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Aperçu
Dans bien des pays d’Afrique, il était dangereux de critiquer les autorités. Les personnes qui manifestaient contre les abus, les manquements ou la corruption imputés à leur gouvernement faisaient souvent l’objet d’une violente répression, qui visait particulièrement les journalistes, les défenseur·e·s des droits humains, les militant·e·s et les responsables et membres de l’opposition. En l’espace d’une semaine, les homicides de l’éminent défenseur des droits humains Thulani Maseko en Eswatini et du journaliste Martinez Zogo au Cameroun, ainsi que la mort du journaliste d’investigation rwandais John Williams Ntwali dans des circonstances suspectes, ont marqué au mois de janvier une période sombre pour le mouvement des droits humains.
Des facteurs conjugués, tels que l’inflation, la corruption, le changement climatique et les conflits, ont créé des conditions de vie insoutenables. Des millions de personnes étaient privées de leurs droits économiques et sociaux les plus élémentaires. De nombreux pays ont été touchés de manière disproportionnée par une forte inflation des prix de l’alimentation, et l’insécurité alimentaire a atteint un niveau effarant.
Des conflits armés et des phénomènes météorologiques extrêmes incessants ont entraîné le déplacement de millions de personnes. En outre, les autorités de plusieurs pays se sont soustraites à leur obligation de protéger les personnes réfugiées ou demandeuses d’asile.
La discrimination et les violences fondées sur le genre à l’égard des femmes et des filles demeuraient solidement enracinées, tandis que les attaques homophobes et la répression des droits des personnes LGBTI se sont intensifiées dans l’ensemble de la région.
Globalement, les États africains sont restés sourds aux appels les incitant à lutter contre l’impunité, qu’ils ont ainsi laissée prospérer et alimenter le cercle vicieux des atteintes aux droits humains et du mépris de l’état de droit. De nombreux États ont sapé les initiatives en faveur de la justice et de l’obligation de rendre des comptes ou ont ouvertement entravé l’examen de leur bilan en matière de droits humains par la communauté internationale.
ATTAQUES ET HOMICIDES ILLÉGAUX
Les conflits armés ont continué d’avoir des effets dévastateurs sur les civil·e·s au Burkina Faso, au Cameroun, au Mali, au Nigeria, en République centrafricaine, en République démocratique du Congo (RDC), en Somalie, au Soudan et ailleurs.
Lorsqu’ils n’étaient pas délibérément visés, notamment dans le cadre d’attaques motivées par des considérations ethniques, les civil·e·s subissaient de plein fouet des opérations menées sans discernement, qui pouvaient prendre la forme de frappes aériennes, de tirs de roquettes ou d’obus de mortier, ou du recours à d’autres armes explosives à large rayon d’impact. Certaines de ces attaques constituaient des crimes de guerre.
Au Soudan, plus de 12 000 personnes ont trouvé la mort lorsque des combats ont éclaté entre les Forces armées soudanaises (FAS) et les Forces d’appui rapide (FAR). Des civil·e·s ont été tués ou blessés dans des attaques ciblées à de multiples endroits du pays, dont Khartoum, la capitale, mais plus particulièrement dans le Darfour occidental, ainsi que par des armes explosives que les FAS et les FAR ont tirées depuis des quartiers densément peuplés.
Au Burkina Faso, des membres du groupe armé Ansarul Islam ont tué au moins 60 civil·e·s dans la ville de Partiaga en février, ainsi que 22 personnes à Nohao six mois plus tard. Les forces gouvernementales ont elles aussi pris pour cible la population civile. Des militaires accompagnés de Volontaires pour la défense de la patrie ont tué au moins 147 civil·e·s dans le village de Karma.
En RDC, des groupes armés ont fait au moins 4 000 morts et des milliers de blessés. Dans la province du Nord-Kivu, des combattants des Forces démocratiques alliées, un groupe armé, ont massacré quelque 23 personnes à la machette. Dans la province de l’Ituri, au moins 46 personnes, dont la moitié étaient mineures, ont été tuées par balle ou à l’arme blanche en une nuit par des combattants de la Coopérative pour le développement du Congo, un autre groupe armé.
Au Mali, les attaques de l’État islamique au Sahel contre les villages de Gaina et de Boyna, dans la région de Gao, ont fait 17 morts. Deux mois plus tard, des membres du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans ont attaqué les villages de Bodio et de Yarou, dans la région de Bandiagara, faisant 37 morts parmi la population civile.
