TABLE DES MATIÈRES
- Droits économiques, sociaux et culturels
- Liberté d’expression
- Liberté de réunion pacifique et d’association
- Arrestations et détentions arbitraires
- Impunité et droit à la justice
- Violations du droit international humanitaire
- Responsabilité des entreprises
- Liberté de religion et de conviction
- Droits des femmes et des filles
- Droits des lesbiennes, des gays et des personnes bisexuelles, transgenres ou intersexes
- Discrimination ethnique ou fondée sur la caste et droits des peuples autochtones
- Torture et autres mauvais traitements
- Lutte contre la crise climatique
- Droits des personnes réfugiées ou migrantes
- Peine de mort
Malgré de timides avancées, le tableau général restait cependant bien sombre. Au Myanmar, les civil·e·s ont été les premières victimes de l’escalade du conflit armé. Les conséquences sur les droits fondamentaux du retour des talibans au pouvoir en Afghanistan se sont fait de plus en plus sentir, avec notamment un terrible retour en arrière concernant les droits des femmes et des filles. Les crises économiques qu’ont alimentées la récession provoquée par la pandémie, la mauvaise gestion de l’économie ainsi que les conflits armés, dans la région et au-delà, ont eu de graves incidences sur les droits économiques et sociaux, notamment en Afghanistan, au Laos et au Sri Lanka, où l’accès aux denrées alimentaires, aux soins de santé et à un niveau de vie suffisant était de plus en plus compromis.
La dissidence était de moins en moins tolérée, de nombreux pays ayant renforcé les restrictions pesant sur la liberté d’expression et d’association et n’hésitant pas à arrêter et à placer arbitrairement en détention les personnes critiques à l’égard des autorités. Dans toute la région, les gens sont descendus dans la rue pour dénoncer les injustices, les privations et les discriminations, mais dans un certain nombre de pays, comme le Bangladesh, l’Inde, l’Indonésie, le Népal, le Pakistan, le Sri Lanka et la Thaïlande, les pouvoirs publics ont réagi en recourant contre ces personnes à une force excessive, parfois meurtrière. L’incapacité du Conseil des droits de l’homme de l’ONU à se saisir efficacement de certains problèmes graves dénoncés en Chine et aux Philippines n’a fait que perpétuer l’impunité. Des pratiques discriminatoires profondément ancrées, notamment à l’égard de certaines minorités, des femmes et des filles, des personnes LGBTI et des populations autochtones, persistaient également dans la région. La reprise des exécutions en Afghanistan et au Myanmar constituait par ailleurs une régression majeure.
DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS
Les crises économiques ont eu de lourdes conséquences sur les droits humains, notamment sur les droits à un niveau de vie suffisant et à la santé. Au Sri Lanka, où l’inflation a dépassé les 73 % au mois de septembre, toute une partie de la population n’avait plus les moyens de subvenir à ses besoins les plus élémentaires, y compris alimentaires et de santé. C’était en particulier le cas des travailleuses et travailleurs journaliers, parmi lesquels figuraient de nombreuses femmes et des membres des minorités tamoules malaiyahas. De même, au Laos, l’inflation était telle que nombre de produits de première nécessité étaient désormais hors de portée pour de nombreuses personnes. En Afghanistan, où sévissait une crise économique galopante, 97 % de la population se retrouvait plongée dans la pauvreté. Dans leur immense majorité, les familles ne mangeaient pas à leur faim et se voyaient de plus en plus souvent contraintes de mettre en œuvre des stratégies néfastes pour survivre ; cette situation ne pouvait qu’empirer avec l’adoption par les talibans, en décembre, d’un décret interdisant aux femmes de travailler pour des ONG, y compris humanitaires. Ce décret restreignait davantage encore les possibilités qu’avaient les femmes de gagner leur vie et privait les Afghan·e·s de certains services jusque-là fournis par des travailleuses.
Ailleurs, les garanties insuffisantes en matière de logement et les démolitions ont jeté à la rue des milliers de personnes, qui plongeaient alors ou risquaient de plonger dans le plus grand dénuement. Au Népal, le gouvernement n’a pas tenu compte des appels en faveur d’une modification de la Loi de 2018 sur le logement, qui ne garantissait pas suffisamment le droit au logement, exposant des centaines de familles, essentiellement issues de communautés marginalisées ou vivant dans des quartiers informels, à de possibles expulsions. En Inde, les autorités ont illégalement démoli, dans la capitale, New Delhi, ainsi que dans plusieurs États, un grand nombre d’habitations et de biens immobiliers divers appartenant principalement à des musulman·e·s, ce qui incitait à craindre qu’il ne s’agisse d’une forme de sanction collective destinée à punir une participation présumée à des affrontements intercommunautaires. Au Cambodge et en Mongolie, de nombreux foyers se sont retrouvés à la rue ou ont perdu leurs moyens de subsistance du fait d’opérations d’aménagement urbain.
