©Amnesty International / Olga Stefatou
©Amnesty International / Olga Stefatou

Politique migratoire La politique européenne de fermeture fait exploser le nombre de morts en Méditerranée

Communiqué de presse publié le 8 août 2018, Berne/Londres. Contact du service de presse
La politique européenne visant à fermer la route de la Méditerranée centrale a fait exploser le nombre de noyades et celui de personnes reconduites vers de sordides centres de détention en Libye.

Le document, intitulé Between the devil and the deep blue sea. Europe fails refugees and migrants in the Central Mediterranean, révèle l’impact dévastateur des politiques européennes qui ont entraîné la mort de plus de 720 personnes en mer, entre juin et juillet 2018. Il met en évidence la nouvelle politique des autorités italiennes, qui laisse des personnes errer en pleine mer pendant des jours. Il analyse également la manière dont les pays membres de l’Union européenne (UE) conspirent pour contenir des milliers de réfugiés et de migrants en Libye, où ils sont exposés à la torture et aux mauvais traitements.

Lien vers la pétition «Stop à la détention et à la vente de réfugiés et de migrants en Libye»

«La responsabilité de ce nombre croissant de morts incombe aux gouvernements européens qui sont plus soucieux de maintenir les migrants hors de l’UE plutôt que de sauver des vies.»Cyrielle Huguenot, spécialiste des questions migratoires pour la Section Suisse d’Amnesty International

«Le nombre des décès en mer a augmenté malgré la diminution du nombre de personnes qui ont tenté de traverser la Méditerranée. La responsabilité de ce nombre croissant de morts incombe clairement aux gouvernements européens qui sont plus soucieux de maintenir les migrants hors de l’UE plutôt que de sauver des vies», a déclaré Cyrielle Huguenot, spécialiste des questions migratoires pour la Section Suisse d’Amnesty International. «L’Europe soutient les garde-côtes libyens, pour leur permettre d’intercepter les migrants en mer. En outre, elle ne considère plus les opérations de sauvetage comme une priorité et s’acharne à obstruer le travail pourtant vital des ONG humanitaires. La récente augmentation du nombre de décès en Méditerranée n’est pas une simple tragédie, c’est une honte», a ajouté Cyrielle Huguenot.

Augmentation du nombre de détenus en Libye

L’explosion du nombre de décès en mer est accompagnée d’une augmentation dramatique du nombre de personnes arbitrairement détenues dans des centres de détention surpeuplés en Libye. Le nombre de détenus dans les centres officiels a plus que doublé ces derniers mois, passant de 4400 en mars à plus de 10'000 - dont environ 2000 femmes et enfants - à fin juillet. Ils ont pratiquement tous été transférés dans ces centres après avoir été interceptés en mer et ramenés en Libye par les garde-côtes libyens, équipés, formés et soutenus par les gouvernements européens. La Suisse a elle-même versé un million de francs à l’Organisation internationale pour les migrations (IOM) afin de renforcer les capacités de sauvetage en mer des garde-côtes libyens. En outre, la contribution suisse à l’agence européenne de contrôle des frontières «Frontex» est en constante augmentation depuis 2015 et pourrait atteindre, selon la volonté du parlement, 15 millions de francs d'ici 2020.

«Il y a une collusion entre les gouvernements européens et les autorités libyennes qui a pour but de maintenir les réfugiés et les migrants en Libye, malgré les horribles traitements dont ils sont victimes de la part des garde-côtes et dans les centres de détention. Les projets d’étendre encore cette politique d’externalisation à toute la région sont extrêmement préoccupants», constate Cyrielle Huguenot.

Au cours de l'année écoulée, les gouvernements européens n'ont pas réussi à se mettre d’accord sur des réformes pourtant cruciales du système de Dublin, alors même qu’elles auraient permis d'éviter toute dispute au sujet du débarquement en Europe des personnes secourues en mer.

L’Italie, en réponse à cet échec, a commencé à refuser l’accès à ses ports aux navires transportant des personnes secourues en mer. Cette nouvelle politique concerne aussi bien les bateaux des ONG et les navires commerciaux que les navires militaires étrangers. L’imposition de délais inutiles a forcé un grand nombre de personnes ayant un besoin urgent d’assistance – blessés, femmes enceintes, survivants de la torture, personnes traumatisées par des naufrages ou encore mineurs non accompagnés – à errer en pleine mer pendant plusieurs jours.

« l'Italie se sert des vies humaines comme monnaie d'échange.» Cyrielle Huguenot

«En refusant de laisser des réfugiés et des migrants débarquer dans ses ports, l'Italie se sert des vies humaines comme monnaie d'échange. Des personnes désespérées sont bloquées en mer, sans eau ni nourriture suffisantes, sans abri, tandis que l'Italie tente de gagner des points sur le plan politique pour un meilleur partage des responsabilités entre États européens», a déclaré Cyrielle Huguenot.

«Pour couronner le tout, les autorités italiennes et maltaises ont calomnié, intimidé et criminalisé les ONG qui tentaient héroïquement de sauver des vies en mer. Elles ont refusé à leurs bateaux l’autorisation de débarquer et les ont même saisis.»

«L’Italie et les États et institutions européennes doivent prioriser de toute urgence le sauvetage en mer et garantir que les personnes secourues puissent rapidement débarquer dans des pays où elles ne seront pas exposées à de sérieux abus et où elles pourront demander l’asile.»

La synthèse publiée aujourd’hui fait également état de cas récents de violations du droit international. Notamment d’un incident qui s’est déroulé le 16 et 17 juillet, lorsque l’ONG Proactiva a recueilli une femme survivante et deux cadavres sur un bateau en train de couler après une intervention des garde-côtes libyens  ou encore le renvoi vers la Libye de 101 personnes par le navire marchand battant pavillon italien «Asso Ventotto», le 30 juillet.

«Ces graves incidents doivent faire l’objet d’une enquête adéquate. Ils mettent en évidence les conséquences fatales des politiques européennes», a déclaré Cyrielle Huguenot. «Les gouvernements européens doivent rompre le cercle vicieux de la fermeture des frontières et de l’externalisation qu’ils ont créés. Ils doivent à la place investir dans des politiques qui remettent de l’ordre dans le système en offrant des possibilités sûres de voyager en Europe pour les réfugiés et les migrants.»