Pourquoi une organisation de défense des droits humains comme Amnesty Suisse participe-t-elle à l'initiative? Qu'est-ce qui justifie sa prise de position à ce sujet?
Amnesty International est un mouvement mondial d'environ 10 millions de personnes dont l'objectif est d’arriver à un monde dans lequel les droits humains s'appliquent à touxtes de manière indifférenciée. L'initiative pour l'inclusion est une réaction à l'exclusion systématique de la société et la limitation des droits d'une minorité. Amnesty Suisse a été sollicitée par des représentant∙e∙x∙s de cette minorité concernée pour soutenir l'initiative. En tant qu'organisation de défense des droits humains et compte tenu de notre mission, nous avons accepté l'invitation.
Amnesty Suisse ne disposant que de peu d'expertise sur le handicap, nous n'assumerons pas de rôle de porte-parole. Nous nous positionnons en tant qu'allié∙e∙x∙s et nous nous référons aux expert∙e∙x∙s dans ce domaine: les personnes en situation de handicap et leurs organisations représentatives.
Nous défendons cependant très clairement un aspect fondamental: les droits des personnes en situation de handicap sont des droits humains. Notre participation en tant qu'organisation de défense des droits humains reconnue est de rappeler qu'il ne s'agit pas seulement d'un sujet de politique sociale, mais de droits humains et que les personnes en situation de handicap ont droit à l'égalité. Il ne s'agit pas d'une concession sociale de la part du reste de la société (ne vivant pas avec un handicap), mais du fait que nous avons, en tant que peuple et Etat souverain, une obligation en matière de droits humains. La Suisse a le devoir de rendre ces droits accessibles, de prévenir les discriminations, de faire progresser l'inclusion et de garantir l'égalité effective des personnes en situation de handicap. C'est ce que nous souhaitons rendre visible par notre engagement dans cette initiative.
L'initiative vise également à donner aux personnes concernées une plateforme pendant la campagne et à leur permettre de s'engager politiquement. Le public doit être sensibilisé à la situation et aux droits des personnes en situation de handicap.
Pourquoi cette initiative est-elle nécessaire ? N'avons-nous pas déjà suffisamment de bases légales pour protéger les droits des personnes en situation de handicap ?
Depuis 23 ans, l'article 8 de la Constitution fédérale suisse (Cst.) interdit, à l'alinéa 2, la discrimination fondée, entre autres, sur le handicap. De plus, l'alinéa 4 stipule que « la loi prévoit des mesures en vue d'éliminer les inégalités qui frappent les personnes handicapées ». Ces deux dispositions vont toutefois moins loin qu'un principe d'égalité tel qu'il est formulé à l'alinéa 3 en ce qui concerne l'homme et la femme: « L'homme et la femme sont égaux en droit. La loi veille pourvoit à l'égalité de droit et de fait...». Alors que la Confédération s’engage à assurer l'égalité entre les genres, il est seulement dit que la Confédération prévoit des mesures pour l'égalité des personnes en situation de handicap. Il n'y a donc pas d'obligation directe pour la Confédération qui découle de cet article.
La loi sur l'égalité pour les personnes handicapées (LHand), basée sur la Cst., contient néanmoins une interdiction de discrimination et exige certaines conditions cadres pour que les personnes en situation de handicap puissent participer davantage à la vie en société. Ces deux bases juridiques ont constitué des premiers pas importants. Elles ne sont toutefois pas suffisantes pour garantir l'égalité effective des personnes concernées.
En 2014, la Suisse a ratifié la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées (CDPH). Son objectif est la pleine et égale jouissance des droits humains et des libertés fondamentales par toutes les personnes en situation de handicap. Au printemps 2022, le Comité de la Convention de l'ONU a examiné la Suisse pour la première fois et a critiqué la mise en œuvre insuffisante de la Convention dans presque tous les domaines de la vie. La reconnaissance du droit des personnes en situation de handicap à l'égalité face à la loi fait en particulier défaut. Le Comité a demandé à la Suisse d'adapter ses bases juridiques − également au niveau constitutionnel − et de garantir l'autodétermination des personnes en situation de handicap et leur pleine participation à la société. L'«Initiative pour l'inclusion» demande la participation autodéterminée des personnes en situation de handicap et leur égalité effective au niveau constitutionnel.