Les États doivent garantir les droits économiques, sociaux et culturels, sans discrimination.
LIBERTÉ D’EXPRESSION
Le droit à la liberté d’expression restait menacé dans la région. De nombreux gouvernements ont intensifié la répression de la dissidence en cherchant à se soustraire aux regards extérieurs.
Les attaques contre la liberté de la presse ont persisté dans bon nombre de pays. En Afghanistan, les journalistes qui osaient critiquer les talibans faisaient l’objet d’arrestations et de placements en détention arbitraires, ainsi que d’actes de torture et d’autres mauvais traitements. Au Bangladesh, où les agressions, le harcèlement judiciaire et, plus généralement, les représailles contre les journalistes étaient monnaie courante, un projet de loi sur la protection des données menaçait de limiter davantage encore la liberté d’expression. Au Pakistan, les personnes travaillant dans la presse étaient elles aussi en butte à des pressions croissantes, les autorités n’hésitant pas à les arrêter pour des motifs fallacieux. L’arrivée au pouvoir d’un nouveau gouvernement aux Philippines n’a pas été immédiatement suivie d’une amélioration de la situation pour les médias. Deux journalistes au moins y ont été tués au second semestre, d’autres continuaient de faire l’objet d’un harcèlement judiciaire et plusieurs sites Internet appartenant à des groupes de presse indépendants restaient bloqués.
En Chine, la censure et la surveillance sur Internet se sont encore renforcées. Le gouvernement s’est également efforcé d’éviter que son bilan en matière de droits fondamentaux ne soit discuté sur la scène internationale, entre autres en essayant d’empêcher la publication par le HCDH d’un rapport sur de possibles crimes de droit international et autres graves violations des droits humains commis contre les Ouïghours et d’autres minorités ethniques musulmanes du Xinjiang.
De même, le gouvernement indien a cherché à empêcher que la situation dans le pays en matière de droits humains ne soit commentée hors de ses frontières, en interdisant à des défenseur·e·s des droits humains de se rendre à l’étranger. Il a par ailleurs pris la décision aussi illégale qu’inédite de proscrire l’usage de toute une liste de mots du vocabulaire courant dans les débats parlementaires, de toute évidence pour limiter les critiques émanant de l’opposition.
Au Myanmar, les autorités militaires ont renforcé la surveillance en ligne et hors ligne et restreint le droit à l’information. Elles auraient notamment eu recours à des systèmes de caméras de surveillance à reconnaissance faciale dans les grandes villes, et imposé périodiquement au niveau national des coupures d’Internet et des télécommunications. En Corée du Nord, toute critique du gouvernement restait interdite.
En Indonésie, la liberté d’expression a encore régressé, avec l’adoption en décembre d’un nouveau Code pénal rétablissant l’infraction d’insulte envers le ou la président·e ou d’autres représentant·e·s ou institutions de l’État. Le Parlement des Maldives a voté une loi qui pourrait contraindre les journalistes à révéler leurs sources. Signe encourageant, le gouvernement envisageait cependant de modifier cette loi, mais il faisait face à de vives critiques.
Au Viêt-Nam, les autorités ont continué d’utiliser le Code pénal en vigueur pour arrêter et traduire en justice de façon arbitraire les personnes qui les critiquaient. Un nouveau texte, le « Décret 53 », obligeait les entreprises technologiques à conserver les données de leurs utilisateurs et utilisatrices, pour éventuellement les communiquer aux autorités, ce qui risquait de renforcer l’arsenal de ces dernières pour la répression des voix dissidentes.
En Malaisie comme au Népal, des humoristes pouvaient être condamnés à des peines d’emprisonnement en raison de propos tenus lors de leurs spectacles.
Les États doivent respecter les libertés des médias, mettre fin à toute enquête ou procédure judiciaire ouverte pour des faits relevant de l’exercice du droit à la liberté d’expression sans discrimination, et abroger les dispositions juridiques réprimant l’expression légitime d’opinions ou susceptibles d’être utilisées pour la restreindre.