Au Nigeria, une frappe de l’armée de l’air a tué au moins 21 civil·e·s dans l’État du Niger, tandis qu’en Somalie un nouveau conflit entre les forces de sécurité du Somaliland et des combattants armés a fait 36 morts au sein de la population civile, principalement à cause du pilonnage aveugle de la ville de Las Anod par les forces de sécurité du Somaliland.
Les parties aux différents conflits armés doivent protéger la population en cessant de mener des attaques ciblées ou sans discernement contre des personnes ou des infrastructures civiles.
VIOLENCES SEXUELLES OU LIÉES AU GENRE DANS LES CONTEXTES DE CONFLIT
Cette année encore, des violences sexuelles et des violences fondées sur le genre ont été perpétrées dans des contextes de conflit, notamment des viols, des viols en réunion, des enlèvements et de l’esclavage sexuel. De nombreuses victimes n’ont pas eu accès à l’aide médicale et psychosociale dont elles avaient besoin.
Des membres des forces de défense érythréennes ont maintenu au moins 15 femmes en captivité pendant près de trois mois dans un camp militaire de la région du Tigré, en Éthiopie, et les ont violées à maintes reprises.
Au Burkina Faso, des membres présumés d’Ansarul Islam ont enlevé 66 femmes, filles et bébés près du village de Liki (région du Sahel). Ces personnes ont été relâchées au bout de quatre jours à la faveur d’un contrôle routier à Tougouri.
Au Nigeria, des combattants de Boko Haram ont enlevé plus de 40 femmes dans la zone de gouvernement local de Mafa (État de Borno).
En République centrafricaine, l’ONU a annoncé avoir recueilli des preuves de viol mettant en cause 11 casques bleus tanzaniens.
En RDC, plus de 38 000 cas de violences sexuelles ont été signalés rien que dans la province du Nord-Kivu au cours du premier trimestre.
Au Mali, sur la même période, l’ONU a recensé 51 cas de violences perpétrées contre des femmes et des filles dans le cadre du conflit.
Au Soudan, des dizaines de femmes et de filles ont été soumises à des violences sexuelles, notamment des viols, par des combattants des deux camps, mais principalement par des membres des FAR et de leurs milices alliées. Des combattants des FAR ont par exemple enlevé 24 femmes et filles et les ont séquestrées dans un hôtel de Nyala pendant plusieurs jours dans des conditions s’apparentant à de l’esclavage sexuel.
Les parties aux différents conflits armés doivent donner à leurs membres et à leurs forces des ordres clairs interdisant les violences sexuelles ou fondées sur le genre, et les États doivent veiller à ce que les victimes de ces violences aient pleinement accès à des soins médicaux et à une aide psychosociale.
RÉPRESSION DE LA DISSIDENCE
LIBERTÉ DE RÉUNION PACIFIQUE
Dans toute la région, des manifestant·e·s sont descendus dans la rue pour faire entendre leurs préoccupations sur une multitude de sujets, dont le coût élevé de la vie, la mauvaise gouvernance et les violations des droits humains. Dans de nombreux cas, les forces de sécurité ont dispersé ces rassemblements au moyen d’une force excessive : des dizaines de manifestant·e·s et de passant·e·s ont été tués ou blessés, notamment en Angola, en Éthiopie, au Kenya, au Mali, au Mozambique, au Sénégal et en Somalie. Au Kenya, la police a tué au moins 57 personnes au cours de manifestations entre mars et juillet. Au Sénégal, au mois de juin, des policiers et des hommes armés en civil ont tiré à balles réelles pour disperser de violentes manifestations à Dakar, la capitale, et à Ziguinchor, faisant au moins 29 morts.
Dans d’autres cas, des manifestations ont été interdites par avance, comme en Guinée, au Sénégal, en Sierra Leone et au Tchad. Ces interdictions ont porté essentiellement sur des rassemblements et des manifestations organisés par la société civile ou par des partis ou responsables de l’opposition. Au Tchad, le ministère de la Sécurité publique a interdit notamment deux événements de protestation organisés par des partis d’opposition. Le motif affiché était que ces partis n’avaient pas d’existence légale et ne remplissaient pas les conditions d’autorisation relatives aux manifestations. En Guinée, l’interdiction générale de tous les rassemblements politiques imposée depuis mai 2022 était toujours en vigueur. Néanmoins, plusieurs manifestations de soutien au chef de l’État ont été autorisées.
