Un garde municipal en tenue anti-émeute tire des balles en caoutchouc sur des manifestant.e.s à Rio de Janeiro lors d'une grève nationale contre la loi de réforme sociale du gouvernement © AFP via Getty Images
Un garde municipal en tenue anti-émeute tire des balles en caoutchouc sur des manifestant.e.s à Rio de Janeiro lors d'une grève nationale contre la loi de réforme sociale du gouvernement © AFP via Getty Images

Monde Une utilisation abusive des balles en caoutchouc par les forces de l’ordre

Communiqué de presse du 14 mars 2023, Londres/Berne. Contact du service de presse
Dans le monde entier, les forces de sécurité utilisent régulièrement de façon abusive les balles en caoutchouc et d’autres armes de maintien de l’ordre pour réprimer violemment des manifestations pacifiques. Elles provoquent ainsi de terribles blessures et des décès. Amnesty International demande que l’utilisation de ces équipements soit contrôlée étroitement et qu’un traité international soit adopté pour réglementer leur commerce.

Intitulé « Mon œil a explosé » : l’utilisation abusive des projectiles à impact cinétique dans le monde, ce rapport publié conjointement avec la Fondation de recherche Omega est issu de recherches menées dans plus de 30 pays ces cinq dernières années. Il révèle que des milliers de manifestant·e·s et de passant·e·s ont été mutilés et des dizaines d’autres tués à la suite de l’utilisation souvent inconsidérée et disproportionnée d’armes de maintien de l’ordre à létalité réduite, notamment des projectiles à impact cinétique, comme les balles en caoutchouc, ainsi que des tirs de chevrotine recouverte de caoutchouc et des grenades lacrymogènes lancées directement vers des manifestant·e·s.

« Il faut de toute urgence mettre en place un encadrement mondial juridiquement contraignant de la fabrication et du commerce des armes à létalité réduite, notamment pour les projectiles à impact cinétique, ainsi que des directives efficaces sur le recours à la force pour lutter contre une spirale de la violence », a déclaré Patrick Wilcken, chercheur au sein de l’équipe Armée, sécurité et maintien de l’ordre à Amnesty International.

Amnesty International et la Fondation de recherche Omega font partie des 30 organisations qui demandent un traité contre le commerce des instruments de torture soutenu par les Nations unies afin d’interdire la fabrication et le commerce des projectiles à impact cinétique et des autres armes de maintien de l’ordre qui sont par nature propices à des abus et d’instaurer des contrôles fondés sur les droits humains pour la fourniture d’autres équipements de maintien de l’ordre, comme les balles en caoutchouc et en plastique.

« Un traité contre le commerce des instruments de torture prohiberait toute production et tout commerce des armes et équipements de maintien de l’ordre intrinsèquement abusifs, tels que les types de projectiles à impact cinétique qui sont par nature dangereux ou imprécis, les balles métalliques enduites de caoutchouc, les plombs de chevrotine enduits de caoutchouc et les munitions contenant des projectiles multiples, qui ont rendu des personnes aveugles et causé d’autres graves blessures et des décès à travers le monde », a déclaré Michael Crowley, chargé de recherches pour la Fondation de recherche Omega.

Blessures terribles

Ces armes ont causé une incapacité permanente dans des centaines de cas, ainsi que de nombreux décès. Une augmentation inquiétante a été observée pour les lésions oculaires (notamment rupture du globe oculaire, décollement de la rétine et perte totale de la vision), les fractures du crâne et d’autres os, les lésions cérébrales, les ruptures d’organes et les hémorragies internes, les perforations du cœur ou des poumons à la suite de côtes cassées, les lésions sur les organes génitaux et les traumatismes psychologiques.