LIBERTÉ DE RÉUNION PACIFIQUE ET D’ASSOCIATION
Alors que les gouvernements cherchaient à réprimer toute dissidence, partout dans la région des personnes ont affirmé leur droit de manifester contre les injustices et la discrimination, au risque, bien souvent, d’être arrêtées et placées en détention de façon arbitraire, ou d’être blessées, voire tuées par des forces de sécurité réagissant fréquemment avec une force inutile ou excessive.
Au Sri Lanka, la police a causé des blessures et tué des personnes en tirant à balles réelles et en faisant usage de gaz lacrymogènes et de canons à eau contre des manifestant·e·s, pour la plupart pacifiques, qui protestaient contre la crise économique. Au Bangladesh, la police a tiré à balles réelles et avec des balles en caoutchouc et utilisé des grenades assourdissantes et des gaz lacrymogènes pour disperser des manifestations d’étudiant·e·s et de travailleuses et travailleurs.
Au Pakistan, les autorités ont dispersé par la force des manifestations pacifiques de militant·e·s et de proches de victimes de disparitions forcées. Au Népal, des policiers armés de matraques ont chargé et arrêté de façon arbitraire des victimes d’usuriers qui manifestaient pour réclamer justice. En Inde, deux manifestants, dont un jeune garçon âgé de 15 ans, ont été abattus par la police lors de rassemblements dans l’État de Jharkhand. La police indonésienne a également réagi aux manifestations avec une force inutile et parfois meurtrière, notamment en Papouasie et en Papouasie occidentale.
De nouvelles restrictions rognant toujours davantage le droit de manifester ont été adoptées dans plusieurs pays. En Inde, dans l’État du Karnataka, une ordonnance limitant les manifestations à un secteur précis de la capitale régionale a été confirmée. En Indonésie, le nouveau Code pénal interdisait les manifestations organisées sans autorisation. En Australie, plusieurs États ont adopté de nouvelles lois prévoyant des amendes et des peines d’emprisonnement en cas de participation à des manifestations non autorisées.
La liberté d’association a elle aussi reculé dans un certain nombre de pays. En Afghanistan, il n’était désormais quasiment plus possible pour les observatrices et observateurs indépendants de suivre l’évolution de la situation en matière de droits fondamentaux et d’en rendre compte. En Inde, les ONG étaient harcelées sous couvert de lutte contre le blanchiment d’argent et pour divers autres prétextes. Les activités légitimes des ONG au Myanmar ont fait l’objet de nouvelles restrictions et le non- respect des nouvelles dispositions était passible d’emprisonnement.
Le Parti du sauvetage national du Cambodge, principale formation d’opposition de ce pays, restait interdit et les actions judiciaires engagées contre ses membres et les militant·e·s du Parti de la bougie, qui lui a succédé, se poursuivaient. Aux Philippines, la pratique consistant à accuser publiquement des organisations et des personnes d’être liées à des groupes communistes en les qualifiant de « rouges » constituait toujours une manière de réprimer toute dissidence, en vouant les cibles ainsi désignées à la détention arbitraire ou à l’homicide illégal. En Mongolie, les défenseur·e·s des droits humains étaient accusés d’espionnage ou faisaient l’objet d’autres formes courantes d’intimidation. En Chine, dans la région autonome de Hong Kong, l’espace dévolu à la société civile s’est encore un peu plus rétréci en 2022 : certaines activités légitimes des ONG tombaient désormais sous le coup de la loi, ce qui créait un climat de peur et d’autocensure.
Les États doivent respecter les droits à la liberté de réunion pacifique et d’association, et en favoriser l’exercice. Le travail des défenseur·e·s des droits humains doit être respecté et protégé, et il doit pouvoir se faire dans un environnement sûr et favorable.
ARRESTATIONS ET DÉTENTIONS ARBITRAIRES
En Chine, même si les autorités assuraient le contraire, des milliers d’hommes et de femmes étaient toujours apparemment détenus de façon arbitraire dans le Xinjiang. Toujours en Chine, des militant·e·s tibétains ont été condamnés à de lourdes peines d’emprisonnement pour « incitation au séparatisme » et « menace à la sécurité de l’État », à l’issue de procès non équitables.
Ailleurs dans la région, des défenseur·e·s des droits humains et des militant·e·s politiques et écologistes, entre autres, ont été arrêtés et placés en détention arbitrairement pour avoir voulu exercer leur droit de manifester ou, plus généralement, de contester la politique et les agissements de leur gouvernement.