LIBERTÉ D’EXPRESSION
Cette année encore, le droit à la liberté d’expression a été menacé. S’opposer ouvertement aux politiques, aux mesures ou à l’inaction des pouvoirs publics ou diffuser publiquement des informations jugées préjudiciables aux autorités pouvait entraîner une arrestation, une détention arbitraire, voire la mort. En Eswatini, le défenseur des droits humains Thulani Maseko a été assassiné à son domicile. Au Cameroun, le journaliste Martinez Zogo a été enlevé dans la banlieue de Yaoundé et son corps mutilé a été retrouvé cinq jours plus tard. Il travaillait sur la corruption présumée de personnes proches du gouvernement. John Williams Ntwali, un journaliste d’investigation qui travaillait sur des questions en rapport avec les droits humains, est mort dans des circonstances suspectes au Rwanda. La veille, il avait confié à un confrère qu’il craignait pour sa sécurité.
Au Soudan du Sud, sept journalistes ont été incarcérés arbitrairement au centre de détention du Service national de la sûreté à Djouba, la capitale, en lien avec une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux dans laquelle le président semblait s’uriner dessus. Ils ont été détenus pendant des durées variables, allant jusqu’à 10 semaines, avant d’être libérés sans inculpation. L’un d’eux aurait subi des actes de torture et d’autres mauvais traitements.
En Somalie, un tribunal a condamné à deux mois d’emprisonnement le journaliste Abdalle Ahmed Mumin, secrétaire général du Syndicat des journalistes somaliens, déclaré coupable d’avoir « désobéi aux ordres des autorités ». Ayant déjà passé plus de deux mois en détention provisoire, il a été libéré, avant d’être de nouveau arrêté un peu plus d’une semaine après et enfermé pendant un mois. En Tanzanie, entre les mois de juin et de décembre, au moins 12 personnes ont été arrêtées pour avoir critiqué l’accord sur les ports entre la Tanzanie et les Émirats arabes unis, avant d’être libérées sans condition au bout de quelques jours.
Le harcèlement judiciaire de personnes émettant des critiques était monnaie courante. Au Burundi, la journaliste Floriane Irangabiye a été condamnée à 10 ans d’emprisonnement pour « atteinte à l’intégrité du territoire national ». Sa condamnation, fondée sur des propos tenus lors d’une émission de radio, a été confirmée en appel. Au Bénin, Virgile Ahouansè, directeur de l’information d’une station de radio en ligne, a été condamné à une peine de 12 mois d’emprisonnement avec sursis pour « diffusion de fausses informations ». En 2022, il avait diffusé une enquête dans le cadre de laquelle des témoins accusaient la police de s’être livrée à des exécutions extrajudiciaires. Au Niger, Samira Ibrahim a été déclarée coupable de « production de données de nature à troubler l’ordre public » après avoir affirmé sur Facebook que l’Algérie ne reconnaissait pas le régime militaire du Niger.
Plusieurs journalistes, défenseur·e·s des droits humains et militant·e·s, notamment du Mali, de République centrafricaine, de Tanzanie, du Tchad et du Togo, ont été contraints à l’exil. Au Togo, Ferdinand Ayité et Isidore Kowonou, du journal L’Alternative, ont été condamnés à trois ans de prison et à une lourde amende pour avoir publié un article accusant deux membres du gouvernement de corruption. Ils ont quitté le pays pour ne pas avoir à purger leur peine. En République centrafricaine, après avoir reçu des menaces d’une source inconnue, un journaliste qui avait travaillé sur des faits de corruption présumés à l’Assemblée nationale a fui le pays. Au Mali, Aminata Dicko, défenseure des droits humains, a dû s’exiler après avoir dénoncé devant le Conseil de sécurité de l’ONU les atrocités commises par les forces armées. À la suite de cette intervention, elle avait été convoquée par la Gendarmerie nationale, qui l’avait interrogée en lien avec des accusations de haute trahison et de diffamation.
Au Bénin, au Burkina Faso, au Niger, au Tchad, au Togo et ailleurs, les pouvoirs publics ont suspendu des médias, des journaux ou des sites d’actualités pour des durées plus ou moins longues. Confrontées à une agitation sociale ou politique, les autorités d’Éthiopie, de Guinée, de Mauritanie et du Sénégal ont suspendu ou perturbé l’accès à Internet. Au Nigeria, la Commission nationale de régulation des médias a infligé des amendes à 25 stations de diffusion en lien avec la façon dont elles avaient traité les élections générales de 2023. Il leur était reproché d’avoir enfreint le Code de l’audiovisuel. D’autres autorités sont allées encore plus loin, notamment au Bénin, où le groupe de presse de La Gazette du Golfe a vu ses activités suspendues jusqu’à nouvel ordre. Au Burkina Faso, deux correspondantes étrangères ont été expulsées du pays et, au Niger, le journal L’Événement a été contraint de fermer ses portes parce qu’il n’aurait pas payé ses impôts.
