Les questions frontalières et d'immigration sont devenues des thèmes dominants dans l'Amérique de l'administration Trump. © John Moore/Getty Images
Les questions frontalières et d'immigration sont devenues des thèmes dominants dans l'Amérique de l'administration Trump. © John Moore/Getty Images

Rapport annuel d’Amnesty International «L'effet Trump» accélère la crise mondiale des droits humains

Communiqué de presse du 29 avril 2025, Londres, Berne – Contact du service de presse
La croisade anti-droits de l’administration Trump accélère des dynamiques déjà à l’œuvre, sapant les mécanismes internationaux de protection des droits humains et mettant en péril des milliards de vies à travers le monde, avertit Amnesty International à l’occasion du lancement de son rapport annuel La situation des droits humains dans le monde. L’organisation appelle les États, notamment la Suisse, à défendre sans ambiguïté le système international de protection des droits humains.

À travers son évaluation de la situation des droits humains dans 150 pays, Amnesty International constate que les politiques de Trump aggravent les dommages causés par d’autres dirigeant·e·s mondiaux en 2024. Elles sapent le travail accompli depuis plusieurs décennies pour promouvoir les droits fondamentaux et accélèrent l’entrée de l’humanité dans une ère caractérisée par des pratiques autoritaires auxquelles se mêle la cupidité des grandes entreprises.

« Année après année, nous alertons sur les dangers de la régression des droits humains. Mais les événements des 12 derniers mois – à commencer par le génocide des Palestinien·ne·s de Gaza par Israël – ont montré à quel point le monde peut devenir un enfer pour tant de personnes lorsque les plus grandes puissances abandonnent le droit international et font fi des institutions multilatérales. Les gouvernements et la société civile doivent s’employer à ramener l’humanité en terrain plus sûr », a déclaré Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International.

Le rapport La situation des droits humains dans le monde rend compte des répressions violentes et généralisées de la dissidence, de l’escalade de conflits armés, de l’insuffisance des efforts pour faire face au dérèglement climatique et d’une offensive croissante menée dans de nombreux pays contre les droits des personnes migrantes ou réfugiées, des femmes, des filles et des personnes LGBTQIA+. À moins d’une volte-face mondiale, chacune de ces régressions va s’aggraver en 2025.

« Cent jours après le début de son second mandat, Donald Trump ne montre qu’un profond mépris pour les droits humains. Son gouvernement a ciblé des institutions et des initiatives américaines et internationales essentielles dans ce domaine. Son attaque généralisée contre les concepts mêmes de multilatéralisme, d’asile, de justice raciale, de justice de genre, de santé mondiale et d’action vitale pour le climat exacerbe les dommages considérables que ces principes et institutions ont déjà subis et encourage d’autres dirigeant·e·s et mouvements anti-droits à se joindre à son offensive », a déclaré Agnès Callamard.

« Mais soyons clairs : les racines de ce mal se trouvent bien au-delà des actions de Donald Trump. Cela fait plusieurs années que nous voyons les pratiques autoritaires se propager d’un État à l’autre dans le monde, sous l’impulsion de dirigeant·e·s en puissance ou élus. »

La prolifération des lois, politiques et pratiques ciblant la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique qu’Amnesty International a observée en 2024 a joué un rôle central dans la déferlante contre les droits humains. Sur tous les continents, des gouvernements ont tenté d’échapper à l’obligation de rendre des comptes, d’asseoir leur pouvoir et d’instiller la peur en interdisant des organes de presse, en démantelant ou en suspendant des ONG et des partis politiques, en emprisonnant des opposant·e·s sur la base d’accusations infondées de « terrorisme » ou d’« extrémisme », et en poursuivant en justice des défenseur·e·s des droits humains, des militant·e·s pour le climat, des personnes manifestant leur solidarité avec Gaza et d’autres contestataires.

Les forces de sécurité de plusieurs pays ont eu recours à des arrestations arbitraires massives, des disparitions forcées et une force souvent excessive et parfois meurtrière pour réprimer la désobéissance civile. Les autorités du Bangladesh ont donné l’ordre de « tirer à vue » lors de manifestations étudiantes, ce qui a entraîné la mort de près d’un millier de personnes, et les forces de sécurité du Mozambique se sont livrées à la pire répression de manifestations depuis des années à la suite d’élections contestées, faisant au moins 277 morts.

La Turquie a interdit totalement certaines manifestations et continue d’employer la force illégalement et sans discernement contre des manifestant·e·s pacifiques, mais le pouvoir citoyen a pris le dessus en Corée du Sud lorsque le président Yoon Suk Yeol, après avoir suspendu certaines libertés fondamentales et déclaré la loi martiale, a été démis de ses fonctions et a vu ces mesures annulées à la suite d’une mobilisation massive de la population.

Les conflits armés mettent en lumière les manquements répétés

Alors que les conflits se sont multipliés ou aggravés, des forces étatiques et des groupes armés ont commis des crimes de guerre et d’autres violations graves du droit international humanitaire.

