisme a joué un rôle périphérique dans la structuration du débat public, débordé par les influenceur·euse·x·s et l’infotainment, et réduit au fact-checking, courant après le dernier bobard du candidat. Pire : il a été instrumentalisé par le futur président républicain. À y bien regarder, Donald Trump n’a pas été élu malgré son antagonisme avec les médias d’information, mais parce qu’il en a fait ses ennemis désignés.
Et dans cet antagonisme, Trump confond programme politique et vengeance personnelle : en témoigne la virulence avec laquelle il s’en prend aux médias, à commencer par l’agence Associated Press. Comment prendre au sérieux des gens qui chassent des journalistes d’une salle de presse parce qu’iels n’utilisent pas le terme « golfe d’Amérique » ? Ce serait une boutade s’il n’en allait pas de l’avenir de notre démocratie. Et l’acharnement rejoint la mesquinerie : le 6 février, Elon Musk, le patron de X et directeur du Département de l’efficacité gouvernementale, annonçait par voie de tweet, nouveau sommet de la pyramide des normes américaines, la fin des abonnements aux titres de presse des ambassades américaines…
«On voudra bientôt vous faire choisir entre liberté d’expression et liberté de la presse. Ce dilemme n’engage que celleux qui l’imposent.»
Thibaut Bruttin, directeur général de Reporters sans frontières
La suppression des financements de l’audiovisuel extérieur étasunien le 14 mars 2025 viendra mettre un coup d’arrêt à des médias tels Voice of America, Radio Free Europe ou Radio Free Asia qui, tout en étant des instruments du soft power américain, représentaient aussi la principale source d’informations fiable de centaines de millions d’êtres humains dans des régimes répressifs. Qu’on juge responsables ou non ses méthodes, Trump l’a emporté et ses épigones, autant que ses détracteur·rice·x·s, analysent sa stratégie médiatique et en tirent quelques enseignements. Les candidat·e·x·s populistes de toutes nations vont désormais faire un usage débridé du véritable manuel que Trump et son équipe de campagne ont édicté. La menace réside dans le fait que le président américain dévoie une liberté fondamentale : la liberté d’expression – invoquée à tout bout de champ – réduite à une loi du plus fort étendue au discours. Et les plateformes technologiques, désormais centrales dans l’organisation de la conversation publique digitale, lui emboîtent le pas.
La venue du vice-président américain J.D. Vance à la Conférence de la sécurité de Munich, le 14 février 2025, s’est transformée en sermon devant l’assemblée des dirigeant·e·x·s européen·ne·x·s, les invitant à se ressaisir pour défendre une liberté d’expression qui serait en danger. Une leçon qui sonnait comme une déclaration de guerre, et officialisait un conflit idéologique majeur, larvé. Drôle d’époque où les citoyen·ne·x·s réclament une presse libre et des prétendus journalistes revendiquent la liberté d’expression !
Car on voudra bientôt vous faire choisir entre liberté d’expression et liberté de la presse. Ce dilemme n’engage que celleux qui l’imposent. Nulle contradiction entre les termes, nul impératif de favoriser une liberté au détriment de l’autre. La liberté d’expression absolue n’a pas de sens si elle entrave la quête de vérités factuelles, et donc le journalisme. Une société exigeante peut bénéficier à la fois de ces deux droits, consacrés par nombre de constitutions. Les soi-disant partisans du free speech nous tendent un piège, ne soyons pas dupes.