Action pour l’ouverture de la conférence TCA, le 22 août 2016.  © AI/Samuel Fromhold
Action pour l’ouverture de la conférence TCA, le 22 août 2016. © AI/Samuel Fromhold

Traité sur le Commerce des Armes (TCA) Tolérance zéro pour les États qui bafouent les obligations découlant du TCA

22 août 2016
Les États doivent faire en sorte que le Traité international sur le commerce des armes (TCA) soit à la hauteur de ses promesses de sauver des vies et de protéger les droits fondamentaux contre les effets dévastateurs du commerce international des armes en prenant des mesures concrètes et transparentes en vue d’une mise en œuvre plus efficace.

La deuxième Conférence des États parties au TCA se déroule à Genève du 22 au 26 août, et des centaines de délégués venus de plus de 100 pays sont attendus. C'est l'occasion pour les États parties de s'amener mutuellement à rendre des comptes quant à la mise en œuvre du Traité et de débattre des moyens de le renforcer.

«Le TCA peut sauver des millions de vies. C'est pourquoi il est d'autant plus inquiétant de constater que les États qui l'ont signé ou même ratifié semblent penser qu'ils peuvent continuer à fournir des armes à des forces connues pour commettre et faciliter des crimes de guerre, et à délivrer des autorisations d'exportation même lorsque le risque est majeur que ces armes contribuent à de graves violations des droits humains, a déclaré Brian Wood, responsable des questions liées au contrôle des armes et aux droits humains à Amnesty International.

«Il faut faire preuve de tolérance zéro envers les États qui pensent qu'ils peuvent se contenter d'un soutien de façade au TCA. La nécessité d'une mise en œuvre plus efficace saute aux yeux : du Yémen à la Syrie et au Soudan du Sud, chaque jour, des enfants sont tués et mutilés par des bombes, des civils sont menacés et arrêtés sous la menace d'une arme, et les groupes armés commettent des exactions avec des armes produites par des pays pourtant liés par le Traité. »

Des transferts d'armes peu scrupuleux

Les États-Unis, qui ont signé le TCA, et des États membres de l'Union européenne (UE) qui l'ont ratifié, notamment la Bulgarie, la République tchèque, la France et l'Italie, continuent d'inonder l'Égypte d'armes légères et de petit calibre, de munitions, de véhicules blindés et d'équipement destiné au maintien de l'ordre, en dépit de la répression qui vise la dissidence et se traduit par l'homicide illégal de centaines de manifestants, des milliers d'arrestations et des cas de torture infligés aux détenus depuis 2013.

En 2014, la France a autorisé des exportations incluant une nouvelle fois des véhicules blindés Sherpa, véhicules sophistiqués qui avaient servi aux forces de sécurité pour tuer des centaines de manifestants au sit-in de Rabaa al Adawiya un an auparavant.

En outre, les armes obtenues auprès de signataires du TCA continuent d'alimenter des guerres civiles sanglantes. En 2014, l'Ukraine a donné son feu vert à l'exportation de 830 mitrailleuses légères et 62 mitrailleuses lourdes à destination du Soudan du Sud. Six mois après avoir signé le TCA, les autorités ukrainiennes ont accordé une autorisation d'exportation le 19 mars 2015 concernant la livraison au Soudan du Sud d'un nombre non divulgué d'hélicoptères d'assaut Mi-24. Trois de ces hélicoptères d'assaut sont actuellement en service au sein des forces gouvernementales sud-soudanaises, qui attendraient la livraison d'un autre appareil. «En signant le TCA, le gouvernement ukrainien s'est engagé à s'abstenir de toute action susceptible de saper l'objet et le but du Traité, ce qui suppose de ne pas autoriser un transfert d'armes si l'État concerné a connaissance du fait que les armes en question pourraient servir à commettre des crimes de guerre, dont des attaques dirigées contre des civils, a déclaré Brian Wood.

