Derrière le beau discours sur la solidarité, ce document appelle à esquiver les responsabilités et non à les partager. Dans la mesure où ce document fait référence à l'accord UE-Turquie, qui laisse beaucoup à désirer, pour mettre au point des accords «sur mesure» avec des pays tiers, ces «accords» risquent d'entraîner au niveau mondial un nivellement par le bas pour les droits des personnes déplacées, car les pays riches pourraient vouloir imiter l'UE et chercher à échapper à leurs obligations juridiques. La situation continuera de se dégrader tant que la communauté internationale – l'UE et ses États membres y compris – n'aura pas pris les mesures nécessaires pour y remédier en considérant qu'il s'agit d'une obligation collective.
Empêcher l’immigration clandestine
La proposition est basée sur l'idée que les «relations globales» entre l'UE et les pays tiers doivent reposer sur la capacité et la volonté de ces pays d'empêcher l'immigration clandestine et de réadmettre sur leur territoire les migrants en situation irrégulière. En cas de mise en œuvre de cette proposition, l'UE et ses États membres identifieront les incitations positives et négatives pour les pays cibles et utiliseront toutes les mesures et tous les outils dont ils disposent sur les plans diplomatique, technique et financier. D'une certaine manière, cette communication est dans la droite ligne d'anciennes initiatives de l'UE telles que le Sommet de La Valette et le processus de Khartoum, mais il représente aussi une nouvelle étape en ce qui concerne la récente «offensive diplomatique» de l'UE en matière de migration. La communication propose une réorientation fondamentale de la politique étrangère de l'UE et de ses pays membres afin de l'axer sur la nécessité première d'empêcher l'immigration clandestine.
La grave faille principale de cette communication est qu'elle rend l'aide financière tributaire de la coopération des pays tiers en matière de réadmission et de renvois. Il est évident que l'un des éléments clés du partage des responsabilités face à la crise mondiale des réfugiés serait que les pays riches fournissent une aide financière suffisante aux pays accueillant de nombreux réfugiés, comme la Jordanie, le Kenya, le Liban et la Turquie. Amnesty International demande de longue date une telle mesure.
Les pays riches doivent aider les pays hôtes à faire en sorte de répondre aux besoins les plus fondamentaux des personnes réfugiées et en quête d'asile afin qu'elles puissent vivre dans la dignité.
Il en va de même pour les pays où la pauvreté extrême pousse des gens à partir ailleurs dans l'espoir d'un meilleur avenir. Il est effectivement louable d'un point de vue humanitaire de s'attaquer aux «causes premières de l'immigration clandestine», mais l'aide de l'UE pour les pays tiers doit être fondée sur les besoins des personnes, et non sur des considérations politiques.
L’aide doit être fondée sur les besoins
L'aide financière doit être garantie sur la base de la coopération et de la solidarité internationales ; elle ne doit pas dépendre de facteurs hors de propos tels que «la capacité et la volonté des pays de coopérer en matière de gestion des migrations, notamment en empêchant efficacement l'émigration irrégulière et en réadmettant les migrants en situation irrégulière». En effet, le fait de privilégier la coopération en matière de migration au détriment d’autres questions telles que le respect des droits humains risque d’accroître certains facteurs de départ, comme la pauvreté et les conflits, et cela contribue au maintien de régimes qui violent les droits humains. En l’absence de propositions de mécanismes visant à surveiller la conformité aux droits humains des politiques qui découlent de ces cadres de coopération avec les pays tiers, l’UE risque d’être impliquée (directement ou indirectement) dans des atteintes aux droits humains, dans la mesure où certains de ces pays sont connus pour leurs violations graves et généralisées des droits humains. L’adoption prochaine de la nouvelle stratégie globale de l’UE soulève inévitablement des interrogations quant à la conformité de l’orientation de la politique européenne exposée dans la communication avec l’engagement déclaré de l’UE à «mettre les droits humains au cœur de toute action extérieure».
Aucune proposition de réinstallation des réfugiés
Le second grave problème est l'absence dans la communication d'un plan crédible, précis et ambitieux de réinstallation ou d'autres solutions d’admission dans l'UE. Dans ce document, la Commission européenne admet très justement qu'«il est nécessaire que l'UE mette en place des solutions permettant aux personnes d'entrer légalement dans l'UE», y compris «de véritables perspectives de réinstallation», mais elle ne fournit aucune proposition ni aucun chiffre concrets en la matière. Il semble en fait que les «solutions» proposées dépendraient de la coopération des pays tiers avec l'UE pour la gestion des mouvements migratoires. De plus, en appelant les «partenaires internationaux» de l'UE à «assumer leur part de responsabilités», la communication semble indiquer que l'UE assume une responsabilité disproportionnée en ce qui concerne la réinstallation des réfugiés. Ce n'est pas ce qu'indiquent les chiffres.
86 % des réfugiés vivent dans des pays émergents
Par exemple, en juin 2015 le HCR a estimé que plus d'un million de réfugiés dans le monde avaient besoin d'urgence d'une réinstallation. Au mois de mai 2016, seules 6 321 personnes avaient été réinstallées par des États membres de l'UE, ce qui représente moins d'un tiers des 22 504 places d'accueil, chiffre très modeste, disponibles au niveau de l'UE aux termes de l'accord conclu en juillet 2015.
L'un des blocs politiques les plus riches au monde a accueilli moins de 1 % des personnes qui ont besoin de toute urgence d'une réinstallation.