LIBERTÉ D’ASSOCIATION
Les restrictions sévères et injustifiées du droit à la liberté d’association se sont multipliées. Des partis d’opposition ont été pris pour cible et leurs possibilités d’organiser et de mener librement leurs activités ont été limitées. Au Burundi, les autorités ont suspendu presque toutes les activités du principal parti d’opposition, le Congrès national pour la liberté. Après le coup d’État de juillet au Niger, l’armée a suspendu jusqu’à nouvel ordre toutes les activités des partis politiques. En Ouganda, les réunions de campagne et les autres activités du parti Plateforme de l’unité nationale ont été suspendues.
Sur une note plus positive, la présidente de la Tanzanie a levé l’interdiction des rassemblements et autres activités organisés par des partis politiques qui avait été instaurée en 2016.
Les autorités ont continué d’instrumentaliser la législation pour restreindre les droits humains, notamment le droit à la liberté d’association. En Angola, le Parlement a adopté le projet de loi sur les ONG, qui risquait, selon celles-ci, de limiter le droit à la liberté d’association et de donner à l’exécutif des pouvoirs excessifs lui permettant d’interférer avec leurs activités.
ARRESTATIONS ET DÉTENTIONS ARBITRAIRES, TORTURE ET AUTRES MAUVAIS TRAITEMENTS
Les arrestations et détentions arbitraires étaient toujours monnaie courante. Il était fréquent que de nombreuses personnes soient arrêtées et placées en détention lors de la dispersion de manifestations par les forces de sécurité ou dans le cadre d’un état d’urgence. En août, à la suite de combats entre l’armée et la milice Fano dans la région Amhara, le gouvernement éthiopien a décrété l’état d’urgence pour une durée de six mois dans l’ensemble du pays. Cet état d’urgence a servi de prétexte à la détention de centaines de personnes, qui n’ont pas été autorisées à consulter un·e avocat·e ni à recourir à la justice. Au Sénégal, plus d’un millier de personnes ont été arrêtées et placées en détention principalement en raison de leur participation à des manifestations ou de leur lien présumé avec le parti d’opposition Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef).
Dans d’autres pays, dont le Botswana, le Burundi, le Niger et le Zimbabwe, des personnalités politiques de premier plan ont été arrêtées ou détenues arbitrairement. Au Botswana, plusieurs responsables du Front patriotique du Botswana, un parti d’opposition, et deux journalistes ont été arrêtés et détenus jusqu’à deux jours sans inculpation. À la suite du coup d’État au Niger, le président, Mohamed Bazoum, et sa famille ont été retenus dans le palais présidentiel. Plusieurs anciens membres du gouvernement et du parti au pouvoir ont été détenus sans inculpation. Au Zimbabwe, Jacob Ngarivhume, dirigeant du parti d’opposition Transform Zimbabwe, a été mis hors de cause en appel huit mois après avoir été condamné à quatre ans de prison (dont un avec sursis). Il avait été arrêté en juillet 2020 pour avoir mené et organisé des manifestations contre la corruption.
Des arrestations et détentions arbitraires ont aussi été signalées, entre autres, en Guinée équatoriale, au Mali et en RDC.
En outre, la torture et les autres formes de mauvais traitements en détention suscitaient toujours de graves inquiétudes. Des décès suspects en garde à vue ont été signalés dans plusieurs pays, dont la Guinée équatoriale, le Lesotho, la Mauritanie et le Nigeria. En Mauritanie, le défenseur des droits humains Souvi Ould Jibril Ould Cheine est mort après un interrogatoire dans un poste de police. Une autopsie officielle a permis de conclure qu’il avait été tué par strangulation, ce qui contredisait les affirmations des autorités selon lesquelles il aurait succombé à une crise cardiaque. Le procureur de la République a ordonné l’arrestation du commissaire et des policiers impliqués. Au Nigeria, Faiz Abdullahi est mort en garde à vue dans l’État de Kaduna après avoir été torturé pendant son interrogatoire, et un lycéen de 17 ans est décédé à l’hôpital après avoir été torturé pendant son interrogatoire par la police dans l’État d’Adamawa.
