« Le rapport d’Amnesty International dresse un tableau caractérisé par une répression alarmante des droits humains et de multiples violations des règles internationales, sur fond d’accroissement des inégalités mondiales, de rivalités entre superpuissances et d’aggravation de la crise climatique », a déclaré Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International.
« Le mépris flagrant d’Israël pour le droit international est exacerbé par l’incapacité de ses alliés à mettre un terme au bain de sang infligé à la population civile de Gaza. Or, beaucoup de ces alliés ont été les architectes même de ce système juridique mis en place après la Seconde Guerre mondiale. Face à la poursuite de l’agression russe contre l’Ukraine, à la multiplication des conflits armés et aux violations massives des droits humains constatées, par exemple, au Soudan, en Éthiopie et au Myanmar, l’ordre mondial fondé sur le droit est menacé d’extinction. »
Le mépris de la loi, la discrimination et l’impunité dans les conflits et ailleurs ont été favorisés par l’utilisation incontrôlée de technologies nouvelles ou familières, qui sont aujourd’hui couramment utilisées comme armes par des acteurs militaires, politiques et du monde de l’entreprise. Les plateformes des géants technologiques alimentent les conflits. Des logiciels espions et des outils de surveillance de masse sont utilisés pour attenter aux libertés et aux droits fondamentaux, tandis que les gouvernements déploient des outils automatisés visant les groupes les plus marginalisés de la société.
« La prolifération et le déploiement non réglementés de technologies telles que l’IA générative, la reconnaissance faciale et les logiciels espions entrainent une multiplication sans précédent des violations des droits humains et du droit international », a déclaré Agnès Callamard.
Les civil·e·s paient le prix fort
À Gaza, les preuves de crimes de guerre continuent de se multiplier tandis que le gouvernement israélien vide de son sens le droit international. Après les terribles attaques menées par le Hamas et d’autres groupes armés le 7 octobre, les autorités israéliennes ont répondu par des frappes aériennes incessantes contre des zones civiles habitées, anéantissant souvent des familles entières, déplaçant de force près de 1,9 million de Palestinien·ne·s et limitant l’accès à l’aide humanitaire dont la population a désespérément besoin face à la famine croissante à Gaza.
«L’incapacité déconcertante de la communauté internationale à protéger de la mort des milliers de civil·e·s, montre que les institutions créées pour défendre les droits humains sont désormais incapables de remplir leur office.»
Agnès Callamard, secrétaire générale d'Amnesty international
Les États-Unis ont utilisé de façon éhontée leur droit de veto pour paralyser pendant des mois le Conseil de sécurité des Nations unies alors qu’une résolution en faveur d’un cessez-le-feu était indispensable, tout en continuant d’armer Israël avec des munitions qui ont été utilisées pour commettre de probables crimes de guerre. Le deux poids deux mesures des pays européens comme le Royaume-Uni et l’Allemagne, qui ont protesté à juste titre contre les crimes de guerre commis par la Russie et le Hamas, tout en soutenant les actions des autorités israéliennes et américaines dans ce conflit, est également patent.
« L’incapacité déconcertante de la communauté internationale à protéger de la mort des milliers de civil·e·s, dont une forte proportion d’enfants, dans la bande de Gaza occupée montre clairement que les institutions créées justement pour protéger les populations civiles et défendre les droits humains sont désormais incapables de remplir leur office », a déclaré Agnès Callamard.
Le rapport d’Amnesty International fait aussi état de violations flagrantes des règles par les forces russes dans le cadre de la poursuite de leur invasion à grande échelle de l’Ukraine. Il dénonce les attaques aveugles contre des zones civiles densément peuplées et des infrastructures dédiées à la production d’énergie ou à l’exportation de céréales, ainsi que le recours à la torture et à d’autres mauvais traitements contre des prisonniers de guerre. À cela vient s’ajouter la contamination massive de l’environnement par des actes tels que la destruction du barrage de Kakhovka, largement attribuée aux forces russes.
Au Soudan, les deux parties au conflit, à savoir les Forces armées soudanaises et les Forces d’appui rapide, se sont montrées peu préoccupées par le droit international humanitaire. Elles ont mené des attaques ciblées ou aveugles qui ont tué et blessé des civil·e·s, et ont tiré des munitions explosives depuis des quartiers densément peuplés, faisant au total 12 000 morts en 2023. Plus de huit millions de personnes ont été contraintes de prendre la fuite, ce qui constitue la plus grande crise de la planète en matière de déplacement de population. Alors qu’aucune fin du conflit n’est en vue, la crise alimentaire qui frappe le Soudan depuis des mois est en passe de tourner à la famine.
Les technologies alimentent la haine, la division et la discrimination
Dans de nombreuses parties du monde, des acteurs politiques intensifiaient leurs attaques contre les femmes, les personnes LGBTQI+ et les populations marginalisées, historiquement utilisées comme boucs émissaires à des fins politiques ou électorales. Les technologies ont de plus en plus été utilisées comme armes au service de ces forces politiques répressives dans le but de diffuser de la désinformation, de dresser les communautés les unes contre les autres et d’attaquer les minorités.
