Des manifestant·e·s protestent devant le domicile de Jaroslaw Kaczynski, chef du parti Droit et Justice (PiS) au pouvoir en Pologne, contre une décision de la Cour constitutionnelle de restreindre le droit à l'avortement, à Varsovie, le 23 octobre 2020. © Grzegorz Żukowski
Des manifestant·e·s protestent devant le domicile de Jaroslaw Kaczynski, chef du parti Droit et Justice (PiS) au pouvoir en Pologne, contre une décision de la Cour constitutionnelle de restreindre le droit à l'avortement, à Varsovie, le 23 octobre 2020. © Grzegorz Żukowski

Rapport 2020/21 d’Amnesty International Conséquences dévastatrices de la pandémie pour les droits humains

Communiqué de presse publié le 7 avril 2021, Londres - Berne. Contact du service de presse
Des politiques d’austérité qui ont érodé les infrastructures publiques et exacerbé les inégalités ont préparé le terrain aux dévastations causées par le COVID-19. De plus, des dirigeant·e·s ont instrumentalisé le COVID-19 pour renforcer leur pouvoir, tandis que les mécanismes de coopération internationale dysfonctionnent, notamment en ce qui concerne l’accès aux vaccins contre le COVID-19.

«En conséquence des politiques créant des divisions, des mesures d’austérité malavisées et du choix qu’ont fait les autorités, depuis des décennies, de ne pas investir dans des infrastructures publiques qui tombaient en ruine, de très nombreuses personnes ont été des proies faciles pour le virus. Le COVID-19 a mis en évidence et creusé les inégalités au sein des pays et entre les pays, et jeté une lumière crue sur le désintérêt de nos dirigeant·e·s à l’égard de notre humanité commune» a déclaré Agnès Callamard, la nouvelle Secrétaire générale d’Amnesty International.

«Le COVID-19 a mis en évidence et creusé les inégalités au sein des pays et entre les pays, et jeté une lumière crue sur le désintérêt de nos dirigeant·e·s à l’égard de notre humanité commune.» Agnès Callamard, Secrétaire générale d’Amnesty International

La pandémie a exacerbé les inégalités et l’érosion des services publics

Le COVID-19 a davantage encore aggravé la situation déjà très précaire des personnes réfugiées, demandeuses d’asile ou migrantes dans de nombreux pays, certaines d’entre elles se retrouvant piégées dans des camps sordides et privées de fournitures essentielles ou bloquées en raison du renforcement des contrôles aux frontières.

Le rapport attire aussi l’attention sur la nette augmentation du nombre de cas de violence domestique et liée au genre, et sur le fait que pour de nombreuses femmes et personnes LGBTI les obstacles à l’accès à une protection et à une aide se sont accrus à cause des restrictions du droit de circuler librement, du manque de mécanismes permettant aux victimes de signaler de façon confidentielle des violences alors qu’elles sont isolées avec les agresseurs, et de la suspension ou des capacités réduites des services d’assistance.

«En 2020, du seul fait d’une pandémie, les systèmes de santé ont été poussés à bout et des personnes se sont retrouvées dans une situation financière catastrophique. Les héroïnes et héros de 2020 ont été les professionnel·le·s de santé en première ligne qui ont sauvé des vies et celles et ceux qui se situent tout en bas de l'échelle des revenus, qui ont travaillé pour nourrir les familles et pour faire fonctionner les services essentiels. De façon cruelle, ce sont celles et ceux qui ont le plus donné qui ont été le moins bien protégés», a déclaré Agnès Callamard.

Instrumentalisation de la pandémie pour intensifier la répression

Les mesures prises pour faire face à la pandémie ont aussi été minées par le fait que des dirigeant·e·s ont exploité cette crise et instrumentalisé le COVID-19 pour renforcer leur pouvoir.

L’adoption de lois réprimant pénalement les commentaires relatifs à la pandémie est devenue une constante. En Hongrie, le gouvernement de Viktor Orbán a modifié le Code pénal du pays, qui prévoit désormais jusqu’à cinq ans d’emprisonnement en cas de «diffusion de fausses informations» au sujet du COVID-19. L’Arabie saoudite, Bahreïn, les Émirats arabes unis, le Koweït et Oman ont utilisé la pandémie de COVID-19 comme prétexte pour continuer de réprimer le droit à la liberté d'expression en poursuivant en justice des personnes ayant publié sur les réseaux sociaux des commentaires sur les mesures prises par leur gouvernement face à la pandémie.

Aux Philippines, le président Rodrigo Duterte a dit avoir ordonné à la police de tirer pour «tuer» les personnes qui protestent ou qui causent des «troubles» pendant le confinement. Au Nigeria, les forces de sécurité ont tué des personnes parce qu’elles manifestaient dans la rue. Dans le Brésil du président Jair Bolsonaro, les violences policières se sont intensifiées pendant la pandémie de COVID-19. Au moins 3 181 personnes ont été tuées par la police dans tout le pays entre janvier et juin, soit en moyenne 17 personnes par jour.