Ainsi, l'objectif indiqué dans la communication de permettre aux réfugiés et aux migrants de «rester près de chez eux» semble destiné à renforcer un statu quo où 86 % des réfugiés dans le monde vivent dans des pays en développement qui n'ont pas la possibilité ou la volonté de leur fournir une aide adéquate. Il est nécessaire que l'UE traduise dans les faits son engagement apparent en faveur « des principes de partage des responsabilités et de solidarité » en augmentant fortement le nombre de places d'accueil pour les réfugiés vulnérables dans les pays de premier asile, et mettant en place des solutions sûres et légales pour les personnes qui recherchent une protection internationale en Europe, y compris en ce qui concerne le regroupement familial et des visas humanitaires dans les pays de premier accès.
La troisième faille majeure de cette communication est l'absence d'un mécanisme permettant de veiller au respect du droit international et des normes internationales relatifs aux droits humains concernant la mise en œuvre des mesures en matière de migration escomptées de la part de pays tiers au titre de ces «accords», qui comportent intrinsèquement le risque de voir l'UE et ses États membres se rendre complices de toute une série de graves violations des droits humains. Le principal critère utilisé pour choisir les pays pouvant être prioritairement des partenaires en matière de gestion des migrations semble être le fait qu'ils doivent être soit des pays d'origine soit des pays hôtes pour des «groupes susceptibles de migrer», et ces pays ne sont pas soumis à une obligation de respecter le droit international et les normes internationales relatifs aux droits humains. Aux termes du droit international, tous les États – y compris les États membres de l'UE – sont en droit de prendre des mesures pour réglementer l'entrée et la résidence sur leur territoire de ressortissants étrangers. Ces mesures peuvent comprendre une coopération légitime avec des pays tiers, et des «accords» entre l'UE et des pays n'appartenant pas à l'UE ne sont pas en soi illégaux. Toutefois, toute intervention de l'État est soumise au respect des obligations juridiques de cet État, notamment de ses obligations découlant du droit international relatif aux droits humains. De plus, les États qui aident un autre État ou lui apportent leur assistance pour la commission d'un acte internationalement illicite peuvent être tenus pour responsables de cet acte. La communication ne prévoit pas de mécanisme permettant de garantir que l'aide financière de l'UE ne va pas être utilisée pour commettre, directement ou indirectement, des atteintes aux droits humains. Cette lacune est particulièrement préoccupante dans la mesure où la communication présente plusieurs pays connus pour des violations graves et massives des droits humains – notamment l'Afghanistan, l'Érythrée et le Soudan – en tant qu'États pouvant être retenus prioritairement pour des «programmes» qui n'ont pas encore été définis. L'aide financière qu'apporte l'UE à ces pays pourrait contribuer à la commission de nouvelles violences. Par ailleurs, la proposition contenue dans la communication visant à «améliorer» les capacités de la Libye en matière de «gestion des frontières» pourrait avoir pour conséquence que les fonds européens contribuent à des mauvais traitements et à la détention illimitée dans des conditions effroyables de milliers de réfugiés et de migrants.
La forteresse Europe
Le quatrième grave problème que présente cette communication concerne la méthode qu'elle propose pour faire face au trafic d'êtres humains, qui se situe dans la droite ligne des politiques inefficaces de l'UE visant à bâtir une «forteresse Europe». Les gouvernements des pays de l'UE dépensent déjà des milliards pour ériger des clôtures et mettre en place des systèmes de surveillance high-tech et des gardes-frontières. Comme l'ont montré les recherches menées par Amnesty International, cette stratégie ne fonctionne pas ; alors que 280 000 réfugiés et migrants sont entrés dans l'UE en 2014, près d'1,1 million de personnes sont arrivées par la mer en 2015. Selon une étude réalisée par les agences intergouvernementales d’application des lois INTERPOL et Europol, le trafic d’êtres humains a augmenté du fait de contrôles plus stricts aux frontières de l’UE.
L'effet conjugué de ces quatre failles majeures pourrait être d'aggraver davantage encore la situation que cette communication prétend régler. Le financement représente un élément essentiel en matière de partage des responsabilités, mais si rien n'est fait en parallèle pour que les personnes puissent gagner l'Europe en toute sécurité, aucune aide financière quelle qu'elle soit ne pourra empêcher l'immigration clandestine. Des personnes continueront de fuir tant que des pays tels que l'Afghanistan, l'Érythrée, la Gambie, l'Irak, le Nigeria, la Somalie, le Soudan et la Syrie seront en proie à un violent conflit ou à un régime impitoyable, et tant qu'il ne sera pas possible de vivre dans la dignité dans les pays hôtes tels que la Jordanie, le Liban et la Turquie. Le renforcement des remparts de la forteresse Europe aura uniquement pour conséquence de forcer les gens à emprunter des itinéraires plus longs et plus dangereux. Dès lors, au lieu de mettre fin au trafic d'êtres humains et de sauver des vies – ce sont là deux des objectifs des «accords» –, la proposition présentée dans la communication pourrait avoir des effets contraires.
Il est urgent d'adopter une nouvelle approche mondiale en ce qui concerne les réfugiés, reposant sur une coopération internationale durable et résolue, ainsi que sur un partage équitable des responsabilités.
La réunion plénière de haut niveau de l'Assemblée générale de l'ONU qui se tiendra le 19 septembre 2016 offre l'occasion de mettre en place un accord mondial reposant sur un véritable partage des responsabilités concernant les réfugiés. À l'opposé, les soi-disant « accords » que propose la communication sont au mieux mal conçus et au pire illégaux. Cette communication, si elle devait être pleinement mise en œuvre, risquerait d'entraîner une dégradation dans le monde entier de la protection des personnes réfugiées et en quête d'asile. Le système de protection internationale créé par la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés serait gravement mis en péril si des pays riches pouvaient, en payant, se soustraire à leurs obligations internationales.