Pour son rapport intitulé Outsourcing Responsibility, Amnesty International a contacté 22 sociétés d’armements et leur a demandé d’expliquer comment elles s’acquittent de leurs responsabilités s’agissant de respecter les droits humains. La plupart de ces entreprises fournissent des armes à des pays accusés de commettre des crimes de guerre et de graves violations des droits humains, comme l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis.
«Le rôle des entreprises d’armements dans les conflits meurtriers marqués par de graves violations des droits humains est depuis trop longtemps une évidence. Tandis que des États comme le Royaume-Uni sont, à juste titre, poursuivis devant les tribunaux pour leurs contrats d’armements irresponsables, les entreprises qui tirent profit des ventes d’armes destinées à des pays impliqués dans ces conflits échappent dans l’ensemble à tout contrôle», a déclaré Patrick Wilcken, chercheur sur le contrôle des armes à Amnesty International.
«Aucune des entreprises interrogées n’a été en mesure de démontrer qu’elle fait preuve de la diligence requise dans le domaine des droits humains. Cela témoigne d’une indifférence très inquiétante à l’égard du coût humain de leurs activités.» - Patrick Wilcken, chercheur sur le contrôle des armes à Amnesty International.
«Aucune des entreprises interrogées n’a été en mesure de démontrer qu’elle fait preuve de la diligence requise dans le domaine des droits humains. Cela témoigne d’une indifférence très inquiétante à l’égard du coût humain de leurs activités et pourrait exposer ces entreprises et leurs dirigeants à des poursuites pour complicité dans des crimes de guerre.»
Si les obligations des États en termes de droits humains pour réglementer le commerce international des armes sont désormais clairement définies par le Traité sur le commerce des armes et les législations nationales et régionales, le rôle crucial des entreprises dans la livraison d’équipements et de services militaires est rarement pris en considération, malgré la nature intrinsèquement dangereuse de leurs transactions et de leurs produits.
Des armes utilisées au Yémen
Defence & Security Equipment International (DSEI), l’un des plus grands salons d’armement du monde, se déroule du 10 au 13 septembre à Londres. Parmi les exposants figurent des entreprises qui gagnent des millions en fournissant des armes et des services à la coalition que dirigent l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis dans le cadre de leur campagne au Yémen.
BAE Systems, Boeing, Lockheed Martin et Raytheon, entre autres, font partie intégrante de l’effort de la coalition, approvisionnant une flotte d’avions de combat qui a frappé à plusieurs reprises des biens civils, notamment des maisons, des écoles, des hôpitaux et des marchés. Aucune de ces entreprises n’a expliqué quelle diligence raisonnable en matière de droits humains elles avaient mis en place afin d’évaluer les risques liés à la livraison d’armes et de services à la coalition dirigée par l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis.
Dans un cas, Amnesty International a pu établir la traçabilité d’un fragment de bombe retrouvé sur le site d’une frappe aérienne à Sanaa, qui a tué six enfants et leurs parents en 2017, jusqu’à l’usine de fabrication de Raytheon en Arizona.
Lorsqu’elle a demandé à Raytheon quelles mesures avaient été prises pour mener des investigations et remédier à cette situation, l’entreprise a donné la réponse suivante: «En raison de contraintes juridiques, de questions relatives à la relation client… Raytheon ne fournit pas d’informations sur ses produits, clients ou questions opérationnelles.» Raytheon a ajouté qu’avant d’être exporté, le matériel militaire et de sécurité est «soumis à un examen aux multiples facettes du Département d’État, du Département de la Défense et du Congrès des États-Unis.»
Transfert de responsabilité
«La plupart des entreprises qui ont répondu à Amnesty International ont fait valoir que la responsabilité des évaluations en matière de droits humains incombe à leurs États d’origine via les processus d’octroi de licences d’armements», a déclaré Patrick Wilcken.
«Cependant, la réglementation gouvernementale ne dispense pas les entreprises, quel que soit leur secteur d’activité, de mettre en œuvre leur propre diligence requise en matière de droits humains. Se cacher derrière les gouvernements n’est pas suffisant, surtout lorsque les décisions concernant l’octroi des licences s’avèrent déficientes et lorsque les gouvernements chargés de le faire sont eux-mêmes interpellés quant à leur rôle dans des crimes de guerre et des violations des droits humains.»
«S’il est impossible aux entreprises d’éliminer le risque que des armes ne soient utilisées pour bafouer les droits humains, alors elles doivent s’abstenir de fournir ces armes.» - Patrick Wilcken
Quatorze entreprises n’ont tout simplement pas répondu aux demandes d’information d’Amnesty International. C’est le cas de l’exportateur russe d’armements Rosoboronexport, qui fournit des équipements militaires aux forces armées syriennes, accusées de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Pas non plus de réponse de Zastava, société serbe dont les fusils – Amnesty International ayant retracé leur parcours – ont servi lors d’une terrible exécution de masse au Cameroun, ni d’Arquus (anciennement Renault Trucks Défense), entreprise française qui a fourni à l’Égypte des véhicules blindés ayant servi à réprimer violemment la dissidence.
«Les géants du secteur défense s’en lavent les mains en faisant valoir qu’une fois leurs produits expédiés, ils n’ont plus aucun contrôle sur l’usage qui en est fait. Cet argument ne tient pas, tant d’un point de vue éthique que légal: il est grand temps que les entreprises assument la responsabilité de leurs décisions», a déclaré Patrick Wilcken. «S’il leur est impossible d’éliminer le risque que des armes ne soient utilisées pour bafouer les droits humains, alors elles doivent s’abstenir de fournir ces armes.»