EXÉCUTIONS EXTRAJUDICIAIRES ET DISPARITIONS FORCÉES
Dans plusieurs pays, des exécutions extrajudiciaires et d’autres homicides illégaux, ainsi que des disparitions forcées, ont encore été perpétrés à des fins de répression. Au Burkina Faso, des personnalités de l’opposition ont été enlevées ou arrêtées et soumises à une disparition forcée, notamment le président national d’une organisation représentant les intérêts des éleveurs nomades. Cette année encore, des disparitions forcées ont été signalées au Burundi. La majorité des victimes étaient des opposants politiques, et les auteurs présumés étaient principalement des agents du Service national de renseignement et des membres des Imbonerakure, la branche jeunesse du parti au pouvoir. En Érythrée, on ignorait toujours ce qu’il était advenu de 11 membres du G-15, un groupe de 15 responsables politiques de haut niveau qui avaient critiqué publiquement le président en 2001, ainsi que de 16 journalistes accusés d’être liés à ce groupe.
Les États doivent mettre fin au harcèlement et aux actes d’intimidation qui visent des journalistes, des défenseur·e·s des droits humains, des militant·e·s ainsi que des membres et des responsables de l’opposition. Ils doivent libérer immédiatement et sans condition les personnes détenues arbitrairement et veiller à ce que la liberté de la presse soit respectée, notamment en permettant aux médias de fonctionner en toute indépendance.
DROITS ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX
DROIT À L’ALIMENTATION
Beaucoup des pays les plus durement frappés par la forte inflation des prix alimentaires se trouvaient en Afrique. Le nombre de personnes en situation d’insécurité alimentaire a atteint un niveau effarant. Le Programme alimentaire mondial a estimé que, au mois de février, 78 % de la population de la Sierra Leone se trouvait en situation d’insécurité alimentaire et 20 % des foyers étaient confrontés à une insécurité alimentaire grave. Au Soudan du Sud, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires [ONU] recensait en décembre 5,83 millions de personnes en forte insécurité alimentaire (soit 46 % de la population). En Namibie, l’insécurité alimentaire aiguë s’est fortement accrue et concernait 22 % de la population.
Le changement climatique et les phénomènes météorologiques extrêmes ont aggravé la crise alimentaire. À Madagascar, l’insécurité alimentaire s’est accentuée après le passage de deux cyclones, en janvier et février, qui ont détruit des cultures commerciales et entravé la livraison de l’aide humanitaire dans les zones sinistrées. En Somalie, la crise alimentaire touchait cinq millions de personnes, selon les estimations. Le secteur agricole, dont provenaient jusqu’à 90 % des exportations du pays, a été dévasté par la sécheresse.
Les conflits armés n’ont fait qu’aggraver la situation. Au Burkina Faso, des groupes armés ont assiégé au moins 46 villes et villages, les privant d’accès aux produits de première nécessité, empêchant les habitant·e·s de se rendre dans leurs champs et sabotant les infrastructures hydriques. Les organismes internationaux d’assistance ont suspendu pendant six mois l’aide alimentaire dans la région du Tigré, en Éthiopie, après la découverte d’éléments indiquant que celle-ci était détournée, semble-t-il, par des organes gouvernementaux et par l’armée. Plus de quatre millions de personnes déjà en situation d’insécurité alimentaire ont été touchées par cette suspension et des centaines en seraient mortes.
Des États ont pris des mesures pour contrer l’inflation et assurer un approvisionnement alimentaire stable pour le marché intérieur. La Sierra Leone, par exemple, a établi un programme visant à accroître la productivité agricole et à progresser vers l’autosuffisance alimentaire et la Côte d’Ivoire a suspendu ses exportations de riz et de sucre. La réaction de la communauté internationale a quant à elle été timide. Les fonds internationaux affectés à la sécurité alimentaire au Tchad s’élevaient à 96,9 millions de dollars des États-Unis en septembre, soit 128,1 millions de moins que la somme nécessaire. Au Soudan du Sud, compte tenu du déficit de financement du programme humanitaire de l’ONU, la priorité a dû être donnée à l’aide alimentaire d’urgence en faveur des personnes les plus touchées par l’insécurité alimentaire.
DROIT À L’ÉDUCATION
Le droit à l’éducation a été bafoué ou fortement entravé dans les pays en proie à un conflit, en particulier au Burkina Faso, au Cameroun, au Niger et en RDC. Au Burkina Faso, au moins 6 549 écoles étaient fermées en octobre et seules 539 environ ont rouvert au cours de l’année. Ces fermetures concernaient plus d’un million d’enfants. Au Cameroun, au moins 13 actes de violence visant des établissements scolaires ont été signalés entre janvier et juillet dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, notamment des enlèvements d’élèves et d’enseignant·e·s, et au moins 2 245 écoles étaient fermées. En RDC, l’instruction d’environ 750 000 enfants a été perturbée dans deux des provinces les plus touchées par le conflit, dans l’est du pays. Des milliers d’écoles ont été attaquées, ont dû fermer leurs portes du fait de l’insécurité ou ont été réquisitionnées pour abriter des personnes déplacées.
