En juillet 2014, dix-neuf réfugiés sont morts asphyxiés sur un bateau bondé au large des côtes de Lampedusa. Leur mort coïncidait tristement avec le troisième «Camp international d’actions pour les droits humains» d’Amnesty International qui s’est tenu cette année en Bulgarie. Près de huitante militantes et militants venus de 30 pays différents se sont réunis du 12 au 19 Juillet dans un camping de Breznik, à une cinquantaine de kilomètres de la capitale bulgare Sofia. Nous étions quatre* à avoir fait le voyage depuis la Suisse: Patrick (groupe jeunes Thoune et Berne), Réka (groupe jeunes Zurich), Chantal (groupe Bienne) et moi-même, Flurina (groupe universitaire Fribourg)
La Bulgarie est l’une des principales portes d’entrée vers l’Europe pour les migrant·e·s et réfugié·e·s fuyant le Moyen-Orient, l’Afrique du Nord et les Balkans occidentaux. Pourtant, ils n’y sont pas accueillis les bras ouverts. Au contraire, ils sont reçus avec méfiance et sont souvent rejetés, voire même physiquement maltraités. Alors que le nationalisme et la xénophobie se propagent en Europe, les efforts visant à prévenir l’immigration dite «illégale» s’intensifient. Les Etats de l’Union Européenne contrôlent les frontières de manière toujours plus stricte et y installent des systèmes d’alerte complexes et coûteux dans le but de dissuader et d’empêcher migrant·e·s et réfugié·e·s de pénétrer le territoire européen.
Les images parlent plus que les mots
Selon le récent rapport d’Amnesty International («Le coût humain de la forteresse Europe»), au moins 23’000 personnes ont perdu la vie en essayant de rejoindre l’Europe depuis l’an 2000. Les périls et épreuves qui attendent les migrant·e·s sur leur chemin vers l’Europe ont été immortalisés par les photos choquantes et émouvantes du journaliste photographe grec Giorgos Moutafis.
Les images que cet homme de quarante-sept ans capture aux frontières de l’Europe depuis de nombreuses années, nous ont révélé la cruauté de la politique migratoire européenne. C’est avec une grande émotion que nous l’avons entendu se confier : «quand je pense à ce qui se passe aux frontières de l'Europe, je revis en boucle l’angoisse provoquée par la vue des cadavres dans l'eau et des photos de personnes en quête désespérée de sécurité.»
Du désespoir naît la nécessité d’agir
La solitude, la peur et l'espoir d'une vie meilleure. Ces émotions ont rythmé nos discussions durant toute la semaine. Au fil de nos échanges et des récits d’anciens réfugiés, un sentiment de rage nous a submergés, une sorte de «mal du monde» comme l’a qualifié un des participants. Après quelques jours, le désir de changer les choses nous a encouragés à agir.
Au terme d'intenses discussions et de travaux préparatoires par groupes de travail, nous avons réalisé une grande action publique. A Sofia, nous avons transformé symboliquement la frontière extérieure de l’Europe en un mur de commémoration pour les dizaines de milliers de migrant·e·s et réfugié·e·s qui ont perdu la vie ou ont subi des abus en cherchant protection en Europe.
Malgré une thématique difficile et triste, le camp nous a également offert de nombreuses occasions d'interagir et de développer de belles amitiés entre les participant·e·s. Cependant, avant tout, nous sommes revenus convaincus de la nécessité d’œuvrer pour une politique migratoire et d’asile plus juste et plus humaine.
Les mots que John Dalhuisen du Secrétariat International d’Amnesty a prononcés lors de notre grande action à Sofia résonnent encore dans nos oreilles : «l'Europe a perdu un atout extrêmement précieux : la capacité de montrer son humanité. Pendant que des familles entières syriennes et des réfugié·e·s en provenance de pays comme l'Erythrée et la Somalie se noient en mer, faute d'alternatives pour fuir les dangers qui les menacent dans leur pays, le silence de l'Europe est assourdissant.»