© réseau avanti
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Femmes en situation de handicap / Initiative pour l'inclusion L’initiative pour l’inclusion est particulièrement bénéfique pour les femmes

8 mars 2024
L'égalité des personnes en situation de handicap est loin d'être réalisée en Suisse. Les personnes concernées rencontrent de nombreux obstacles et barrières. Les femmes en situation de handicap subissent une double discrimination – en raison de leur handicap et de leur genre. Un entretien avec Karin Huber du réseau avanti.
Participez-vous à la Journée des droits des femmes en ce 8 mars?

Oui, le réseau avanti a reçu une invitation d'alliance F pour l’événement au Palais fédéral. Une délégation de l'initiative pour l’inclusion y participe également, et j'ai été sollicitée par ce biais-là. Certes, je ne pourrai guère m'exprimer en plénière, mais la visibilité des femmes1en situation de handicap à cette occasion est importante. Trois femmes handicapées sont présentes avec moi en tant que participantes.

Dans quelle mesure les femmes en situation de handicap vivent-elles aujourd'hui une double discrimination ?


Cette double discrimination est patente dans différents domaines de la vie. Prenons l'exemple de l'accès à l'éducation et au marché du travail. Les filles en situation de handicap sont toujours cantonnées à des métiers stéréotypés, encore plus que les filles sans handicap. C'est ce qu'a démontré une étude qualitative que notre association a soutenue. Les entretiens avec les personnes concernées ont révélé à quel point le libre choix d'un métier leur est rendu difficile.

L'accès au marché du travail est généralement restreint pour les personnes en situation de handicap. Toutefois, les femmes handicapées sont encore moins actives que les hommes handicapés.

À quoi cela est-il dû ? Aux employeur·euse·x·s ou aux institutions, qui n'encouragent et n'accompagnent pas suffisamment les femmes en situation de handicap ?


Aux deux. Le soutien des écoles et des centres de formation est extrêmement important. Le système scolaire séparé est l'approche erronée pour parvenir à l'inclusion – notamment dans la perspective de l'activité professionnelle ultérieure. La confiance en soi des jeunes filles en situation de handicap doit être renforcée dès la formation, afin qu'elles puissent devenir plus autonomes et faire leurs propres choix. Un changement de valeurs doit avoir lieu au sein des institutions et parmi les employeur·euse·x·s.

Est-ce que ces discriminations spécifiques envers les femmes en situation de handicap trouvent leur origine dans une image dépassée de la femme ?


Je pense effectivement que les stéréotypes de genre se renforcent lorsqu'un handicap s'y ajoute. Les femmes en situation de handicap sont doublement exposées au paternalisme qui existe en général à l'égard des personnes handicapées.

Les femmes en situation de handicap sont également plus touchées que les femmes non handicapées par la violence sexualisée.

Ces dernières années, le réseau avanti ainsi qu'Amnesty International se sont engagés au sein d’une large coalition en faveur du nouveau droit pénal en matière sexuelle. Nous n'avons certes pas réussi à faire adopter la solution "Seul un oui est un oui", mais tout de même la variante "Non c’est non". Quelle est l'importance de ce succès pour les femmes en situation de handicap ?


Il est important que nous disposions désormais d'une réglementation plus claire, car le risque d'agression est grand pour les femmes en situation de handicap.

D'un autre côté, penser que les femmes en situation de handicap ont besoin d'une protection particulière est également problématique. Cela peut en effet conduire à une limitation de leur autodétermination : parce qu’on pense devoir les protéger, on décide de leur sexualité à leur place. Il ne faut pas sacrifier l'autodétermination sur l’autel de la protection contre les violences sexuelles.

En outre, le problème est que les offres de protection, comme les maisons d'accueil pour les femmes qui ont subi de la violence, ne leur sont souvent pas accessibles.

Dans le domaine de l'autodétermination sexuelle, je dois aussi évoquer les droits reproductifs des femmes en situation de handicap. En effet, un article de la loi suisse sur la stérilisation continue à autoriser la stérilisation forcée de personnes dites incapables de discernement, sans leur consentement !

À votre avis, à quoi tient le fait qu’il n’y ait pas eu de plus grandes avancées dans notre société ? Les dispositions juridiques et légales pour l’égalité des droits et l’égalité des chances existent déjà.


Les effets d’une discrimination supplémentaire en raison du genre sont reconnus ; la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées souligne clairement que les États doivent veiller à ce que la situation particulière des femmes en situation de handicap soit prise en compte. En Suisse, une base légale existe avec la loi sur l’égalité pour les personnes handicapées. Mais il manque une mise en œuvre adéquate par des lois efficaces, contraignantes et dont on peut déduire des droits et des exigences concrètes.

De manière générale, la Suisse est encore vraiment à la traîne en ce qui concerne l’égalité des personnes en situation de handicap, comme le montre notamment le manque d’accessibilité des transports publics.

La pression sur les autorités, les communes et les institutions compétentes serait-elle donc insuffisante ?


Il n'existe justement pas de stratégie définie par la Confédération ou de directives contraignantes pour les cantons et les communes. Il est de leur responsabilité de mettre en œuvre la Convention relative aux droits des personnes handicapées – c'est pourquoi la situation varie d'un canton à l'autre, et encore plus au niveau des communes.