Sur une note plus positive, le programme d’enseignement primaire gratuit en Zambie a débuté en janvier et a donné lieu au recrutement de 4 500 instituteurs et institutrices supplémentaires. En Tanzanie, les taux de scolarisation et d’alphabétisation ont globalement augmenté et les facteurs qui limitaient l’accès des enfants à l’école étaient moins nombreux. Cependant, malgré la levée, en 2022, de l’interdiction imposée aux filles enceintes et aux mères adolescentes d’assister aux cours dans le système scolaire ordinaire, celles-ci restaient peu nombreuses à poursuivre leur scolarité.
DROIT À LA SANTÉ
Dans de nombreux pays, l’accès aux services de santé demeurait difficile. Les services de santé du Ghana ont révélé en février que, dans la municipalité de Bawku, 27 femmes enceintes étaient décédées en 2021 et 2022 faute d’avoir pu bénéficier de soins médicaux. En Afrique du Sud, une grève déclenchée en mars à propos de désaccords sur les salaires a entravé l’accès aux services de santé et entraîné la mort de quatre personnes, d’après le ministre de la Santé. Par ailleurs, des épidémies de shigellose, de choléra, de typhoïde et d’autres maladies ont été signalées au Congo, au Soudan du Sud et dans d’autres pays.
EXPULSIONS FORCÉES
Des États ont continué de procéder à des expulsions forcées au profit de projets d’aménagement. Au Bénin, plusieurs milliers de personnes qui avaient été expulsées de force de leur logement dans le cadre de projets touristiques le long de la côte, entre les villes de Cotonou et de Ouidah, ont protesté contre l’absence d’indemnisation convenable. Dans la province du Lualaba, en RDC, l’expansion de mines industrielles de cobalt et de cuivre, provoquée par la croissance de la demande mondiale de minerais servant à la transition énergétique, a donné lieu à des expulsions forcées qui ont chassé des milliers de personnes de leur logement et de leurs terres agricoles.
Dans le district de Hoima, en Ouganda, les forces de sécurité ont eu recours à la violence pour expulser de force près de 500 familles de leurs terres afin de permettre la construction de l’oléoduc d’Afrique de l’Est. En Tanzanie, au moins 67 personnes appartenant au peuple autochtone masaï ont été arrêtées, principalement dans le village d’Endulen, pour avoir refusé de quitter leurs terres ancestrales dans le cadre de plans de réinstallation forcée ayant pour objectif de créer une réserve de vie sauvage dans la zone de conservation de Ngorongoro.
Les États doivent prendre des mesures immédiates pour résoudre les difficultés socioéconomiques de leur population, en mobilisant les ressources nécessaires pour qu’elle puisse jouir de ses droits économiques et sociaux, conformément aux obligations minimales qui leur incombent.
DROITS DES PERSONNES DÉPLACÉES, RÉFUGIÉES OU MIGRANTES
Selon les estimations, la RDC comptait près de sept millions de personnes déplacées, soit le chiffre le plus élevé du continent. Elle abritait aussi 500 000 personnes réfugiées qui avaient fui un conflit armé ou des persécutions dans d’autres pays d’Afrique. Entre janvier et août, quelque 45 000 personnes ont quitté la RDC pour trouver asile dans des pays voisins, dont l’Ouganda, qui accueillait la population réfugiée la plus importante du continent, soit plus de 1,6 million de personnes.
Au Soudan, plus de 5,8 millions de personnes ont été déplacées depuis le mois d’avril, ce qui faisait de ce pays le théâtre de la plus grande crise au monde en matière de déplacements de population. Plus de 4,5 millions d’entre elles ont été déplacées entre le début du conflit, en avril, et le mois d’octobre, et près de 1,4 million de Soudanais·es et de personnes d’autres nationalités ont fui dans des pays voisins. Cependant, certains pays n’ont pas autorisé les demandeurs et demandeuses d’asile soudanais à entrer sur leur territoire. Les autorités égyptiennes ont ainsi exigé de tous les ressortissant·e·s soudanais qu’ils présentent un visa délivré par le bureau consulaire égyptien au Soudan et ont imposé aux garçons et aux hommes de 16 à 50 ans d’obtenir un avis favorable préalable attestant qu’ils ne constituaient pas une menace pour la sécurité.
Au Niger, environ 9 000 réfugié·e·s et migrant·e·s expulsés par les autorités algériennes sont arrivés à Assamaka, un village frontalier, entre janvier et avril. Au Malawi, la police a arrêté des centaines de personnes réfugiées à leur domicile ou sur leur lieu de travail dans la capitale et les a réinstallées dans le camp de Dzaleka.
