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Initiative pour l'inclusion / Portraits De la colocation à l'autodétermination

Par Kim Pittet.  8 mars 2023
Suad Dahir Ahmed, une Zurichoise de 30 ans, montre qu'il est possible de vivre de manière autonome même avec des handicaps psychiques et des difficultés d'apprentissage. Elle en appelle au respect de l'autodétermination de chaque personne.

En novembre 2021, Suad Dahir Ahmed troque son logement adapté avec accompagnement contre un petit appartement. Même deux ans après, son excitation est toujours palpable. « Ici, je peux être moi-même. C'est mon refuge », explique cette Zurichoise de 30 ans, en citant quelques exemples qui sembleraient banals à beaucoup d’entre nous:  écouter de la musique quand elle le souhaite ou décider elle-même de ses horaires. « Je peux même rentrer chez moi à trois heures du matin », dit-elle en souriant. 

Vivre seule dans un appartement, c'est ce que Suad souhaitait depuis longtemps. Mais en raison de son handicap psychique et de ses difficultés d'apprentissage, elle a d'abord vécu dans un centre comprenant des logements avec encadrement, en collocation avec d’autres personnes en situation de handicap. Cette structure propose aux personnes en situation de handicap différentes formes d'habitat, des postes de travail et des places en centre de jour. Mais Suad n'était pas vraiment heureuse dans cet environnement à cause des règles à respecter. Et la jeune femme ne se sentait pas à l'aise avec sa colocataire.  

Et puis, une opportunité s'est présentée : un appartement individuel, qui fait également partie de l'offre de la résidence, s'est libéré. Suad n’a pas hésité. Les réactions de son entourage ont été majoritairement positives. « Certains avaient peur que je m'isole. Mais ils ont tout de même pensé que je devrais simplement essayer. » Aujourd'hui, elle dit ne ressentir la solitude qu'à certains moments. Par exemple, lorsqu'elle est malade et qu'elle a besoin de quelqu'un pour faire ses courses. 

Une indépendance guidée  

Suad apprécie le calme de son appartement. Si elle a besoin d’interactions sociales, elle appelle ses ami·e·x·s ou les invite chez elle. La résidence propose également un espace commun dans le même lotissement, où peuvent se retrouver les quelque 20 personnes qui, tout comme Suad, bénéficient de l'accompagnement au logement. Suad s’y rend également pour les tâches administratives, car c'est là que se trouve aussi le bureau des personnes chargées de l'accompagnement. Elles soutiennent Suad une fois par semaine. « Le soutien est très personnel », explique la jeune femme. « J'ai surtout besoin d'aide dans le domaine administratif, c'est-à-dire quand je dois payer une facture ou que je ne comprends pas une lettre. » Quant au ménage, elle l'organise de façon autonome. Elle décide elle-même quand elle fait sa lessive, quand elle va faire ses courses et comment elle répartit son budget.  

Une fois par mois, quelqu'un de la résidence lui rend visite et vérifie la propreté et la sécurité de son appartement. On vérifie ainsi qu'il n'y a pas des montagnes de linge qui traînent ou qu'il n'y a pas de câbles par terre, pour éviter un risque de chute. Un contrôle qui ne pose aucun problème à Suad. « Ce sont simplement les règles. Je suis beaucoup plus autonome qu’avant et j'ai davantage le droit de décider moi-même. Je suis reconnaissante pour cela, car c'est ça l'autodétermination. »  

Une nouvelle autonomie 

Suad affirme que le fait de vivre de manière autonome l'a fait progresser à bien des égards. Depuis peu, ses médicaments d'urgence se trouvent chez elle et elle peut les prendre seule. Une chose impossible dans son ancienne colocation, puisque les médicaments étaient gérés par une personne de soutien. « Cette liberté me permet de prendre des responsabilités. Cela me donne l'impression d'être une personne indépendante, sans handicap », affirme-t-elle. Avec cette nouvelle autonomie, on sent que Suad est épanouie, surtout lorsqu'elle parle de ses innombrables hobbies : elle nage, fait de la zumba et du fitness, aime aller cinéma ou passer du temps avec ses ami·e·x·s. En outre, elle a commencé en septembre dernier une formation d'un an de conseillère pour paires auprès de l'association Mensch Zuerst. « J'avais déjà accompagné des personnes auparavant, mais j'ai décidé de suivre cette formation en plus », explique-t-elle. Ainsi, elle en apprend beaucoup sur les différents besoins des personnes en situation de handicap, ou sur le conseil et la communication non violente. 

Un regard renforcé vers l'avenir 

L’une des plus grandes fiertés de Suad est son engagement politique bénévole. Elle a notamment soutenu la campagne électorale du militant des droits des personnes handicapées Islam Alijaj, qui a été élu au Parlement fédéral en octobre dernier. Elle est également membre du comité d'initiative pour l'Initiative pour l’inclusion. « L'été dernier, j'ai même pu tenir un discours sur l'initiative lors de la grève des femmes à Berne », dit-elle fièrement.  

Cet engagement est très important pour elle, car il lui permet de faire entendre sa voix en faveur des personnes en situation de handicap. Sa propre expérience en matière d'habitat autonome montre pourquoi l'initiative pour l'inclusion est si importante : « Les personnes handicapées doivent être accompagnées et non pas mises sous tutelle. Nous devrions pouvoir être nos propres chefs », affirme Suad. L’unique façon selon elle de mener et organiser sa vie de façon autonome, sans être surprotégé·e·x. « J'ai par exemple appris  qu’un concert peut se terminer tard. Je dois donc évaluer si le fait d'y aller vaut la peine de dormir peu. »  

Le dynamisme et l’engagement de Suad rendent le calme de son appartement et son coin douillet avec un canapé encore plus appréciables à ses yeux.. Mais elle ne compte pas vivre seule pour toujours. « J'ai un nouveau partenaire et j'aimerais peut-être emménager avec lui dans trois ou quatre ans. Si un jour j'ai un désir d'enfant, j'espère qu'il sera accepté et non pas ridiculisé. Et que je reçoive le soutien idéal. »