Amnesty International a rendu compte dans un rapport historique du génocide des Palestinien·ne·s de Gaza par Israël, dont le système d’apartheid et l’occupation illégale en Cisjordanie sont en outre devenus de plus en plus violents. La Russie a tué encore plus de civil·e·s ukrainiens en 2024 que l’année précédente, continué d’attaquer des infrastructures civiles et a soumis des personnes détenues à des actes de torture et des disparitions forcées.

Au Soudan, les Forces d’appui rapide ont infligé aux femmes et aux filles des violences sexuelles généralisées, qui constituent des crimes de guerre et probablement des crimes contre l’humanité, tandis que le nombre de personnes déplacées à l’intérieur du pays par la guerre civile en cours depuis deux ans a atteint 11 millions, devenant le plus élevé au monde. Pourtant, ce conflit a suscité une indifférence presque totale à travers la planète – hormis de la part d’agents cyniques exploitant les occasions de violer l’embargo sur les armes à destination du Darfour.

Au Myanmar, les Rohingyas ont continué de subir des attaques racistes, qui ont poussé beaucoup d’entre eux à fuir l’État d’Arakan. Les coupes rases du gouvernement de Donald Trump dans l’aide internationale ont depuis aggravé la situation, en entraînant la fermeture d’hôpitaux dans des camps de réfugié·e·s en Thaïlande voisine, en exposant des défenseur·e·s des droits humains en fuite au risque d’expulsion et en mettant en péril des programmes qui aident les gens à survivre au conflit.

La suspension de l’aide étrangère américaine a également eu des répercussions sur les services de santé et l’assistance aux enfants séparés de force de leurs familles dans les camps de détention en Syrie, et cette brusque interruption a mis fin à des programmes qui sauvaient des vies au Yémen.

« Depuis longtemps, Amnesty International met en garde contre le deux poids, deux mesures qui fragilise l’ordre mondial fondé sur des règles. L’impact de ce recul effréné a atteint des sommets en 2024, de Gaza à la République démocratique du Congo », a déclaré Agnès Callamard.

« Le coût de ces défaillances est énorme. Il s’agit de la perte de protections essentielles conçues pour la sauvegarde de l’humanité après les horreurs de la Shoah et de la Seconde Guerre mondiale. Malgré les nombreuses imperfections du système multilatéral, son anéantissement n’est pas la solution. Il doit être renforcé et réinventé. Cependant, le gouvernement de Donald Trump semble avoir l’intention de démanteler ce qu’il reste de la coopération multilatérale afin de remodeler notre monde selon une doctrine transactionnelle. »

Les gouvernements abandonnent les générations futures

Les générations futures sont condamnées à une existence encore plus difficile en raison de l’incapacité collective à faire face à la crise climatique, à mettre fin aux inégalités qui ne font que se creuser, et à limiter la puissance des grandes entreprises.

La COP29 a été une catastrophe ; un nombre record de lobbyistes du secteur des combustibles fossiles ont empêché des avancées sur l’abandon progressif, raisonné et équitable de ces derniers, et les pays les plus riches ont fait pression sur les pays à faible revenu pour qu’ils acceptent des accords de financement climatique dérisoires. La décision irresponsable du président Donald Trump de quitter l’Accord de Paris sur le climat et son mot d’ordre « fore, bébé, fore » n’ont fait qu’aggraver ces défaillances.

« 2024 a été l’année la plus chaude jamais enregistrée et la première au cours de laquelle la température moyenne mondiale a dépassé de plus de 1,5 °C les niveaux de l’ère préindustrielle. Les inondations qui ont dévasté l’Asie du Sud et l’Europe, les sécheresses qui ont ravagé l’Afrique australe, les incendies qui ont détruit des pans entiers de la forêt amazonienne et les ouragans qui ont semé le chaos aux États-Unis ont révélé au grand jour le coût humain faramineux du réchauffement climatique, déjà à son niveau actuel. Face à la perspective d’une hausse de 3 °C au cours du XXIsiècle, les pays riches savent qu’ils ne sont pas à l’abri des catastrophes de plus en plus extrêmes, comme l’ont montré les récents feux de forêt en Californie. Mais vont-ils agir ? » s’est interrogée Agnès Callamard.

L’avenir semble bien plus sombre pour beaucoup de femmes, de filles et de personnes LGBTQIA+ dans un contexte d’intensification des attaques visant l’égalité des genres et l’identité de genre. Les talibans ont imposé des restrictions draconiennes sur l’existence des femmes dans la sphère publique en Afghanistan, tandis que les autorités iraniennes ont intensifié leur violente répression contre les femmes et les filles qui défiaient l’obligation de porter le voile.

Le Malawi, le Mali et l’Ouganda ont pris des mesures pour ériger en infraction les relations librement consenties entre adultes de même sexe ou pour confirmer leur interdiction. La Géorgie et la Bulgarie ont suivi l’exemple de la Russie en réprimant la « propagande LGBTQIA+ ». Le gouvernement de Donald Trump attise l’hostilité générale envers la justice de genre en démantelant les initiatives visant à lutter contre la discrimination, en attaquant les droits des personnes transgenres et en arrêtant le financement de programmes qui aidaient les femmes et les filles, notamment en matière de santé et d’éducation, partout sur la planète.