Certains dirigeant·e·s sont même allés jusqu’à profiter de la distraction provoquée par la pandémie pour réprimer les propos critiques sans rapport avec le virus. En Inde, Narendra Modi a intensifié la répression contre les militant·e·s de la société civile, y compris avec des opérations antiterroristes menées dans les bureaux et au domicile de plusieurs d’entre eux. Dans la Chine du président Xi Jinping, le gouvernement a continué à persécuter les Ouïghours et d’autres minorités musulmanes dans la région du Xinjiang, et une loi draconienne relative à la sécurité nationale s’appliquant à Hong Kong a été adoptée pour légitimer la répression motivée par des considérations politiques.

Les intérêts nationaux ont primé sur la coopération internationale

Les dirigeant·e·s de la planète ont causé des ravages en sapant la coopération internationale.

  • Des dirigeant·e·s de pays riches ont contourné les tentatives de coopération mondiale en achetant la plupart des stocks de vaccins disponibles dans le monde, n’en laissant guère pour les autres pays. Ils se sont en outre abstenus de pousser les entreprises pharmaceutiques à partager leurs connaissances et leurs technologies afin d’accroître l’offre de vaccins contre le COVID-19 à l’échelle mondiale.
  • Le gouvernement de Xi Jinping a censuré et persécuté les professionnel·le·s de santé et les journalistes en Chine qui ont tenté à un stade précoce de tirer la sonnette d'alarme au sujet du virus, empêchant ainsi la diffusion d’informations cruciales.
  • Le G2O a proposé de suspendre le service de la dette des pays les plus pauvres, tout en réclamant que les sommes concernées soient remboursées avec des intérêts ultérieurement.
Les pays riches comme la Suisse doivent se montrer plus solidaires

«Nous pourrons surmonter ces impasses uniquement si nous coopérons au niveau international. Les membres du G20 et les institutions financières internationales doivent alléger la dette des 77 pays les plus pauvres afin qu’ils puissent prendre les mesures nécessaires et se relever après la pandémie», souligne Alexandra Karle, directrice d’Amnesty International Suisse.

«Les États riches doivent veiller à ce que les vaccins soient rapidement disponibles pour tous et toutes, partout, et gratuitement là où les soins sont prodigués.» Alexandra Karle, directrice d’Amnesty International Suisse

«Les États riches doivent veiller à ce que les vaccins soient rapidement disponibles pour tous et toutes, partout, et gratuitement là où les soins sont prodigués. Les entreprises pharmaceutiques doivent partager leurs connaissances et leurs technologies afin que personne ne soit laissé de côté. La Suisse devrait en particulier cesser d’empêcher une dérogation à la propriété intellectuelle pour les vaccins contre le COVID-19», estime Alexandra Karle.

Dans le chapitre sur la Suisse, Amnesty International critique le refus du Conseil fédéral d'accepter un contingent plus important de réfugié·e·s en provenance des îles grecques, ce malgré des demandes d’asile historiquement basses, et bien que de nombreuses villes et communes aient expressément exprimé leur volonté de les accueillir.

L'organisation de défense des droits humains dénonce aussi les lois antiterroristes draconiennes adoptées par le Parlement, qui contiennent une définition vague et excessivement large du «terrorisme» et permettent de restreindre de manière préventive la liberté d'une personne sans inculpation, ni procès.

Force des mouvements de protestation

Les politiques répressives ont incité de nombreuses personnes à participer à des combats de longue haleine comme avec les manifestations du mouvement Black Lives Matter aux États-Unis, les manifestations du mouvement #End SARS au Nigeria, et les nouvelles formes innovantes de protestation telles que les manifestations virtuelles pour le climat. Le rapport fait état d’importantes et nombreuses victoires remportées en 2020, particulièrement dans le domaine de la lutte contre les violences liées au genre. Citons notamment les nouvelles lois qui ont été adoptées pour combattre les violences contre les femmes et les filles en Corée du Sud, au Koweït et au Soudan, ainsi que la dépénalisation de l'avortement en Argentine, en Corée du Sud et en Irlande du Nord.

«En 2020, l’impulsion est venue des innombrables personnes qui ont manifesté pour réclamer un changement.» Agnès Callamard, Secrétaire générale d’Amnesty International

«En 2020, l’impulsion est venue des innombrables personnes qui ont manifesté pour réclamer un changement. Nous avons assisté à des mouvements de protestation publics contre la répression et les inégalités en Pologne, à Hong Kong, en Irak et au Chili, notamment. C’est sous l’impulsion de gens ordinaires et des défenseur·e·s des droits humains que nous avons continué à avancer. Ces personnes se trouvent à l'avant-garde du combat pour un monde meilleur, plus sûr et plus égalitaire», a déclaré Agnès Callamard.