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Rapport 2021/22 d'Amnesty International Inegalités face à la pandémie et multiplication des conflits

Communiqué de presse du 29 mars 2022, Londres, Johannesburg, Berne – Contact du service de presse
Le constat est sans appel. L’an dernier, les inégalités ont été aggravées dans le cadre de la gestion de la pandémie en raison de l’avidité des grandes entreprises, des égoïsmes nationaux et de la négligence des gouvernements en matière de santé et d’infrastructures publiques. Par ailleurs, l’inertie des grandes puissances face à la multiplication des conflits a ouvert la voie à l’invasion de l’Ukraine. Ces deux thèmes sont au cœur du Rapport 2021/22 sur la situation des droits humains dans le monde que vient de publier Amnesty International.

« L’année 2021 aurait dû être une année de guérison et de redressement. Au lieu de cela, elle est devenue un incubateur d’inégalité et d’instabilité croissantes, qui auront des conséquences terribles pour les années à venir », a déclaré Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International à l’occasion de la publication du Rapport 2021/22 sur la situation des droits humains dans le monde.

Le succès des campagnes vaccinales entamé par le nationalisme égoïste et l’avidité des multinationales

Le déploiement rapide des vaccins anti-COVID-19 est apparu comme une solution miracle, laissant espérer la fin de la pandémie pour tout le monde. Cependant, malgré une production suffisante pour vacciner entièrement l’ensemble de la planète en 2021, à la fin de l’année, moins de 4 % de la population des pays à faible revenu présentait un schéma vaccinal complet.

Lors des sommets du G7, du G20 et de la COP26, les responsables politiques et économiques ont apporté un soutien de façade à des mesures qui permettraient d’améliorer nettement l’accès aux vaccins, de mettre fin au sous-investissement dans la protection sociale et de lutter contre les conséquences du changement climatique.

Les pays riches tels que les États membres de l’UE, le Royaume-Uni et les États-Unis ont accumulé plus de doses de vaccin que nécessaire, tout en fermant les yeux lorsque les grands groupes pharmaceutiques ont fait passer les profits avant les personnes, refusant de partager leurs technologies pour accroître la distribution des vaccins. En 2021, Pfizer/BioNTech et Moderna ont projeté des bénéfices allant jusqu’à 54 milliards de dollars américains, et pourtant, moins de 2 % de leurs vaccins ont été envoyés à des pays à faible revenu.

Les populations marginalisées plus durement touchées par les réponses à la pandémie

De nombreux pays du Sud ont subi de plein fouet les conséquences de l’entente entre les grandes entreprises et les gouvernements occidentaux. S’ajoute à cela l’effondrement des systèmes de santé et du soutien économique et social sous le poids de décennies de négligence. C’est en Afrique que ces effets se sont fait ressentir le plus cruellement. Voilà pourquoi Amnesty International lance aujourd’hui son rapport depuis Johannesburg.

En Afrique du Sud, environ 750 000 enfants avaient abandonné l’école en mai, soit plus du triple du nombre constaté avant la pandémie. Au Viêt-Nam, les travailleuses migrantes ont été tout particulièrement touchées, se retrouvant en situation d’insécurité alimentaire et dans l’incapacité de satisfaire d’autres besoins essentiels. Au Venezuela, la pandémie a aggravé la crise humanitaire préexistante : 94,5 % de la population vivait sous le seuil de pauvreté et 76,6 % dans une extrême pauvreté.

Les civils en ont été les victimes collatérales des conflits ; des millions ont été déplacés, des milliers tués, des centaines ont subi des violences sexuelles...

« Dans de nombreux pays, ce sont les personnes déjà marginalisées qui ont le plus souffert des choix politiques de quelques privilégiés. Des millions de personnes ont dû lutter pour survivre, beaucoup se sont retrouvées sans abri, des enfants ont été privés d’éducation et la pauvreté a augmenté. L’incapacité de la communauté internationale à proposer une réponse mondiale face à la pandémie a également semé les graines d’une violence et d’une injustice toujours plus fortes. La pauvreté croissante, l’insécurité alimentaire et l’instrumentalisation de la pandémie par des gouvernements pour mieux réprimer la dissidence et la contestation ont été largement cultivées en 2021 », a observé Agnès Callamard.

Propagation des conflits

En 2021, des conflits ont éclaté – ou ont persisté – en Afghanistan, au Burkina Faso, en Éthiopie, en Israël et dans les Territoires palestiniens occupés, en Libye, au Myanmar et au Yémen… Amnesty a documenté des violations du droit international humanitaire et du droit relatif aux droits humains par toutes les parties belligérantes. Les civils en ont été les victimes collatérales ; des millions ont été déplacés, des milliers tués, des centaines ont subi des violences sexuelles, et les systèmes de santé et les économies déjà fragiles se sont retrouvés au bord de la faillite.