Les gouvernements nuisent aussi aux générations actuelles et futures en réglementant insuffisamment les nouvelles technologies, en utilisant abusivement les outils de surveillance et en renforçant la discrimination et les inégalités à travers un recours croissant à l’intelligence artificielle.

Les géants technologiques facilitent les pratiques discriminatoires et autoritaires. Donald Trump a exacerbé cette tendance en encourageant les entreprises de réseaux sociaux à supprimer certaines protections, à l’instar de Meta qui a mis fin à la vérification indépendante des faits, et à persister dans un modèle économique permettant la propagation de contenus haineux et violents. L’alignement entre le gouvernement de Donald Trump et les milliardaires de la technologie risque en outre d’ouvrir la porte à une ère de corruption endémique, de désinformation, d’impunité et de mainmise des entreprises sur le pouvoir de l’État.

« Que ce soit en plaçant des milliardaires de la technologie aux premiers rangs lors de son investiture ou en donnant à l’homme le plus riche du monde un accès sans précédent à l’appareil d’État américain, le président Donald Trump paraît décidé à laisser ses alliés du monde des affaires n’en faire qu’à leur tête, sans le moindre égard pour les droits humains ni même l’état de droit », a déclaré Agnès Callamard.

Des efforts indispensables pour défendre la justice internationale

Malgré l’opposition croissante de plusieurs grandes puissances, à laquelle se sont ajoutées cette année les sanctions du gouvernement de Donald Trump à l’encontre du procureur de la Cour pénale internationale (CPI), la justice internationale et les organes multilatéraux ont continué d’œuvrer pour faire respecter l’obligation de rendre des comptes aux plus hauts niveaux, aux côtés d’États du Sud global qui ont mené plusieurs initiatives notables.

La CPI a décerné des mandats d’arrêt contre de hauts représentants de l’État et des dirigeants de groupes armés d’Israël, de Gaza, de Libye, du Myanmar et de Russie, l’ONU a franchi une étape importante en vue de la négociation d’un traité plus que nécessaire sur les crimes contre l’humanité, et les Philippines ont suivi le mouvement en arrêtant l’ancien président Rodrigo Duterte en mars 2025, en application d’un mandat de la CPI pour le crime contre l’humanité de meurtre.

La Cour internationale de justice (CIJ) a prononcé trois ensembles de mesures provisoires dans le cadre de la procédure engagée par l’Afrique du Sud à l’encontre d’Israël en vertu de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, et a rendu un avis consultatif jugeant illégale l’occupation du territoire palestinien, y compris Jérusalem-Est, par Israël. L’Assemblée générale des Nations unies a par ailleurs adopté une résolution appelant Israël à mettre fin à cette occupation.

« La multiplication des attaques visant la CPI au cours des derniers mois laisse penser qu’il s’agira de l’un des principaux combats à mener en 2025. L’ensemble des gouvernements doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour soutenir la justice internationale, amener les responsables présumés de violations des droits humains à rendre des comptes, et protéger la CPI et son personnel des sanctions », a affirmé Agnès Callamard.

La Suisse doit s’engager clairement en faveur des droit humains

La Suisse est pointée du doigt dans le rapport annuel d’Amnesty pour deux décisions controversées : la suspension de son soutien humanitaire à l’UNRWA en pleine crise à Gaza, et sa réticence à se conformer à l’arrêt historique de la Cour européenne des droits de l’homme (CrEDH) en faveur des Aînées pour le climat. « Ces positions affaiblissent la tradition humanitaire de la Suisse et interrogent son engagement en faveur du droit international. Les autorités suisses doivent renouer clairement avec leur rôle sur la scène internationale et y défendre sans ambiguïté le système global de protection des droits humains », souligne Alexandra Karle, directrice d’Amnesty Suisse.

« Sur le plan national, Amnesty International s’inquiète de l’érosion du droit de manifester, qui revêt une importance d’autant plus grande dans un contexte international marqué par la montée des régimes autoritaires et des discours de haine. Dans un tel monde, la capacité des populations à se rassembler pacifiquement et à exprimer leurs revendications devient un rempart essentiel contre l’arbitraire et l’injustice », poursuit Alexandra Karle.

Or, en Suisse, plusieurs cantons ont récemment restreint ce droit. À Zurich, une nouvelle loi soumet les manifestations à une autorisation préalable et permet de facturer les frais de police aux organisateurs·trices. À Genève, un projet de loi vise à interdire certaines manifestations dans le centre-ville. Par ailleurs, les étudiant·e·s qui se sont mobilisé·e·s dans les universités pour la cause palestinienne ont subi des interventions policières, des menaces de sanctions et sont toujours sous le coup de procédures pénales. « La liberté d’expression et de réunion pacifique constitue un pilier essentiel d’une société démocratique — et un test crucial de l’engagement réel de la Suisse en faveur des droits humains », conclut Alexandra Karle.