Mohamad Barakat avec le mot «vie» inscrit sur le front. © Petar Mitrovic
Mohamad Barakat avec le mot «vie» inscrit sur le front. © Petar Mitrovic

Porteuses d'espoir - nos histoires Informaticien et joueur d'oud

Par Camille Grandjean-Jornod, paru dans le magazine AMNESTY n° 91, Décembre 2017
«La fête de l’Escalade a été ma première image de la Suisse», se souvient Mohamad Barakat avec un sourire. Ce jour de décembre 2015 où sa famille pose le pied à Cointrin, il se sent «comme dans un rêve». En amont, il a fallu des mois de patience pendant qu’un cousin établi à Genève remuait ciel et terre pour les extraire de la Syrie en guerre.

À l’arrivée, 23 personnes, de 3 à 82 ans. Une histoire qui tient du miracle – et surtout à la ténacité de ce cousin, Shady Ammane. Malgré un refus initial et d’innombrables tracasseries, cet enseignant genevois a fini par obtenir des visas humanitaires pour sa famille d’Alep.

Deux ans plus tard, Mohamad Barakat nous reçoit dans la campagne genevoise, au milieu de vignes rougeoyantes. Une maison trouvée grâce à des voisin·e·s du cousin. Tout un réseau amical s’est mobilisé: l’un pour trouver un logement, l’autre pour emmener les enfants en promenade, ou encore pour mettre Mohamad Barakat, qui joue de l’oud, en contact avec des musicien·ne·s genevois·es.

La réussite des enfants

Quand il évoque ses enfants, le père de famille de 52 ans ne cache pas sa fierté: «Ils se sont intégrés très vite, ont des amis, vont au cinéma, à des fêtes...» Pour ces parents tous deux diplômés de l’université, la réussite scolaire est essentielle. Et elle semble en bonne voie: les aînées préparent la maturité gymnasiale en rêvant de devenir l’une médecin, l’autre dentiste. La cadette entame sa dernière année d’école obligatoire et pratique la musique avec les Cadets de Genève. Quant au garçon de 9 ans, il navigue entre l’école, le solfège et la natation.

Une vie qui ressemble comme deux gouttes d’eau à celle de leurs camarades genevois·es. Mais qui contraste avec les horreurs vécues, évoquées avec pudeur par leur père qui ne souhaite plus s’appesantir dessus: la guerre, avec ses bombardements incessants, puis l’arrestation par Daech lors d’une première tentative d’exil.

La quête d’un emploi

Pour les adultes, une pièce manque encore: «Tant que je ne travaille pas, je ne vis pas une vie normale.» L’inactivité pèse sur cet informaticien habitué à diriger une équipe et à travailler 11 heures par jour. «Avec le permis F, les entreprises ne t’engagent pas», confie celui qui a travaillé 24 ans pour la compagnie d’électricité d’Alep.

© Amnesty International/Camille Grandjean-Jornod © Amnesty International / Camille Grandjean-Jornod

Mais il ne perd pas espoir, et met entretemps toutes les chances de son côté: cours de français, peaufinage du CV avec l’association THRIVE, cours d’informatique à l’université grâce au programme Horizon académique... «J’enregistre les cours pour apprendre le vocabulaire en les réécoutant. Ce programme ouvre une nouvelle vie aux réfugiés!»

À côté, il aide ses enfants dans leur travail scolaire, pratique l’oud en duo avec un clarinettiste genevois, et s’est mis au jardinage. De quoi retrouver des saveurs familières, comme celle de ces courgettes blanches qu’il montre avec bonheur: «Ce sont les mêmes qu’à Alep! Avec elles, on fait des mehchi (courgettes farcies).»

Cohabiter dans la tolérance

Pour cet adepte du soufisme, «une manière de pratiquer l’islam très ouverte aux autres», le plus dur est de voir ce qu’est devenu son pays. «À Alep, il y avait toutes les religions – au moins 30 églises! Et tout le monde vivait bien ensemble. La guerre n’a pas détruit que les maisons, mais aussi les gens. Maintenant, les Syriens sont divisés, ennemis.»

En Suisse, il apprécie de retrouver une forme de vivre ensemble: «En France ou aux États-Unis, il y a des quartiers par nationalité, mais en Suisse, les gens ne veulent pas séparer les uns et les autres», se félicite-t-il.