Ce document, intitulé Côte d’Ivoire. Les effets destructeurs de la prolifération des armes et de leur usage incontrôlé, explique comment une poignée d’États et un réseau international de trafiquants d’armes ont fourni armes et munitions aux deux camps, qui se sont rendus coupables de crimes de guerre et de nombreuses violations des droits humains, notamment de terribles violences contre des femmes et des jeunes filles.
Ces transferts d’armes ont été effectués avant et après que le Conseil de sécurité des Nations unies eut imposé un embargo sur les armes dans ce pays, en novembre 2004.
«La situation en Côte d’Ivoire rappelle de manière glaçante que même un embargo décrété par les Nations unies n'est parfois pas suffisant pour empêcher que des armes cheminent jusqu'aux parties combattantes, avec des conséquences dévastatrices pour la population civile», a expliqué Salil Shetty, secrétaire général d’Amnesty International.
«Si tous les gouvernements du monde le décident, ils peuvent empêcher que les futurs embargos sur les armes imposés par les Nations unies n’échouent et que des atrocités ne soient commises. Ils doivent adopter un véritable traité contre les armes, qui soit ferme et exhaustif, et fondé sur le respect des droits humains et du droit humanitaire.»
Un traité mondial fort sur le commerce des armes, que les États membres des Nations unies négocient actuellement à New York, régirait les transferts internationaux d’armes classiques, de technologies et de munitions.
Depuis l'explosion de la violence armée début 2011, à la suite d'une élection présidentielle très disputée, des centaines d’Ivoiriens ont été tués – souvent pris pour cible en raison de leur appartenance ethnique ou de leurs affiliations politiques –, des femmes et des jeunes filles ont été victimes de violences sexuelles, en particulier de viols, et des centaines de milliers de personnes ont été forcées à fuir leur domicile.
Amnesty International et le Groupe d’experts gouvernementaux des Nations unies enquêtant sur les violations de l’embargo ont recueilli des informations montrant comment des transferts irresponsables et illégaux d’armes remontant à 2002 ont alimenté ces atrocités et abus. Ces violations se poursuivent.
Transferts d’armes à destination des forces ivoiriennes de sécurité
Après qu’une mutinerie militaire eut scindé le pays en deux en 2002, le gouvernement ivoirien du président Laurent Gbagbo s'est lancé dans un programme frénétique d’acquisition d’armes.
Parmi les pays ayant fourni des armes et des munitions au gouvernement ivoirien pendant cette période ont figuré l’Angola (véhicules blindés et tanks), la Chine (armes de petit calibre et armes légères), le Bélarus (aéronefs, véhicules blindés, mortiers et lance-roquettes), la Bulgarie (aéronefs, mortiers et armes légères, dont des fusils d’assaut de type Kalachnikov), l’Ukraine (véhicules blindés) et Israël (drones).
Selon un rapport du Groupe d’experts des Nations unies datant d’avril 2012, les forces ivoiriennes de sécurité ont reçu des armes illégales jusqu’en 2009, soit après que les Nations unies aient décrété l’embargo. Des enquêteurs des Nations unies ont rassemblé des éléments établissant l’existence d’un réseau sophistiqué de trafic d’armes impliquant des entreprises et des personnes dans plusieurs pays, dont le Sénégal, la Guinée, la Tunisie et la Lettonie.
Amnesty International dispose d’informations indiquant clairement que les armes livrées depuis 2002 ont non seulement eu un impact immédiat sur les hostilités à l’époque, mais qu’elles ont également été employées plus tard contre des civils lorsqu’un nouveau conflit armé a éclaté début 2011.
Cela s’est notamment traduit par l’utilisation de balles réelles, de grenades à fragmentation et de lance-roquettes contre des manifestants dans plusieurs zones d'Abidjan, la capitale économique, en janvier et en février 2011. Les principales cibles furent des membres de la communauté dioula – implantée dans le nord du pays – généralement perçus comme opposés à Laurent Gbagbo.
Dans le quartier d’Abobo (Abidjan), en février et mars 2011, des membres des forces de sécurité pro-Gbagbo ont lancé des attaques au mortier contre des zones densément peuplées et tiré de manière inconsidérée sur des civils non armés. Un bombardement ayant visé un marché d’Abobo le 17 mars 2011 a à lui seul tué au moins 20 personnes et blessé 60 autres, des femmes pour la plupart.
Transferts d’armes à destination des Forces nouvelles
Les résultats des recherches effectuées sur les transferts d’armes à destination des Forces nouvelles – une alliance de groupes armés d’opposition qui avaient pris le contrôle du nord du pays à la suite de la mutinerie militaire de 2002 – sont moins nets.
Les numéros de série des armes vues en la possession des Forces nouvelles avaient été effacés, d’où une certaine difficulté à tirer des conclusions sur leur provenance et l’itinéraire qu’elles ont emprunté.
Il est notoire que les combattants des Forces nouvelles utilisent divers types de fusils d’assaut chinois, russes et polonais, d’origines et de calibres divers. Il semblerait par ailleurs que le Burkina Faso ait joué un rôle majeur dans ces transferts, à la fois avant et après l’embargo sur les armes décrété en 2004.
Les quantités de cartouches de calibre 7,62 x 39 mm fabriquées en Roumanie en 2005 ayant circulé dans le pays en 2011 et 2012 provenaient d’un détournement illicite de ces munitions depuis le Burkina Faso.
De plus en plus d’éléments attestent que les forces opposées à Laurent Gbagbo, notamment les Forces nouvelles, ont perpétré des homicides illégaux, souvent d’hommes ou de garçons spécifiquement visés du fait de leur appartenance ethnique ou de leurs affiliations politiques.
Ce type d’homicides semble avoir continué après l’intégration des Forces nouvelles aux Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI), créées en mars 2011 par l’actuel président, Alassane Outtara.
Quelques-uns des pires cas d’homicides arbitraires attribués aux FRCI ont été commis dans la ville de Duékoué et aux alentours de celle-ci, dans l’ouest du pays, en mars 2011. Elles avaient été aidées par une milice armée composée de chasseurs traditionnels, les Dozos.
Ces groupes ont mené une chasse à l’homme à travers le quartier Carrefour, à Duékoué, rassemblant des membres de l’ethnie guérée – soupçonnée de soutenir Laurent Gbagbo –, et ont exécuté sommairement des centaines d’hommes de tous âges.
Amnesty International a recueilli plus de 100 témoignages de résidents ayant survécu aux massacres perpétrés à Duékoué et dans les villages alentours – tous soulignent la nature systématique et ciblée des homicides commis par les FRCI et les Dozos.
«À l’occasion de plusieurs missions effectuées en Côte d’Ivoire depuis les violences commises début 2011, Amnesty International a pu identifier un lien clair entre les violations perpétrées par tous les camps et les armes accumulées des années auparavant par le biais de transferts irresponsables et, parfois, illégaux», a expliqué Brian Wood, responsable des questions liées au contrôle des armes et aux droits humains au sein d’Amnesty International.
«Notre message aux dirigeants mondiaux est simple – mettez de l’ordre dans la foire d’empoigne entourant les ventes d’armes, qui détruit des populations en Côte d’Ivoire et dans le monde entier. Il est possible de régler le problème en adoptant un traité fort sur le commerce des armes afin de bloquer les transferts internationaux lorsqu’il existe un risque réel que les armes en question soient utilisées pour faciliter ou commettre de graves violations des droits humains ou des crimes de guerre.»