Les États doivent remplir leurs obligations de protection des personnes réfugiées, demandeuses d’asile ou migrantes, notamment en respectant le droit de demander l’asile et le principe de « non-refoulement ».
DISCRIMINATION
FEMMES ET FILLES
Les effets dévastateurs des mutilations génitales féminines ont une fois de plus été mis en évidence par la mort d’une fillette de deux ans en Sierra Leone. Les mariages d’enfants, les mariages précoces et les mariages forcés étaient encore pratiqués dans la région. En Zambie, près de 29 % des femmes de 20 à 24 ans avaient été mariées avant leurs 18 ans. Au Niger, le cas de Nazira, 16 ans, qui a mis fin à ses jours pour échapper à un mariage forcé, a mis en lumière les lourdes conséquences des mariages précoces.
Il y a cependant eu plusieurs évolutions positives sur le plan législatif. La RDC a promulgué une loi érigeant en infraction l’intimidation et la stigmatisation fondées sur le genre. En Sierra Leone, une nouvelle loi a imposé un quota de 30 % de femmes dans la fonction publique. En Afrique du Sud, un projet de loi visant à créer un organe chargé de superviser la mise en oeuvre d’un plan stratégique sur les violences liées au genre et les féminicides a été rendu public pour consultation de la population.
PERSONNES LGBTI
Plusieurs pays ont mis en place des législations homophobes. Une augmentation des violences à l’encontre des personnes LGBTI a été signalée en Ouganda après l’adoption d’une nouvelle loi prévoyant la peine de mort pour « homosexualité avec circonstances aggravantes ». Au Kenya, un député a présenté une proposition de loi qui pourrait durcir encore les dispositions sanctionnant les relations sexuelles consenties entre personnes de même sexe. Au Ghana, le Parlement a adopté une proposition de loi homophobe. En Eswatini, les autorités sont allées à l’encontre d’une décision de justice en refusant d’immatriculer une organisation LGBTI.
L’arrestation et la détention de personnes LGBTI étaient monnaie courante. Au Burundi, 24 personnes ont été arrêtées en février à Gitega, lors d’un atelier sur l’insertion économique. Elles ont été poursuivies pour « homosexualité » et « incitation à la débauche », ainsi que deux autres personnes ajoutées ultérieurement au dossier. Sept d’entre elles ont été déclarées coupables en août et, sur celles qui ont été mises hors de cause, neuf n’ont pas été libérées immédiatement, dont une qui est morte en détention. Au Nigeria, 69 hommes ont été inculpés pour avoir organisé un mariage homosexuel dans l’État du Delta, tandis qu’un groupe constitué de 59 hommes et 17 femmes a été arrêté dans l’État de Gombe parce qu’il aurait participé à une fête d’anniversaire « gay ».
Les discours homophobes ont pris de l’ampleur au Botswana, au Cameroun, en Éthiopie, au Kenya, au Malawi et en Tanzanie. Au Botswana et au Malawi, des centaines de manifestant·e·s, soutenus par des groupes religieux et des responsables de l’administration publique, ont protesté contre la dépénalisation des relations sexuelles consenties entre personnes de même sexe. Au Cameroun, les autorités ont menacé de suspendre les médias qui diffuseraient des « programmes faisant la promotion des pratiques homosexuelles ». En Éthiopie, une campagne contre les personnes LGBTI a été lancée, en ligne et sous d’autres formes, par des influenceurs et influenceuses, des responsables religieux et des artistes en vogue. En Tanzanie, le ministre de l’Éducation a interdit les livres faisant référence aux personnes LGBTI dans les écoles.
Sur une note plus positive, la Cour suprême de Namibie a jugé qu’il était possible de régulariser son statut migratoire sur la base d’un mariage conclu à l’étranger avec une Namibienne ou un Namibien de même sexe, et la Cour suprême du Kenya a affirmé le droit à la liberté d’association pour les personnes LGBTI.
PERSONNES ATTEINTES D’ALBINISME
Les infractions commises contre des personnes atteintes d’albinisme ont augmenté au Malawi, où des faits tels que des tentatives d’enlèvement, des agressions physiques et des profanations de tombes ont été signalés. En Angola, le Plan d’action et de protection des personnes atteintes d’albinisme a été adopté.
Les États doivent combattre de toute urgence toutes les formes de discrimination et de violence fondées sur le genre touchant les femmes et les filles, notamment en s’attaquant à leurs causes profondes et en redoublant d’efforts pour éliminer les pratiques préjudiciables. Ils doivent également renforcer la protection des droits des personnes LGBTI, en particulier dans la législation, mais aussi en enquêtant efficacement sur les allégations de violences et en traduisant en justice les responsables présumés de ces actes.