En Thaïlande, plus d’un millier de personnes, dont plusieurs centaines de mineur·e·s, faisaient l’objet de poursuites judiciaires pour avoir participé à des manifestations. Au Sri Lanka, des manifestant·e·s ont été appréhendés, placés arbitrairement en détention et inculpés de diverses infractions, notamment d’atteintes à la législation sur le terrorisme. Au Myanmar, les arrestations et incarcérations arbitraires et massives d’opposant·e·s au régime militaire se sont poursuivies et plus d’un millier de personnes ont été condamnées à l’issue de procès iniques.
Au Viêt-Nam, des militant·e·s des droits humains et des droits fonciers se sont vu infliger de lourdes peines d’emprisonnement, tandis qu’en Inde, des défenseur·e·s des droits fondamentaux étaient maintenus en détention sans procès.
Les États doivent mettre fin à toutes les arrestations et tous les placements en détention arbitraires de personnes qui, entre autres, les critiquent. Ils doivent libérer sans délai quiconque est incarcéré uniquement pour avoir exercé pacifiquement ses droits fondamentaux, notamment à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association.
IMPUNITÉ ET DROIT À LA JUSTICE
L’impunité régnait dans de nombreux pays où les autorités ne respectaient pas les droits des victimes à la justice, à la vérité et à des réparations, tandis que des organismes internationaux abdiquaient trop souvent leurs responsabilités consistant à garantir ces droits.
Malgré le rapport du HCDH qui apportait de nouveaux éléments à charge au dossier déjà lourd tendant à prouver que la Chine perpétrait des atrocités au Xinjiang, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a voté contre la simple tenue d’un débat sur la situation.
Cet organisme a de la même manière trahi les innombrables victimes de la « guerre contre la drogue » livrée aux Philippines, en ne renouvelant pas le mandat permettant au HCDH de suivre la situation des droits humains dans ce pays, malgré une augmentation inquiétante des homicides commis par la police dans le cadre d’opérations de lutte contre les stupéfiants. Concernant le Sri Lanka, en revanche, constatant l’absence de progrès dans l’établissement des responsabilités pour les crimes de droit international perpétrés pendant et après le conflit armé, le Conseil a adopté une résolution visant à prolonger le mandat autorisant le HCDH à recueillir des preuves en vue de procédures à venir en matière d’obligation de rendre des comptes.
En Afghanistan, l’impunité régnait plus que jamais, le système de justice tel que le concevaient les talibans n’ayant absolument aucune crédibilité. Au Népal, aucune avancée n’a été réalisée pour rendre justice aux dizaines de milliers de victimes de violations graves des droits humains perpétrées lors du conflit armé interne des années 1996-2006.
Lorsque des poursuites ont été engagées contre des responsables présumés, les procès ont trop souvent été entachés d’irrégularités. On pouvait ainsi s’interroger sérieusement sur la crédibilité du procès, en Indonésie, d’un ancien commandant militaire qui a été acquitté dans l’affaire de l’homicide illégal de quatre lycéens papous en 2014.
Les États doivent lutter contre l’impunité en diligentant des enquêtes approfondies, indépendantes, impartiales, efficaces et transparentes sur les crimes de droit international et les autres atteintes graves aux droits humains, et en traduisant en justice les responsables présumés de ces actes dans le cadre de procès équitables. Ils doivent pleinement coopérer avec les enquêtes et mécanismes de justice internationaux.
VIOLATIONS DU DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE
L’armée du Myanmar s’est rendue responsable de crimes de guerre : elle a intensifié les attaques, aveugles comme ciblées et terrestres comme aériennes, contre des populations et des biens civils, pillant et incendiant des villages, tuant des centaines de personnes et en déplaçant de force des milliers d’autres. Des éléments attestant l’utilisation d’armes à sous-munitions et de mines terrestres, deux types d’armement interdits par le droit international, ont également été recueillis.
Des crimes de guerre ont aussi été commis en Afghanistan, où les talibans ont continué de tuer par représailles d’anciens membres du précédent régime et de ses forces de sécurité ; ils ont également arrêté de façon arbitraire, torturé et exécuté de manière extrajudiciaire des personnes accusées d’être proches du Front national de résistance ou d’autres groupes d’opposition armés.
Des groupes armés se sont également rendus responsables de graves exactions en Afghanistan. L’État islamique de la province du Khorasan a ainsi poursuivi ses attaques ciblées contre des minorités ethniques et religieuses, notamment avec plusieurs attentats à l’explosif contre des centres religieux ou scolaires fréquentés par des Hazaras ou des sikhs. Au Myanmar, certains groupes ont eu recours à des mines terrestres antipersonnel ou à des engins explosifs improvisés, dont l’utilisation était interdite. Dans le territoire de Jammu-et- Cachemire, en Inde, des groupes armés auraient tué au moins 19 civil·e·s, dont des membres de la minorité hindoue.
