Dans son discours d'ouverture, la directrice d'Amnesty Suisse Alexandra Karle a évoqué les quelque 30 000 personnes qui sont mortes en tentant de rejoindre l'Europe au cours des dix dernières années. Un bilan lourd qui souligne la nécessité d'assurer la sécurité et le soutien de celleux qui ont réussi à atteindre un pays de l'Union européenne (UE), ou la Suisse. Elle a également rappelé combien l'engagement des organisations de la société civile face aux discours xénophobes et à la répression du droit d'asile qui en résulte en Europe et en Suisse sont plus que jamais importants.
L'entrée en vigueur du Pacte européen sur la migration et l’asile devrait entraîner un nouveau cloisonnement et un affaiblissement de la protection des personnes réfugiées. Mais aujourd'hui déjà, la répression en matière de politique d'asile a de graves conséquences pour celles qui ont dû fuir. Le manque de places d'accueil et d'intégration pousse de nombreuses personnes à la marge, dans l'anonymat ou aux mains de criminels.
Pour un activisme plus radical
Pour Sophie Guignard de Solidarité sans Frontières, qui s’exprimait lors de la table ronde, l'activisme contre l’isolement et l'érosion des droits des personnes réfugiées doit s’intensifier. « Le vent a tourné depuis longtemps et il souffle de la droite. Le référendum sur Frontex a montré que nous, la société civile dans son ensemble, n'avons pas agi assez fermement. Face au nouveau pacte européen sur la migration et l’asile, nous devons mieux nous coordonner. »
Pierre Bühler, professeur émérite de théologie aux universités de Neuchâtel et de Zurich, s'est lui aussi prononcé en faveur d'un engagement résolu pour les droits des réfugié·e·x·s – à contre-courant de nombreuses églises qui deviennent réticentes à se positionner en raison des vents contraires provenant du monde politique. Il s'agit pour lui de « ramener l'asile dans les églises ».
En réaction à la multiplication des morts aux frontières de l’UE, les Églises sont d’ailleurs en train de préparer un manifeste contre le pacte européen. Plusieurs participant·e·x·s à la table ronde ont également demandé que soient examinées les possibilités d'une initiative populaire ou d'un référendum, par exemple contre la participation de la Suisse à la politique de cloisonnement de l'UE ou pour de nouvelles places de réinstallation.
Définir le cadre du discours
La société civile doit contribuer à définir le cadre du discours sur l’asile et tenter d'inverser la tonalité du débat, a pour sa part déclaré Stefan Schlegel, qui prendra la tête de la nouvelle Institution suisse des droits humains le 1er février. Il faut éviter que la « limite du dicible » ne se déplace encore plus vers la droite dans les médias et dans l'opinion publique. « Les plans de renvoi vers le Rwanda, les expulsions et les délocalisations sont des solutions naïves et déconnectées de la réalité », a-t-il déclaré. Pour le chercheur, l'Europe se dérobe à ses responsabilités en expulsant de plus en plus de personnes vers des « no man's land et des espaces intermédiaires ». Il appartient à la société civile et à la science de contrer la menace d'une délocalisation et d'une détention systématiques aux frontières extérieures de l'UE.
Le système de Dublin dysfonctionnel, qui pousse les gens dans l'illégalité et dans d'autres Etats européens, doit également être réformé. Michael Meyer, qui dirige l'équipe Dublin d'AsyLex, a également souligné l'importance du travail au cas par cas et de la mise en réseau, qui ont conduit à de nombreux succès et à des changements positifs pour les personnes en fuite. Selon lui, « l’activisme ne doit pas commencer par la volonté de changer tout le système d’asile de l’UE. Aider des familles individuelles est précieux en soi ».
Donner une voix aux personnes en fuite
« Beaucoup de gens ne connaissent pas les réalités des réfugiés, vous devez prouver que vous méritez une protection et que vous êtes vraiment persécuté. Vous vous sentez indésirable, dès le départ, dépendant du système et des autorités, limité dans le choix d'une profession ou d'un lieu de résidence », a expliqué Tahmina Taghiyeva, journaliste, activiste et cheffe de projet chez Brava pour le projet Voix des femmes réfugiées. « Cela demande tellement d'efforts et il y a tellement de personnes intelligentes et talentueuses qui abandonnent », a-t-elle ajouté. Pour elle, il est nécessaire de laisser parler les personnes qui ont du fuir pour comprendre la réalité de leurs vies. Et de conclure : « Nous voulons être traités sur un pied d'égalité. »
Plus d'images de la rencontre du réseau Asile et migration
Le samedi après-midi était consacré à quatre ateliers pour discuter des défis de l'engagement de la société civile dans le domaine de l'asile, de la protection contre la violence sexospécifique envers les femmes réfugiées, de la prochaine campagne d'Amnesty sur les RMNA et des contraintes obligeant les personnes LGBTQIA+ à dissimuler leurs orientations sexuelles.
Environ 90 personnes – dont des activistes, des réfugié·e·x·s, des spécialistes et des représentant·e·x·s d'ONG, d'églises et du domaine académique – ont développé de nouvelles stratégies et possibilités d'action pour l'année 2024 lors de la rencontre annuelle du réseau.