Le rapport d’Amnesty International souligne aussi l’utilisation massive des technologies existantes pour conforter des politiques discriminatoires. Des États comme l’Argentine, le Brésil, l’Inde et le Royaume-Uni se sont de plus en plus tournés vers les technologies de reconnaissance faciale pour assurer le maintien de l’ordre pendant des manifestations et des événements sportifs et pour traiter de façon discriminatoire des populations marginalisées, en particulier les personnes migrantes et réfugiées.
L’utilisation indigne de la reconnaissance faciale a été particulièrement généralisée en Cisjordanie, dans les territoires palestiniens occupés, où Israël s’en est servi pour renforcer les restrictions du droit de circuler librement et maintenir son système d’apartheid.
Des technologies abusives ont aussi été utilisées dans le cadre de politiques migratoires et de contrôle des frontières, notamment des alternatives numériques à la détention, des technologies d’externalisation du contrôle des entrées sur le territoire, des logiciels de traitement des données et des systèmes de prise de décisions biométriques et algorithmiques. La prolifération de ces technologies perpétue et renforce la discrimination, le racisme et la surveillance disproportionnée et illégale envers les personnes racisées.
En 2023, l’évolution rapide de l’IA générative a fait changer d’échelle la menace que constituait l’éventail de technologies déjà existantes – des logiciel espions à l’automatisation des services publics en passant par les algorithmes immaîtrisables des réseaux sociaux. Face à ces évolutions extrêmement rapides, la réglementation n’a guère progressé.
« Il y a un gouffre entre les risques posés par l’évolution non contrôlée des technologies et le niveau de réglementation et de protection qui serait nécessaire. Notre avenir tel qu’il se présente ne va faire qu’empirer si la prolifération galopante de technologies non réglementées n’est pas freinée », a déclaré Agnès Callamard.
L’organisation de défense des droits humains prévoit une aggravation de ces problèmes en cette année électorale majeure, compte tenu du rôle de catalyseur des violations des droits humains joué, dans le contexte des élections, par les grandes plateformes de réseaux sociaux comme Facebook, Instagram, TikTok et YouTube.
« Nous avons vu combien la haine, la discrimination et la désinformation étaient amplifiées et diffusées par les algorithmes des réseaux sociaux, qui sont optimisés avant tout pour obtenir un taux d’« engagement » maximal. Ils créent une boucle de commentaires infinie et dangereuse, en particulier dans les périodes particulièrement sensibles sur le plan politique. Les outils actuels peuvent générer des images, des enregistrements audio et des vidéos virtuels en quelques secondes, ainsi que prendre pour cible des publics précis par groupes entiers. », a déclaré Agnès Callamard.
En novembre, l’élection présidentielle américaine va se tenir dans un contexte de hausse de la discrimination, du harcèlement et de la violence sur les réseaux sociaux à l’encontre des groupes marginalisés, notamment des personnes LGBTQI+. Les contenus menaçants et intimidants hostiles à l’avortement prolifèrent également.
Une mobilisation mondiale sans précédent
Le conflit entre Israël et le Hamas a provoqué des centaines de manifestations à travers le monde. Des gens ont exigé un cessez-le-feu afin de mettre un terme aux souffrances croissantes des Palestinien·ne·s à Gaza et réclamé la libération des otages pris par le Hamas et d’autres groupes armés, bien avant que nombre de gouvernements ne se décident à le faire. Par ailleurs, des manifestant·e·s sont descendus dans la rue aux États-Unis, en Pologne et au Salvador pour revendiquer le droit à l’avortement, face aux réactions de plus en plus virulentes contre la justice de genre. Aux quatre coins de la planète, des milliers de personnes ont rejoint le mouvement de jeunes Fridays for Future afin de réclamer l’abandon équitable et rapide des énergies fossiles.
La Suisse pointée du doigt pour ses atteintes au droit de manifester
Le droit de manifester, essentiel pour attirer l’attention sur les atteintes aux droits humains, est enfreint de multiples manières à travers le monde, y compris en Suisse. Le système exigeant une autorisation préalable pour les rassemblements publics était toujours en vigueur. Des manifestations pacifiques non autorisées ont été dispersées par la force, notamment dans les villes de Bâle et de Genève.
Dans les cantons de Zurich et de Bâle-Ville, les jeunes UDC ont lancé une initiative populaire visant à renforcer l’obligation d’autorisation préalable pour les manifestations, et à engager la responsabilité financière des organisateurs et organisatrices. Et après que le conflit armé a éclaté à Gaza, plusieurs villes germanophones de Suisse ont provisoirement interdit les manifestations.
« Compte tenu de l’état peu réjouissant de la situation mondiale, il faut agir de toute urgence pour renouveler les institutions internationales censées sauvegarder l’humanité. Des mesures doivent être prises pour réformer le Conseil de sécurité des Nations unies afin que les membres permanents ne puissent plus utiliser leur droit de veto sans aucun contrôle pour empêcher la protection de populations civiles et renforcer leurs alliances géopolitiques. Les gouvernements doivent aussi prendre des mesures législatives et réglementaires fermes pour lutter contre les risques et préjudices liés aux technologies de l’IA et au règne des géants technologiques », a conclu Agnès Callamard.