Karin Volken et Sohail Khan Ajab. © Petar Mitrovic
Karin Volken et Sohail Khan Ajab. © Petar Mitrovic

Porteuses d'espoir - nos histoires Renaissance

Par Ramin Nowzad, décembre 2017
Le jeune demandeur d’asile Sohail Khan Ajab a fêté il y a une année son premier Noël en Suisse. Cette soirée a changé sa vie.

Karin Volken ne croit pas à l’immaculée conception. Pourtant, l’an dernier, elle en a fait en quelque sorte l’expérience. Le soir de Noël, un jeune homme d’Afghanistan est entré dans son appartement. Quelques heures plus tard, il l’appelait «maman», et après trois semaines, il emménageait chez elle.

Karin Volken a 57 ans et lit des livres sur le bouddhisme depuis sa jeunesse. Ses cheveux bouclés sont teints en rouge, elle porte des foulards colorés, aime les danses africaines et enseigne le Qi Gong à Lucerne. «Sur le plan religieux, Noël ne signifie plus grand-chose pour moi», dit-elle, «mais j’aime toujours ce moment, comme fête de famille». L’année dernière, le soir de Noël, son fils Enea a amené un jeune demandeur d’asile d’Afghanistan à la maison. «Enea m’a dit: "maman, c’est bien le jour pour faire ça." J’ai pensé: "Hum, un musulman? Mais nous voulons boire du vin blanc et du mousseux."»

Ce jeune musulman, c’était Sohail Khan Ajab. Sohail a 25 ans. Il porte une barbe de trois jours et fume des cigarettes qu’il roule lui-même. Ses cheveux mi-longs sont noués en queue de cheval, une boucle d’oreille en argent pend à son oreille droite. «Quand j’étais enfant, les talibans me disaient déjà: "Sohail, tu te promènes comme une star d’Hollywood"», raconte-t-il en riant. Depuis le début de l’année, son lit au foyer de réfugié∙e∙s de Lucerne reste vide.

Ils ont tué sa famille, mais c’est lui qu’ils visaient

«Karin s’occupe de moi comme d’un fils», confie Sohail, «et moi, je l’aime comme ma mère. J’ai reçu une nouvelle vie en cadeau à Noël.» Son ancienne vie, elle, a pris fin il y a trois ans. À cette époque, des islamistes sont entrés dans sa maison, en Afghanistan. Sa mère était en train de préparer le thé pour les visiteurs lorsque les hommes ont sorti leurs couteaux. Ils ont tué le père de Sohail, ses cinq sœurs et ses quatre frères. Lorsque la mère de Sohail est entrée dans le salon avec le plateau de thé, la bombe a explosé. La mère de Sohail a survécu – grièvement blessée.

«Ma famille est morte à cause de moi», dit Sohail en regardant au loin. Les meurtriers étaient des combattants de l’«État islamique». Adolescent, Sohail avait travaillé en tant que traducteur pour l’OTAN. «Lorsque les Américains ont envahi l’Afghanistan en 2001, nous avons dû choisir: être du côté de l’Occident, ou des islamistes», explique Sohail. «Je me suis décidé contre les islamistes. Car les États-Unis prétendaient qu’ils nous apportaient la liberté et la démocratie. Ça ne s’est pas passé comme ça, aujourd’hui nous le savons.» Avec l’argent que l’OTAN lui versait, il soutenait sa famille et finançait des leçons d’anglais pour les enfants. L’«argent du diable», ont dit les djihadistes.

«Une mère, c’est comme un jardin»

Après le meurtre de sa famille, Sohail ne voulait pas quitter le pays. Mais un jour, alors que, terrorisé, il n’avait plus osé sortir de sa chambre depuis neuf mois, sa mère lui a mis un pistolet dans la main. «Tue-nous», a-t-elle dit, «ou fuis. Si tu t’enfuis, tu auras peut-être une chance de survivre. Si tu restes, tu vas certainement mourir.» 

«Une mère, c’est comme un jardin», dit Karin Volken en tirant une bouffée sur sa cigarette. «Elle donne la possibilité à ses plantes de se déployer. Ici, à Lucerne, j’essaie de faire de même avec Sohail, de lui offrir l’espace de s’épanouir.» Depuis que Sohail habite chez Karin, sa vie a pris un nouveau tournant. «Au foyer de réfugiés, je passais toute la journée au lit, en réfléchissant à comment je pourrais mettre fin à mes jours», se souvient Sohail. «Maintenant, j’essaie de motiver d’autres réfugiés. Je leur dis: "Sortez de vos lits, soyez actifs! Et allez à la rencontre des gens en Suisse! Vous ne les laissez pas indifférents – ils ne vous connaissent simplement pas."»

Cet après-midi, Sohail a acheté 200 poupées, voitures jouets et guitares pour enfants. Il les distribuera ces prochains jours dans les centres d’hébergement pour requérant∙e∙s d’asile de la région. Comme prochaine étape, il veut trouver 500 manuels de langue. Il y a neuf mois, Sohail a fondé l’ONG «Education for Integration» pour enseigner l’allemand aux réfugié∙e∙s. Depuis, il a réussi à intéresser plus de 40 bénévoles à son projet. À Lucerne, Bâle et Zurich, il organise des soirées avec des groupes live, des DJ et des spécialités afghanes. Avec l’argent des entrées, il couvre les frais.

«C’est incroyable ce qu’il a fait de sa vie au cours des derniers mois», s’émerveille Karin Volken. «Je lui ai dit un jour: "Sohail, si tu as survécu, il y a certainement une raison à cela!"»

Sohail Khan Ajab ne croit pas à la réincarnation. Mais la première fois qu’il s’est retrouvé devant l’autel bouddhiste de Karin, il lui a dit: «Maman, dans ma prochaine vie, je serai ton vrai fils.»