Toutes les parties aux conflits armés doivent respecter le droit international humanitaire, et en particulier mettre fin aux attaques directes contre les populations et infrastructures civiles ainsi qu’à celles menées sans discrimination.
RESPONSABILITÉ DES ENTREPRISES
À la suite de la publication par Amnesty International d’un rapport mettant en cause le rôle de plusieurs entreprises dans l’importation et la livraison de carburant susceptible d’être utilisé par l’armée de l’air du Myanmar pour mener des frappes aériennes contre des civil·e·s, un certain nombre d’acteurs concernés, dont Puma Energy et plusieurs autres sociétés étrangères, ont annoncé qu’ils quittaient ce pays ou y suspendaient leurs activités commerciales.
Rappelant que les entreprises doivent prendre au sérieux la responsabilité leur incombant de protéger et promouvoir les droits fondamentaux, et qu’elles doivent être soumises à l’obligation de rendre des comptes en cas de défaillance, Amnesty International a également établi que les algorithmes et les pratiques commerciales de Meta (ex-Facebook) avaient contribué de façon non négligeable aux graves atteintes aux droits humains dont avaient été victimes les Rohingyas du Myanmar en 2017.
Les entreprises doivent mettre en place des mesures de diligence raisonnable afin que leurs activités et celles de leurs partenaires ne puissent ni causer ni favoriser des atteintes aux droits humains. Elles doivent en outre instaurer des mesures d’atténuation des conséquences de tout éventuel abus.
LIBERTÉ DE RELIGION ET DE CONVICTION
La liberté de religion et de conviction restait menacée dans plusieurs pays. En Inde, où des musulman·e·s étaient régulièrement arrêtés et poursuivis en justice pour avoir exercé leurs libertés religieuses, le gouvernement du Karnataka, suivant l’exemple de plusieurs autres États indiens, a adopté une loi rendant illégaux les mariages ayant donné lieu, selon un proche ou un autre tiers, à la conversion forcée de l’un des époux (souvent la femme, initialement hindoue). Le Karnataka interdisait en outre aux filles de porter le hijab dans les établissements scolaires publics.
Au Pakistan, cette année encore, des personnes accusées d’avoir enfreint les lois sur le blasphème ont été condamnées à mort et lynchées, et des conversions forcées à l’islam de femmes et de filles hindoues, chrétiennes ou sikhs ont été signalées.
En Chine, des dignitaires religieux et des pratiquant·e·s du Fa Lun Gong figuraient parmi les personnes arrêtées et détenues arbitrairement, et au Xinjiang, les Ouïghour·e·s, les Kazakh·e·s et les membres d’autres minorités ethniques majoritairement musulmanes continuaient d’être persécutés, ce qui menaçait de faire disparaître leur identité religieuse et culturelle.
Les États doivent prendre des mesures effectives pour mettre en œuvre des réformes juridiques et politiques destinées à intégralement protéger, promouvoir et garantir la liberté de religion et de conviction, sans discrimination.
DROITS DES FEMMES ET DES FILLES
Plusieurs pays, dont la Chine, l’Indonésie et la Papouasie-Nouvelle-Guinée, ont adopté des lois visant à renforcer la protection des femmes et des filles, et notamment à lutter contre les violences sexuelles et fondées sur le genre. En Inde, dans deux arrêts progressistes confirmant le droit à la dignité des travailleuses et travailleurs du sexe, la Cour suprême a ordonné à la police de ne plus harceler ces personnes et a interprété une loi existante de manière à étendre l’accès à l’interruption de grossesse à toutes les femmes, quelle que soit leur situation matrimoniale.
La réalité, pour nombre de femmes et de filles de la région, restait cependant marquée par une discrimination et une violence systémiques. En Afghanistan, les femmes et les filles ont été de fait effacées de la vie et de l’espace publics, de nouveaux décrets venant limiter davantage encore leurs droits et leurs libertés. Désormais, elles n’avaient plus le droit non seulement de travailler pour des ONG, mais également de voyager sans être accompagnées par un chaperon de sexe masculin, de faire des études secondaires et supérieures ou de se rendre dans un jardin public (pour ne citer que quelques exemples de restrictions).