Au Chili, selon une estimation de l’Institut national des droits humains, les actions de la police lors des manifestations qui ont débuté en octobre 2019 ont occasionné plus de 440 lésions oculaires, dont plus de 30 cas de perte de la vision ou de rupture du globe oculaire. Au moins 53 personnes sont mortes à cause de projectiles tirés par les forces de sécurité d’après une étude validée par des spécialistes qui s’est appuyée sur les publications médicales parues entre 1990 et juin 2017. Ses conclusions indiquaient également que 300 des 1 984 blessés en avaient gardé une incapacité permanente.

Depuis lors, la disponibilité, la variété et l’utilisation des projectiles à impact cinétique ont connu une forte hausse au niveau mondial et contribué à la militarisation du maintien de l’ordre au cours des manifestations. Les règles nationales d’utilisation des projectiles à impact cinétique sont rarement conformes aux normes internationales relatives à l’usage de la force, qui disposent que ces armes ne doivent être utilisées qu’en dernier recours contre des individus violents représentant une menace imminente de préjudice grave contre des personnes.

Des armes également en cause en Suisse

Notre pays soutient l'élaboration d'un traité contre le commerce des instruments de torture pour réglementer le commerce de projectiles à impact cinétiques. Toutefois, en Suisse l'utilisation de balles en caoutchouc par la police soulève des questions. Différents médias font régulièrement état de blessures graves causées par l'utilisation de telles munitions. En Suisse aussi, il est donc nécessaire d'enquêter sur l'utilisation des projectiles à impact cinétiques.

De multiples cas à travers le monde

En avril 2021, Leidy Cadena Torres, qui avait alors 22 ans, se rendait à pied à une manifestation contre des réformes fiscales à Bogotá, la capitale colombienne, lorsqu’elle a été touchée au visage par une balle en caoutchouc tirée à bout portant par un policier antiémeutes. Elle a perdu un œil. « Je ne comprenais pas ce qui se passait alors j’ai sorti mon téléphone et pris une photo de mon visage, mais je ne pouvais pas la voir » a-t-elle raconté à Amnesty International. « Ils essaient de vous infliger des blessures visibles, comme la perte d’un œil, afin d’effrayer les gens pour qu’ils ne sortent pas [manifester]. »

L’expérience vécue par cette jeune femme éborgnée s’est répétée avec une inquiétante régularité dans des circonstances similaires en Amérique centrale et du Sud, en Europe, au Moyen-Orient, en Afrique et aux États-Unis lors de manifestations récentes ou en cours.

Aux États-Unis, les balles en caoutchouc sont de plus en plus utilisées pour réprimer des manifestations pacifiques. Une personne touchée au visage lors d’une manifestation à Minneapolis, dans l’État du Minnesota, le 31 mai 2020 a expliqué : « Mon œil a explosé à cause de l’impact de la balle en caoutchouc et mon nez s’est déplacé sous mon autre œil. La première nuit que j’ai passée à l’hôpital, les médecins ont rassemblé les morceaux de mon œil et les ont recousus ensemble. Puis ils ont remis mon nez en place et l’ont remodelé. Ils m’ont finalement posé une prothèse oculaire, donc je ne vois plus que de l’œil droit maintenant. »

En Espagne, l’utilisation de projectiles en caoutchouc de la taille d’une balle de tennis, manquant de précision par nature, a causé au moins un décès des suites d’un traumatisme crânien et 24 blessures graves, dont 11 cas de graves lésions oculaires, selon le groupe qui mène la campagne nationale Stop Balas de Goma. En France, une expertise médicale concernant 21 patient·e·s blessés au visage et/ou aux yeux par des balles en caoutchouc a relevé de graves lésions, notamment des éclatements osseux, d’autres types de fractures et des ruptures du globe oculaire ayant entraîné une cécité.

 

Amnesty International a également recensé des cas de grenades lacrymogènes, parfois beaucoup plus lourdes que les munitions de gaz lacrymogène classiques, lancées directement vers des personnes ou des foules au Chili, en Irak, en Colombie, en Tunisie, en Équateur, en France, à Gaza, en Guinée, à Hong Kong, en Iran, au Pérou, au Soudan et au Venezuela.