La loi sur l'égalité des personnes handicapées offre en outre peu de protection contre la discrimination commise par des particuliers. Il est très difficile, voire impossible d'intenter une action en justice, car il faudrait pouvoir démontrer une très forte discrimination. Et en raison des coûts d’une telle procédure, les grandes associations sont pratiquement les seules à pouvoir aller en justice.

Dans le domaine de l'accès au marché du travail, la Confédération est le seul employeur qui est obligé de prendre des mesures pour que les personnes en situation de handicap puissent travailler dans l'administration fédérale. Pour les employeur·euse·x·s privé·e·x·s, ce n'est pas obligatoire.

Globalement, cela a pour conséquence que les droits des personnes en situation de handicap ne sont promus que par des "recommandations" ou des "situations souhaitables".

Vous avez dit qu’il y a une meilleure prise de conscience des préoccupations des femmes en situation de handicap. Concrètement, où voyez-vous des progrès ?


En ce qui concerne la situation particulière des femmes en situation de handicap, les besoins spécifiques sont certes connus. Dans les cantons qui s'occupent de la mise en œuvre de la Convention d'Istanbul, les préoccupations des femmes en situation de handicap sont prises en compte. Ainsi, le réseau avanti reçoit des demandes de collaboration pour la mise en œuvre de certaines mesures.

La visibilité des personnes en situation de handicap augmente ; nous avons désormais trois conseillers nationaux handicapés – mais ce sont tous des hommes.

Vous vivez vous-même avec un handicap visuel. Quels sont les obstacles que vous rencontrez au quotidien ?


Dans la vie de tous les jours, je suis particulièrement frappée par le fait que l'accessibilité numérique n'existe malheureusement pas. Ainsi, les sites Internet ou les programmes informatiques ne peuvent souvent pas être utilisés, ou seulement en partie. De même, les offres culturelles ne sont que partiellement accessibles, seuls quelques films et pièces de théâtre proposés avec une audiodescription.

Enfin, en tant que mère, je constate qu'être parent avec un handicap reste une exception – par exemple parce que je suis souvent la seule personne en situation de handicap lors des réunions de parents. Il y a une peur du contact et on me traite souvent avec incertitude. Les personnes handicapées sont statistiquement plus nombreuses à ne pas avoir d'enfants. La parentalité avec un handicap reste un domaine dans lequel il est nécessaire d’agir.

Avez-vous personnellement vécu des situations désagréables en tant que femme en raison de votre handicap ? Des situations qu'un homme handicapé n'aurait pas vécues de cette manière ?


Depuis que je me déplace avec une canne d'aveugle ou avec mon chien et que je suis donc reconnaissable en tant que personne handicapée, je remarque que l'on s'adresse plus souvent à moi d’une manière indésirable. Ou que des personnes font des commentaires. Il s'agit avant tout d'un manque de distance et de respect, qui est éventuellement mieux garanti vis-à-vis des hommes.

Comment gérez-vous cela ?


J’adopte alors certaines stratégies, comme par exemple une certaine inaccessibilité.

Vous êtes également active au sein du comité de l'initiative pour l'inclusion. Où voyez-vous des opportunités pour les femmes en situation de handicap grâce au débat politique que cette initiative suscite ?


Si, comme nous l'espérons, l'initiative est acceptée, l'égalité effective des personnes en situation de handicap devrait recevoir un coup d’accélérateur. Dans le domaine de la formation, les femmes profiteraient certainement de l'abolition du système scolaire séparé. Il devrait également y avoir plus d'égalité des chances dans l'accès au marché du travail s'il y avait des directives contraignantes pour les employeur·euse·x·s.

Toutes les personnes handicapées en profiteraient, mais comme les femmes accèdent plus difficilement au marché du travail que les hommes, l'adoption de l'initiative pour l'inclusion représenterait une chance particulière pour elles.

En cas d'acceptation de l'initiative, le réseau avanti sera-t-il présent lors de l'élaboration des lois d'application pour faire valoir les préoccupations particulières des femmes en situation de handicap ?


Notre association est très petite, les ressources nous manquent. Mais il est très important que les personnes handicapées participent à l’élaboration des lois et des ordonnances. Je vois un certain risque, car dans les grandes associations, ce sont souvent des personnes non concernées qui occupent les postes de direction. Ce sera un défi de faire en sorte que les personnes concernées soient impliquées de manière adéquate, en particulier les femmes.

Comment les personnes non concernées et les organisations comme Amnesty peuvent-elles vous soutenir dans cette démarche ?


Lorsque des organisations s’engagent pour des thèmes comme l’inclusion, pour les personnes en situation de handicap en général et pour les femmes handicapées en particulier, cela me fait toujours très plaisir. J’ai déjà eu des contacts avec un groupe d’activistes qui s’intéressaient à la manière dont iels pourraient organiser des événements plus accessibles.

C’est la condition préalable la plus importante : garder en tête la participation des personnes en situation de handicap – ce n'est pas si compliqué.

 

1 Dans cette interview, quand nous parlons de « femmes », nous considérons toutes les personnes qui se définissent en tant que femmes.