Au Népal, les femmes n’avaient toujours pas les mêmes droits que les hommes en matière de citoyenneté et, bien que le délai de prescription pour le viol ait été allongé, le temps excessivement court imposé pour le dépôt d’une plainte constituait un obstacle majeur empêchant les victimes d’exercer leur droit à un recours effectif.
Aux Fidji, la participation des femmes aux élections législatives de décembre a de nouveau été entravée par une loi discriminatoire qui exigeait que les citoyennes souhaitant voter sous leur nom d’épouse modifient celui figurant sur leur certificat de naissance. Cette loi faisait l’objet d’un recours en justice, mais celui-ci n’avait toujours pas abouti. La représentation des femmes dans la vie publique restait faible, notamment en Papouasie-Nouvelle-Guinée, où seules deux des 118 parlementaires élus en 2022 étaient des femmes, et au Japon, où elles ne représentaient que 10,6 % des membres des assemblées préfectorales.
Les violences faites aux femmes restaient en outre endémiques. Des expertes des Nations unies ont demandé aux Maldives de prendre des mesures pour juguler la montée des violences fondées sur le genre constatée dans le pays. Au Bangladesh, une ONG a recensé plusieurs centaines de viols ou de meurtres de femmes perpétrés par les maris ou d’autres proches des victimes. De nombreux autres cas n’étaient probablement pas signalés et l’impunité restait très répandue pour ces crimes. Bien que réprimées par le Code pénal, les violentes agressions contre des femmes ou des filles accusées de sorcellerie perduraient en Papouasie-Nouvelle-Guinée.
Au Pakistan, plusieurs affaires de femmes tuées par leur compagnon ou un autre membre de leur famille ont eu un grand retentissement. Malgré cela, la proposition de loi sur la violence domestique déposée en 2021 n’avait toujours pas été adoptée.
Les États de toute la région doivent redoubler d’efforts pour protéger les femmes et les filles et mettre un terme aux discriminations dont elles font l’objet. Ils doivent notamment prendre des mesures concrètes pour prévenir les violences sexuelles et fondées sur le genre, et veiller à ce que les auteurs de tels faits soient poursuivis en justice.
DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET DES PERSONNES BISEXUELLES, TRANSGENRES OU INTERSEXES
Certains pays, comme le Japon, Singapour et Taiwan, ont fait quelques progrès sur la voie de la reconnaissance juridique des droits des personnes LGBTI. Ainsi, les relations sexuelles entre hommes consentants ne constituaient plus une infraction pénale à Singapour. Les autorités singapouriennes ont toutefois également modifié la Constitution pour empêcher de fait le mariage entre personnes de même sexe et, globalement, les personnes LGBTI faisaient toujours partie des groupes les plus menacés dans la région, tout particulièrement en Asie du Sud.
Au Sri Lanka, par exemple, le gouvernement n’a rien fait pour donner suite à la décision historique prise par le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes selon laquelle les dispositions du Code pénal srilankais réprimant les relations sexuelles entre individus de même sexe constituaient une violation du droit de ne pas subir de discrimination. En Afghanistan, les personnes LGBTI étaient contraintes de vivre dans la clandestinité pour échapper aux agressions physiques et sexuelles, à la détention arbitraire et à d’autres violations de leurs droits fondamentaux commises par les talibans. Les autorités chinoises ont elles aussi poursuivi leur politique hostile aux personnes LGBTI, restreignant fortement en ligne et hors ligne les activités militantes en leur faveur et censurant les contenus LGBTI. Au Pakistan, les personnes transgenres étaient toujours la cible de violentes agressions, de discours de haine et de menaces, et ce pays détenait le triste record du plus grand nombre de meurtres de personnes transgenres dans la région.
Les États doivent abroger les lois et renoncer aux politiques qui établissent une discrimination à l’égard des personnes LGBTI, notamment en dépénalisant les relations sexuelles entre individus de même sexe consentants et en levant les obstacles juridiques au mariage entre personnes de même sexe. Ils doivent en outre prendre des mesures destinées à protéger les droits des personnes LGBTI et à leur permettre de vivre dignement et en sécurité.
DISCRIMINATION ETHNIQUE OU FONDÉE SUR LA CASTE ET DROITS DES PEUPLES AUTOCHTONES
En Inde comme au Pakistan, la discrimination fondée sur la caste ne faiblissait pas. En Inde, les dalits (opprimés) et les adivasis (aborigènes) étaient victimes de violences et de discriminations de la part des membres des castes dominantes, et ce en toute impunité. Au Bangladesh, un projet de loi visant à interdire la discrimination fondée, entre autres, sur la caste et la religion a été déposé, mais les minorités hindoues continuaient de faire l’objet de violentes attaques collectives.