«Il est tout aussi difficile d'imaginer que les États de l'UE parties au TCA ont pu observer la violente répression d'État en Égypte et conclure que les transferts d'armes aux forces de sécurité de ce pays respectaient les règles du Traité. »

Des lacunes au niveau des rapports

Certains États parties ne rendent pas compte en détail de leurs importations et exportations d'armes, ce qui constitue une violation du Traité. Aux termes du TCA, les États parties doivent présenter deux rapports spécifiques : un rapport initial sur les dispositions prises pour mettre en œuvre le Traité, y compris les lois nationales, règlements et autres mesures administratives, qui devait être rédigé avant décembre 2015, et un rapport annuel concernant les exportations autorisées ou effectuées d'armes, à remettre avant le 31 mai 2016.

Amnesty International déplore vivement qu'au 17 août, 27 % des États parties qui devaient présenter leur rapport initial sur la mise en œuvre du traité ne l'avaient pas fait, tandis que 27 % n'avaient toujours pas remis leur rapport annuel sur les importations et exportations d'armes. 

Actuellement, les États parties au TCA ne sont pas explicitement tenus de rendre publics leurs rapports. Le modèle provisoire de rapport sur les importations et exportations d'armes comporte une case à cocher où il leur faut simplement indiquer s'ils souhaitent ou non qu'ils soient mis à disposition du public. La Moldavie et la Slovaquie ont choisi de garder leur rapport annuel confidentiel.

«Autoriser les gouvernements à choisir de dissimuler les informations relatives à certaines ou toutes leurs exportations et importations d'armes ne permettra guère aux Parlements, aux médias et à la société civile d'évaluer la réalisation des objectifs clés en termes de droits humains, a déclaré Brian Wood.

Garanties quant à l'utilisation finale par les importateurs

Amnesty International demande qu'un critère essentiel s'applique aux exportateurs d'armes : ils ne doivent pas autoriser les transferts d'armes tant que les États importateurs n'ont pas fourni de garanties juridiquement contraignantes assurant que les utilisateurs finaux de ces armes respecteront les droits humains et l'état de droit.

Actuellement, l'impact des transferts d'armes sur les droits humains n'est pas dûment évalué au cas par cas, comme le prévoyait le TCA. Depuis mars 2015, le Département d'État américain a autorisé la possible vente d'équipement militaire et de soutien logistique à l'Arabie saoudite pour une valeur de plus de 21 milliards d'euros, tandis qu'entre mars 2015 et juin 2016, le Royaume-Uni a autorisé l'exportation de 3,9 milliards d'euros d'armements vers ce pays. Ces autorisations ont été accordées alors que la coalition dirigée par l'Arabie saoudite menait des frappes aériennes sans discrimination, continues et disproportionnées et des attaques au sol contre des civils au Yémen, dont certaines pourraient constituer des crimes de guerre.

«Pour sauver des vies, le respect du droit international humanitaire et relatif aux droits humains doit être une condition incluse dans les garanties relatives à l'utilisation finale, a déclaré Brian Wood. «Des garanties en béton quant à l'utilisation finale réduiraient le risque que des armes ne soient transférées ou détournées vers des groupes non autorisés ou utilisées à des fins autres que celles déclarées et illégales, susceptibles de piétiner le TCA.»

Le rôle de Genève et de la Suisse

Depuis 2016, le Secrétariat du TCA est basé à Genève, tout comme la conférence annuelle des États parties. La Suisse a joué un rôle positif dans l’élaboration du TCA. Elle s’est engagée, sous l’égide du Secrétariat d’État à l’économie (Seco), dans de difficiles négociations internationales dans le but d’aboutir à un texte qui soit «le plus solide et le plus efficace possible». Mais depuis la ratification du TCA, la Suisse a affaibli à deux reprises ses contrôles sur les exportations de matériel de guerre. En mars 2014, le Parlement a validé un assouplissement de l’ordonnance sur le matériel de guerre et décidé que les entreprises suisses pourraient désormais, et à certaines conditions, exporter des armes vers des Éats dans lesquels les violations des droits humains sont graves et systématiques. Le Conseil fédéral, à fin avril 2016, a interprété la même ordonnance pour pouvoir autoriser les exportations vers les États impliqués dans un conflit interne. Assouplir les contrôles plutôt que les renforcer: c’est malheureusement la politique que la Suisse a adoptée, quitte à porter ainsi atteinte à l’image emblématique qu’elle devrait se donner en tant que pays hôte du TCA.