Le constat est que, malgré ces bases juridiques, la Suisse a peu progressé; pratiquement rien n'a été fait au niveau cantonal et dans le domaine de la vie autonome/du logement, sur lequel l'initiative met l'accent. Il faut donc que la population donne un mandat clair à la Confédération et aux cantons, aux gouvernements et aux parlements, afin d'atteindre l'égalité effective. La pression politique doit augmenter et le droit à l'égalité doit être garanti au niveau constitutionnel. C'est pourquoi cette initiative populaire est nécessaire.
De qui parle-t-on quand on parle de personnes en situation de handicap?
Définition de la CDPH:
- Préambule: «... la notion de handicap évolue et le handicap résulte de l’interaction entre des personnes présentant des incapacités et les barrières comportementales et environnementales.»
- Article 1, paragraphe 2: «Par personnes handicapées on entend des personnes qui présentent des incapacités physiques, mentales, intellectuelles ou sensorielles durables dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à leur pleine et effective participation à la société sur la base de l’égalité avec les autres.»
Combien de personnes en situation de handicap vivent en Suisse?
En Suisse, environ 1,8 million de personnes vivent avec un handicap. La proportion de personnes handicapées augmente fortement avec l'âge. Alors que seuls 10 % des jeunes vivent avec un handicap en Suisse, ce chiffre atteint 47 % chez les personnes de plus de 85 ans. Les femmes et les personnes sans formation professionnelle sont les plus touchées. Les différences démographiques s'expliquent en grande partie par la combinaison de ces caractéristiques et par les inégalités d'accès au système de santé. Les personnes en situation de handicap représentent donc une grande partie de la société qui ne réclame pas de droits spéciaux supplémentaires, mais les mêmes droits humains dont le reste de la population bénéficie. Il ne faut pas oublier non plus que nous pouvons touxtes nous retrouver demain, à la suite d'un accident ou d'une maladie, dans une situation où nous aurons besoin de mesures supplémentaires pour faire valoir nos droits. Les droits des personnes en situation de handicap nous protègent touxtes.
Comment s'exprimer correctement lorsque l'on parle de personnes en situation de handicap?
Les personnes en situation de handicap ont le droit d'être traitées avec autant de respect que les personnes ne vivant pas avec un handicap. Et ce, même lorsque l'on parle ou écrit à leur sujet. Mais la discrimination ne s'exprime pas seulement par des actes, mais aussi par le langage. Il existe encore des termes couramment utilisés que les personnes concernées considèrent être discriminatoires et dévalorisants.
Agile a développé une brochure pour un langage non discriminatoire et une plus grande égalité, que nous recommandons vivement. Elle favorise une communication plus respectueuse.
Vers le guide linguistique d'Agile
Pourquoi une initiative populaire ? Les majorités ne devraient pas voter sur les droits des minorités. Mais en demandant ce vote, nous le légitimons.
Un vote négatif ne cause-t-il pas plus de dommages que le simple maintien du statu quo?
Amnesty International considère le respect des droits humains comme une condition préalable au bon fonctionnement d'une démocratie.
La Suisse a ratifié la Convention relative aux droits des personnes handicapées. Notre système est moniste. Cela signifie que les traités internationaux font partie de notre système juridique à partir du moment où la Suisse les a ratifiés. La Convention fait donc partie du droit suisse et est pleinement valable. L'initiative et la votation n'y changent rien. L'initiative ne conduit donc pas à un vote sur la question de savoir si les droits humains doivent être valables. Il s'agit plutôt d'une votation sur leur applicabilité directe et leur ancrage au niveau constitutionnel, qui revêt également une grande importance symbolique.
Malgré la base juridique internationale, la Suisse reste très en retard lorsqu'il s'agit de mettre en œuvre les droits des personnes en situation de handicap (voir l'évaluation du Comité de la Convention relative aux droits des personnes handicapées). Pour appliquer la Convention, il faut ancrer des droits applicables dans notre système juridique.
Le deuxième objectif de l'initiative est d'accroître l'inclusion des personnes en situation de handicap dans la vie publique et politique dès le début du processus. L'initiative doit permettre de modifier la perception du public et les discours qui en découlent. L'inclusion n'est pas seulement la tâche d'une autorité. Elle concerne l'ensemble de la société.