Les populations autochtones, ainsi que les minorités ethniques et religieuses, étaient elles aussi toujours en butte à une discrimination largement répandue au Cambodge, en Indonésie, au Japon, au Laos, en Malaisie, au Népal, aux Philippines, au Sri Lanka et en Thaïlande. En Australie, les Aborigènes et les personnes originaires des îles du détroit de Torrès étaient surreprésentés dans le système pénal. Au Sri Lanka, les minorités musulmanes et tamoules étaient en butte de façon disproportionnée aux arrestations et détentions arbitraires, en application d’une loi relative à la prévention du terrorisme particulièrement répressive. Au Japon, l’apologie de la haine et la désinformation en ligne visant les personnes d’origine coréenne persistaient, et l’assassinat de l’ancien Premier ministre Shinzo Abe leur a même été reproché.
Au Népal, les populations autochtones qui avaient été expulsées de leurs territoires ancestraux au moment de la création de parcs nationaux et de réserves naturelles restaient privées de terres et risquaient d’être expulsées des quartiers informels où elles vivaient. Les autorités malaisiennes ont déplacé de force une communauté autochtone de l’État du Kelantan pour permettre la construction d’un barrage. Au Cambodge, l’exploitation forestière illégale continuait de menacer les moyens de subsistance et la culture de populations autochtones locales.
Les États doivent garantir un accès effectif à la justice pour les victimes de discriminations ethniques, religieuses ou fondées sur la caste, ainsi que de crimes motivés par la haine. Ils doivent également collaborer avec les communautés affectées, pour élaborer des programmes complets permettant d’en finir avec la discrimination au sein du système pénal et avec l’apologie de la haine, en ligne et hors ligne.
TORTURE ET AUTRES MAUVAIS TRAITEMENTS
Dans de nombreux pays, les détenu·e·s ont cette année encore été souvent victimes de torture et d’autres formes de mauvais traitements. Des décès en détention, notamment des suites d’actes de torture, ont été signalés dans une dizaine de pays au moins.
Au Pakistan, après un combat qui aura duré une décennie, une loi réprimant la torture a enfin été adoptée ; des cas de torture et d’autres mauvais traitements infligés à des personnes incarcérées ont pourtant encore été signalés. En Mongolie, malgré la mise en place d’un mécanisme national de prévention de la torture, des cas de torture en détention ont continué d’être dénoncés. Au Népal, la torture continuait manifestement d’être utilisée pendant la détention provisoire, notamment pour obtenir des « aveux », et personne n’avait encore été condamné au titre de la loi de 2017 réprimant la torture.
Cinquante-quatre décès en détention présumés ont été enregistrés au Bangladesh au cours des neuf premiers mois de 2022. Des cas de violences sexuelles en détention ont été dénoncés au Myanmar, où des centaines de personnes sont également mortes en détention au cours de l’année. Des cas de torture et d’autres mauvais traitements ont aussi été signalés ailleurs dans la région, notamment en Chine, en Corée du Nord et au Viêt-Nam.
Dans la province indonésienne de l’Aceh, des dizaines d’hommes et de femmes ont été soumis à la flagellation. Depuis le retour des talibans au pouvoir, la flagellation pratiquée en public avec l’autorisation de l’État est réapparue en Afghanistan.
Les États doivent interdire et réprimer pénalement la torture et les autres formes de mauvais traitements, et prendre des mesures permettant de garantir réellement la protection des personnes et de prévenir ces violences. Lorsque de tels actes sont signalés, les États doivent mener une enquête, veiller à ce que les responsables présumés rendent des comptes et fournir un recours aux victimes.
LUTTE CONTRE LA CRISE CLIMATIQUE
Les inondations catastrophiques, les très fortes chaleurs, les typhons meurtriers et l’érosion côtière ont souligné la vulnérabilité de la région face au changement climatique. Celle-ci restait pourtant globalement mal préparée et peinait à s’adapter à cette crise, dont les conséquences les plus graves touchaient avant tout les populations les plus pauvres et les plus marginalisées. Au Pakistan, les vagues de chaleur, la sécheresse, puis des inondations dévastatrices ont privé près de 750 000 personnes d’accès à un logement convenable, à l’éducation ou aux soins de santé. En Inde, les agriculteurs et agricultrices, les vendeurs et vendeuses de rue, les travailleuses et travailleurs journaliers et, plus généralement, les personnes exerçant un métier en plein air ont été particulièrement touchés par des niveaux de chaleur et de pollution atmosphérique record. Au Bangladesh, le changement climatique, venant s’ajouter à la discrimination, a privé les dalits et d’autres populations marginalisées des régions côtières du sud-ouest du pays d’accès à l’approvisionnement en eau et aux installations sanitaires.
