Dans le débat sur l’asile, le Règlement Dublin est probablement le sujet qui suscite le plus de critiques. Celui-ci règle l’accueil des réfugié∙e∙s en Europe et stipule que, dans la majorité des cas, le pays de première entrée en Europe est responsable de l’examen de la demande d’asile d’un∙e requérant∙e. Généralement, ce sont les pays situés aux frontières extérieures de l’Europe, comme l’Italie, la Grèce ou la Hongrie. La Suisse participe, elle aussi, au système Dublin et profite énormément de sa situation géographique, au cœur de l’Europe : la plupart des requérant∙e∙s d’asile qui arrivent en Suisse peuvent être renvoyés, étant donné que ces personnes sont passées auparavant par un autre Etat Dublin.
La Suisse se targue souvent de sa tradition humanitaire. C’est pourquoi on devrait s’attendre à ce que la Suisse se montre généreuse dans des cas de rigueur. Par exemple, lorsqu’un renvoi Dublin séparerait une famille ou lorsqu’une personne demandant l’asile a besoin de toute urgence d’un traitement médical. Pour ces cas-là, le règlement Dublin dispose de la clause de souveraineté: un Etat Dublin peut, pour des raisons humanitaires, engager une procédure d’asile, même si un autre Etat est, en fait, responsable de l’examen de la demande de protection déposée.
Pourtant, la Suisse applique très rarement cette clause. «La Suisse est le pays d’Europe qui a, entre 2009 et 2016, procédé au plus grand nombre de transferts Dublin», déclare Cyrielle Huguenot, responsable des campagnes asile et migration chez Amnesty Suisse. «Plus de 25 000 personnes ont été renvoyées pendant cette période vers d’autres pays européens, ce qui représente plus de 13 pour cent du nombre total de requérant∙e∙s arrivés en Suisse.» En contrepartie, la Suisse a, pendant la même période, pris en charge seulement 4443 personnes en provenance d’autres pays. En comparaison: l’Allemagne ne renvoie que 3 pour cent des requérant∙e∙s d’asile vers d’autres pays européens.
La dissuasion comme méthode
En automne 2015, la Suisse a décidé de participer au premier programme européen de répartition des réfugié∙e∙s. Le Conseil fédéral a alors accepté d’accueillir 900 personnes d’Italie et 600 personnes de Grèce afin de soulager ces deux pays. Fin mai 2017, le Secrétariat d’Etat aux migrations a annoncé que déjà 605 personnes en provenance d’Italie étaient arrivées en Suisse. Mais le fait que la Suisse a renvoyé trois fois plus de personnes vers l’Italie pendant la même période a été passé sous silence…
«Le message est clair: si vous arrivez en Suisse en passant par un Etat Dublin, vous n’avez aucune chance de trouver l’asile ici.»
Denise Graf, experte de l’asile chez Amnesty
«Cette application extrêmement stricte du règlement Dublin a, à mon avis, clairement pour objectif de dissuader les réfugié∙e∙s d’entrer en Suisse et de rendre la Suisse moins attractive», déclare Denise Graf, experte de l’asile chez Amnesty Suisse. «Le message est clair: quiconque arrive en Suisse en passant par un Etat Dublin n’a aucune chance de trouver l’asile ici. Le problème est que les réfugié∙e∙s qui ont besoin de toute urgence d’une protection, restent ainsi bloqués dans une longue et pénible procédure de renvoi, au lieu que la Suisse accepte leur demande d’asile.»
Il est particulièrement préoccupant que la Suisse renvoie également des personnes vers des pays comme la Hongrie ou la Bulgarie car, dans ces pays, les conditions d’accueil sont très mauvaises et les réfugié∙e∙s sont souvent refoulés illégalement. En mars 2017, la Hongrie a décrété, comme nouvelle mesure de dissuasion, l’internement de toutes les personnes demandant d’asile dans des zones de transit. C’était la mesure de trop : le 31 mai, le Tribunal administratif fédéral a jugé que le Secrétariat d’Etat aux migrations ne doit plus refouler les requérant∙e∙s d’asile vers la Hongrie.
Mais les renvois vers d’autres pays sont aussi très inquiétants. En raison du nombre élevé de réfugié∙e∙s arrivant sur son territoire, l’Italie n’est depuis longtemps plus en mesure de garantir à toutes les personnes demandant l’asile un logement approprié et une procédure correcte. Cela concerne tout particulièrement les personnes vulnérables, comme les familles avec des enfants en bas âge, les femmes enceintes et les malades. «En 2016, la Suisse a, par exemple, renvoyé plus de 40 familles vers l‘Italie », déclare Cyrielle Huguenot. «L’échange d’informations entre les autorités suisses et italiennes ne fonctionne pas de manière satisfaisante. Ainsi, une femme enceinte a été renvoyée en Italie où on lui a communiqué qu’elle devait se débrouiller elle-même pour trouver un logement – les autorités italiennes n’étaient pas au courant de sa grossesse.»
Par Manuela Reimann Graf. Cet article es paru dans la version allemande du magazine «AMNESTY» du mois d'août 2017.