DROIT À UN ENVIRONNEMENT SAIN
Plusieurs pays ont été touchés par des phénomènes météorologiques extrêmes, dont l’intensité et la fréquence pourraient être imputables au changement climatique. Cependant, les États de la région n’étaient pas suffisamment préparés pour réagir face à ces phénomènes, qu’ils soient à évolution lente ou rapide. En février et en mars, le cyclone Freddy a frappé des millions de personnes au Malawi et au Mozambique, où il a fait 679 et 453 morts, respectivement. Les inondations ont fait de nombreuses victimes dans plusieurs autres pays, notamment en RDC et au Rwanda. En septembre, le premier Sommet africain sur le climat s’est tenu à Nairobi pour élaborer une position unifiée des pays africains à l’approche des négociations de la COP28.
Les États doivent prendre des mesures immédiates pour protéger les populations des risques et des effets de la crise climatique et mieux se préparer aux phénomènes météorologiques extrêmes. Ils peuvent notamment solliciter une aide internationale et un financement auprès des pays développés afin d’adopter des politiques efficaces en matière d’atténuation et d’adaptation et de remédier aux pertes et préjudices subis par les personnes les plus marginalisées.
DROIT À LA VÉRITÉ, À LA JUSTICE ET À DES RÉPARATIONS
À la suite de la campagne cynique menée par le gouvernement éthiopien contre les initiatives visant à rendre la justice et à faire respecter l’obligation de rendre des comptes, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples a mis fin prématurément au mandat de la Commission d’enquête sur la situation dans la région du Tigré, sans en publier les conclusions. Le gouvernement a aussi pris pour cible la Commission internationale d’experts des droits de l’homme sur l’Éthiopie [ONU]. De ce fait, les États membres du Conseil des droits de l’homme des Nations unies n’ont pas présenté de résolution pour renouveler le mandat de cette Commission. De son côté, le Burundi a quitté la séance d’examen de son bilan par le Comité des droits de l’homme [ONU] en signe de protestation contre la présence d’un défenseur des droits humains déclaré coupable par contumace, sur la base de fausses accusations, d’avoir participé à la tentative de coup d’État de 2015. La Tanzanie, quant à elle, a empêché une délégation d’établissement des faits de l’UNESCO de se rendre à Ngorongoro pour enquêter sur des allégations faisant état d’expulsions forcées violentes de membres du peuple autochtone masaï.
Plusieurs pays ont mis en place ou envisagé de mettre en place un processus de paix et de réconciliation écartant la possibilité pour les victimes de crimes de droit international et d’autres graves atteintes aux droits humains d’obtenir justice et de demander des comptes. Les autorités de la RDC ont ainsi approuvé un projet de politique nationale de justice transitionnelle et le gouvernement éthiopien a entamé des consultations en vue de l’adoption d’une politique similaire.
Au Soudan du Sud, le Conseil des ministres a approuvé deux projets de loi visant l’établissement de la Commission vérité, réconciliation et apaisement, d’une part, et de l’Autorité d’indemnisation et de réparation, d’autre part. Les deux projets devaient ensuite être examinés au Parlement. Le Conseil des ministres a cependant continué à bloquer la création du Tribunal mixte pour le Soudan du Sud. En Gambie, les autorités ont accepté de créer un tribunal hybride pour poursuivre les auteurs présumés de violations graves des droits humains commises sous la présidence de Yahya Jammeh.
Plusieurs auteurs présumés de crimes au regard du droit international ont été arrêtés. En République centrafricaine, la Cour pénale spéciale a annoncé l’arrestation de quatre hommes accusés de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité. Des mesures ont été prises pour amener deux auteurs présumés du génocide rwandais à répondre de leurs actes : Fulgence Kayishema a été arrêté une fois de plus en application d’un nouveau mandat qui permettrait de l’extrader vers la Tanzanie pour qu’il soit jugé par le Mécanisme international appelé à exercer les fonctions résiduelles des tribunaux pénaux, et Théoneste Niyongira a quant à lui été expulsé du Malawi vers le Rwanda.
Les États doivent redoubler d’efforts pour combattre l’impunité en diligentant sans délai des enquêtes approfondies, indépendantes, impartiales, efficaces et transparentes sur les crimes de droit international et les autres graves atteintes aux droits humains, en traduisant en justice les responsables présumés de ces actes et en veillant à ce que les victimes aient accès à des recours effectifs.