L’échec au niveau mondial des efforts pour endiguer cette multiplication des conflits a semé une instabilité et une désolation croissantes. L’inefficacité de la réponse internationale à ces crises a été particulièrement visible au sein du Conseil de sécurité des Nations unies, qui n’a pas réussi à agir contre les atrocités au Myanmar, les violations des droits humains en Afghanistan ou encore les crimes de guerre en Syrie. Cette inaction honteuse, la paralysie persistante des organes multilatéraux et l’absence de responsabilisation des grandes puissances ont contribué à ouvrir la voie à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, qui constitue une violation flagrante du droit international.

« Bien rares ont été les occasions où la justice et le principe de l’obligation de rendre des comptes ont été respectés. La plupart du temps les conflits se sont intensifiés. En se prolongeant, ils ont eu des conséquences de plus en plus graves. Le nombre et la diversité des parties ont augmenté. De nouveaux théâtres d’opérations sont apparus. De nouvelles armes ont été testées. Les violences ont fait davantage de morts et de blessés. Le prix de la vie humaine a baissé. La stabilité mondiale a été plus qu’ébranlée », a déclaré Agnès Callamard.

Répression de la dissidence en plein essor

La tendance mondiale à réprimer les voix critiques et indépendantes a gagné du terrain en 2021. Les défenseur·e·x·s des droits humains, les ONG, les organes de presse et les opposant·e·s ont été la cible de détentions illégales, d’actes de torture et de disparitions forcées, bien souvent sous couvert de lutte contre la pandémie.

En 2021, au moins 67 pays ont adopté de nouvelles lois restreignant la liberté d’expression, d’association ou de réunion. Aux États-Unis, dans au moins 36 États, des parlementaires ont déposé plus de 80 propositions de loi visant à limiter la liberté de réunion, tandis que le gouvernement britannique a présenté son projet de loi relatif à la police, à la délinquance, aux condamnations et aux tribunaux, qui propose de réduire fortement le droit à la liberté de réunion pacifique, notamment en étendant les pouvoirs de la police.

Les technologies numériques furtives ont été utilisées comme armes par les autorités. En Russie, le gouvernement a eu recours à la reconnaissance faciale pour procéder à des arrestations massives de manifestant·e·x s pacifiques. En Chine, les autorités ont donné l’ordre aux fournisseurs d’accès à Internet de couper l’accès aux sites « mettant en danger la sécurité nationale », et elles ont bloqué les applications sur lesquelles étaient abordés des sujets controversés comme le Xinjiang ou Hong Kong. À Cuba, en Eswatini, en Iran, au Myanmar, au Niger, au Sénégal, au Soudan et au Soudan du Sud, les coupures et perturbations d’Internet ont servi à empêcher les personnes de partager des informations sur la répression et d’organiser leur réponse.

Force des mouvements citoyens

Des manifestant·e·x·s sont descendus dans la rue en Colombie lorsque le gouvernement a décidé d’augmenter les impôts au moment où les familles peinaient à se nourrir pendant la pandémie. En Russie, les rassemblements d’opposition se sont poursuivis malgré un nombre sans précédent d’arrestations arbitraires et de poursuites. Des agriculteurs et agricultrices indiens ont protesté contre les nouvelles lois qui risquaient de nuire à leurs sources de revenus.

Dans le monde entier, de jeunes militant·e·x··s et des défenseur·e·x·s des droits des peuples autochtones ont interpellé les gouvernements sur leur inaction face à la crise climatique. Des organisations de la société civile, dont Amnesty International, ont réalisé un travail de pression qui a porté ses fruits pour que soit reconnu le droit à un environnement propre, sain et durable.

Progrès pour les droits humains en Suisse

En Suisse, une large coalition de personnes concernées, d'organisations et de personnalités s'est formée pour exiger une réforme moderne du droit pénal en matière sexuelle. Cette coalition a influencé de manière déterminante le projet de loi. « Nous assistons à une mobilisation sans précédent en faveur d'une loi visant à mieux protéger les personnes concernées contre les violences sexuelles », a déclaré Alexandra Karle, directrice d'Amnesty Suisse.

«La protection des droits des LGBTQIA+ a connu des avancées importantes en Suisse: une grande majorité de la population a approuvé le 'mariage pour tous' lors d'une votation populaire historique.»
Alexandra Karle, directrice d'Amnesty Suisse

« La protection des droits des LGBTQIA+ a également connu des avancées importantes : une grande majorité de la population a approuvé le 'mariage pour tous' lors d'une votation populaire historique. La création d'une Institution nationale des droits humains, adoptée par le Parlement, constitue une autre étape importante pour les droits humains en Suisse. » 

Les recherches d'Amnesty International ont encore révélé des agressions commises par des agents de sécurité privés contre des personnes dans des centres fédéraux d'asile et ont documenté des lacunes structurelles dans la gestion de ces centres. « Nos critiques sur le traitement des demandeurs d'asile ont donné une voix aux plus vulnérables. D'importants changements ont depuis été entrepris par les autorités, qui pourraient entraîner des améliorations durables pour les personnes en quête de protection », a déclaré Alexandra Karle.