Quand on lui parle de l'Initiative pour l’inclusion, les attentes de Caroline sont claires : « Il y a encore trop peu d’endroits où l’on accepte d'embaucher des personnes avec handicap. Il faut que quelque chose se passe au niveau politique. Plus nous attendrons, plus il y aura des répercussions sur la vie professionnelle des jeunes ». La jeune femme de 30 ans sait de quoi elle parle car elle est elle-même autiste. Bien qu'elle ait terminé avec succès sa formation d'employée de commerce, elle est à nouveau au chômage. « Beaucoup de personnes n'ont pas de travail parce qu'elles vivent avec un handicap ».
Caroline a brillamment suivi le cursus scolaire classique. Ses parents et le corps enseignant ont remarqué que certaines matières ne lui convenaient pas, mais sans trouver cela inquiétant. Elle avait entre autres des difficultés en sport en raison de sa motricité, ou du mal en mathématiques. Après sa formation d'employée de commerce, la jeune femme ne trouve pas d’emploi, ce qui entraîne un chômage prolongé. « Les symptômes du spectre de l'autisme se sont alors renforcés », se souvient Caroline. C’est à ce moment que l'on se rend compte que quelque chose ne va pas. La souffrance devient si grande qu'elle doit faire recours à une aide psychologique. Elle rencontre ainsi Islam lors d’un atelier d'art-thérapie à la clinique de jour. « Nous avons commencé à discuter parce que je dessinais un certain personnage de manga », raconte Caroline. La passion du manga et de l'animé réunit les deux femmes. Rapidement, elles apprennent à mieux se connaître et constatent à quel point elles se ressemblent, et où elles ont des problèmes similaires. « Cela nous a beaucoup aidées toutes les deux ».
C'est à la même période que Caroline se fait diagnostiquer autiste Asperger. Elle est alors âgée de 23 ans. La Bernoise explique qu'il est fréquent que l'autisme soit détecté tard chez les femmes. Le diagnostic l’éclaire sur ses problèmes et son comportement. Par exemple, une partie des symptômes autistiques de Caroline influencent sa façon de communiquer : elle doit faire de longues pauses pour chercher ses mots. Si ce qu’elle veut dire est limpide dans sa tête, elle a du mal à l'exprimer. « Il faut que mon interlocuteur soit patient, car le stress renforce ce mécanisme », explique-t-elle.
L'odyssée des incertitudes commence
Le diagnostic vient remettre en question la possibilité de s’insérer dans le marché du travail. « J'ai certaines limites. J'ai besoin d'un peu plus de temps que la moyenne pour certaines choses », explique-t-elle. Sur le second marché du travail en revanche, elle ne se sentirait pas assez sollicitée. Avec l'aide de l'assurance invalidité, Caroline s'essaie à différents métiers et participe à des mesures de réinsertion. Mais cela ne débouche sur rien et elle se retrouve à nouveau sans emploi.
La chance lui sourit enfin, et Caroline obtient un stage de niche chez Amnesty International. Les places d’emploi de niche sont adaptées aux capacités, aux compétences et aux besoins des personnes concernées. Ainsi, Caroline a peu de contacts avec les membres et le public en général, elle dispose de plus de temps pour certaines tâches et d'un lieu de travail calme. « Il n'y a pas besoin de beaucoup pour qu'une personne avec autisme puisse faire du bon travail », dit-elle. Mais il faut que l'employeur·euse·x soit prêt·e·x à faire des concessions et que les collègues soient compréhensif·ve·x·s. « Certains ont besoin d'une pause cigarette, moi j'ai parfois besoin d'un temps en retrait », dit-elle en souriant.
La communication comme facteur clé
Dans ses recherches d’emploi, Caroline estime qu’une communication ouverte et honnête est fondamentale. Cela commence dès la lettre de candidature. Pendant longtemps, elle ne mentionnait pas son handicap pour ne pas compromettre ses chances d’obtenir un entretien. Mais le handicap fait partie de son identité, et elle se décide finalement à le faire. Pour la suite, la balle n’est plus dans son camp. Accepte-t-on de lui accorder les adaptations nécessaires? « On a l'impression d’exiger une faveur qui n'en est pas vraiment une », dit Caroline.
Beaucoup d'employeur·euse·x·s n'ont pas encore passé le cap : leurs connaissances sur les handicaps et les besoins qui en découlent sont trop faibles. Les réactions sont donc négatives. « La plupart du temps, on me renvoie au deuxième marché du travail. On part du principe qu'aucun traitement spécial sous forme d'adaptation n'est possible ». Elle expériment aussi de nombreux préjugés sur les personnes autistes. Il est par exemple faux de croire que tous les autistes sont des génies en maths. « Je pense que l’on devrait nous donner notre chance. Même si parfois ça doit ne pas fonctionner. »
Un marché du travail d'avenir
Actuellement, Caroline est à la recherche d'un emploi. Elle pense que la solution réside dans un marché du travail «diversifié» : « Il ne faut pas seulement un premier et un deuxième marché du travail, mais aussi un marché du travail intermédiaire ». La Suisse a signé il y a plusieurs années la Convention de l'ONU relative aux droits des personnes handicapées, qui inclut le domaine du travail. Les exigences en la matière sont claires : « La Suisse est tenue de mettre en œuvre cette convention. Mais il manque encore beaucoup de choses pour que cela devienne une réalité ». Elle a beaucoup d'espoir dans l'Initiative pour l'inclusion et sa mise en œuvre. « On dit souvent que les bénéficiaires de l'AI sont à la charge de l'État. Mais si on les intégrait mieux dans le marché du travail en leur offrant un soutien, tout le monde y gagnerait. »