Malgré les signaux d’alarme, les objectifs en termes d’émissions de nombreux pays de la région, notamment des plus gros émetteurs, restaient insuffisants pour maintenir le réchauffement des températures moyennes de la planète au-dessous du seuil de 1,5 °C, et, bien souvent, les politiques publiques ne permettaient même pas d’atteindre les ambitions affichées. Il était particulièrement préoccupant de voir le Japon continuer de financer des projets pétroliers, gaziers et charbonniers internationaux et envisager la construction de nouvelles centrales électriques fonctionnant au charbon, ou la Chine accroître sa production de charbon, en dépit des engagements pris par les autorités en faveur de la transition vers les énergies renouvelables. De même, on ne pouvait que s’inquiéter des projets de production d’électricité de la Corée du Sud, incompatibles avec la nécessité de sortir du charbon à l’horizon 2030.
Les États de la région doivent de toute urgence revoir leurs objectifs et leurs politiques concernant le changement climatique, afin de les mettre en adéquation avec la nécessité de limiter l’élévation des températures de la planète. Les investissements dans l’adaptation et la préparation aux catastrophes doivent être accrus et la protection des groupes marginalisés ou, de façon générale, particulièrement exposés au changement climatique doit être une priorité. Les pays les plus riches de la région doivent en outre augmenter de toute urgence le financement climatique pour les pays à faible revenu et s’engager à fournir des fonds dédiés supplémentaires devant compenser les pertes et dommages subis.
DROITS DES PERSONNES RÉFUGIÉES OU MIGRANTES
Les personnes réfugiées ou demandeuses d’asile étaient toujours extrêmement marginalisées et menacées d’expulsion.
Le sort des réfugié·e·s rohingyas ayant fui le Myanmar n’avait toujours pas été résolu. Au Bangladesh, l’accès des enfants rohingyas à l’éducation s’est légèrement amélioré, mais on estimait que 100 000 d’entre eux environ n’étaient toujours pas scolarisés. En Malaisie, des Rohingyas et d’autres réfugié·e·s venant du Myanmar étaient placés en détention pour une durée indéterminée. Plusieurs sont morts en tentant de s’évader. Toujours en Malaisie, les mauvais traitements et les conditions de vie déplorables dans les centres de détention des services de l’immigration auraient entraîné la mort d’un grand nombre de ressortissant·e·s indonésiens.
L’Australie, le Japon et la région administrative spéciale de Hong Kong ont cette année encore eu pour politique, dans le cadre de leur gestion de l’immigration, de placer en détention les personnes réfugiées ou demandeuses d’asile. Des personnes de nationalité étrangère auraient été maltraitées dans des centres de détention en Corée du Sud. En Nouvelle-Zélande, une commission indépendante d’évaluation a estimé que le cadre réglementant la détention dans le contexte migratoire menait tout droit à la détention arbitraire. Elle recommandait de mettre un terme à la détention des personnes demandeuses d’asile dans des centres pénitentiaires.
Des Afghan·e·s qui fuyaient les persécutions dans leur pays ont subi des renvois forcés illégaux de la part de pays voisins. Les autorités malaisiennes ont quant à elles expulsé des milliers de personnes vers le Myanmar malgré la situation très préoccupante dans ce pays en matière de droits humains.
Les États doivent cesser de placer des personnes demandeuses d’asile en détention en raison de leur situation au regard de la législation sur l’immigration, et ils doivent leur permettre de solliciter une protection internationale, en veillant à ce qu’elles ne soient pas renvoyées de force dans un pays où elles seraient exposées à des persécutions.
PEINE DE MORT
Le gouvernement de la Papouasie-Nouvelle- Guinée a aboli la peine de mort. Les exécutions ont repris en Afghanistan, au Myanmar et à Singapour. À Singapour, des avocat·e·s qui défendaient des personnes condamnées à mort ont fait l’objet d’actes d’intimidation et de harcèlement.
Les États qui maintiennent encore la peine capitale doivent prendre de toute urgence les mesures nécessaires pour l’abolir totalement.